Le Monde.fr | 09.02.2015 à 08h00 • Par Philippe Pons (Tokyo, correspondant)
Le premier ministre japonais, Shinzo Abe fait fausse route : telle est la leçon que la plupart des commentateurs retiennent de la récente visite au Japon de l’économiste français Thomas Piketty.
Bien que l’assassinat des otages japonais par l’Etat Islamiste ait mobilisé l’attention de l’opinion, la présence, au même moment dans l’archipel, de l’auteur du Capital au XXIe siècle a créé le même engouement médiatique qu’ailleurs.
Mais il a aussi suscité un phénomène inattendu : les idées de M. Piketty sur les inégalités dans les sociétés développées sont entrées dans le discours politique nippon comme argument des adversaires des « Abenomics », la « recette » pour relancer la croissance du premier ministre, lancée en 2012.
Le parti démocrate du Japon (PDJ), principale (mais bien affaiblie) force d’opposition, qui se veut de centre gauche, en fait ainsi son cheval de bataille dans le débat parlementaire.
150 000 exemplaires en deux mois
Comme ailleurs, « le » Piketty (760 pages en traduction au prix de 5 900 yens, soit 45 euros), dont les piles trônent sur les présentoirs des librairies, figure au Japon parmi les meilleures ventes : 150 000 exemplaires partis en deux mois.
Il a déjà ses exégètes : une introduction de Nobuo Ikeda (Comprendre les principaux arguments de Piketty en 60 minutes), qui en est à son 5e tirage depuis fin décembre 2014, tandis qu’un ouvrage précédent (Initiation à Piketty) de Mieko Takenobu connaît sa 7e réédition.
Dans un pays où les économistes parlent pudiquement d’ « écart » de revenus, plus que d’ « inégalités », M. Piketty a quelque peu secoué les branches.
Interrogé au cours d’un débat devant la commission du budget à la chambre basse, M. Abe, arc-bouté sur son remède à la croissance (qui s’est traduit jusqu’à présent par une remontée boursière sans relance de la production ni de la consommation) a concédé que « la croissance est importante mais aussi la répartition de ses fruits. »
16 % de la population nippone en deçà du seuil de pauvreté
Pieuses paroles. M. Piketty, lui, est resté prudemment sceptique sur les Abenomics : « Autant que je puisse en juger, l’augmentation de la TVA, intervenue l’année passée, n’a pas été un succès en termes de croissance, et je ne suis pas certain que ce soit la bonne direction à prendre », a-t-il déclaré. Une nouvelle hausse de la TVA (de 8 % elle passera alors à 10 %) a été repoussée à 2017.
Au cours de ses interventions (à l’université de Tokyo, dans l’auditorium du quotidien Asahi, à la Maison franco-japonaise à Tokyo et à travers d’innombrables interviews), l’économiste français a insisté sur la nécessité de rééquilibrer le système fiscal en faveur des jeunes et de réduire les inégalités sur le marché du travail dont sont victimes les employés en contrat à durée déterminée (à commencer par les femmes), discriminés en terme de rémunération ni de protection sociale. Or, leur nombre augmente (38 % de la population active) alors que les titulaires d’un emploi fixe sont en diminution.
Le coefficient de Gini (qui mesure l’écart entre les riches et les pauvres) est plus prononcé au Japon qu’il ne l’est en Allemagne, en France, en Italie ou au Canada, et 16 % de la population nippone vit en deçà du seuil de pauvreté défini par l’OCDE (disposant de ressources inférieures à la moitié du revenu moyen). Selon un sondage, réalisé fin janvier par le Asahi shimbun, 53 % des personnes interrogées ne pensent pas que les « Abenomics » amélioreront leur situation.
Le premier ministre japonais, Shinzo Abe fait fausse route : telle est la leçon que la plupart des commentateurs retiennent de la récente visite au Japon de l’économiste français Thomas Piketty.
Bien que l’assassinat des otages japonais par l’Etat Islamiste ait mobilisé l’attention de l’opinion, la présence, au même moment dans l’archipel, de l’auteur du Capital au XXIe siècle a créé le même engouement médiatique qu’ailleurs.
Mais il a aussi suscité un phénomène inattendu : les idées de M. Piketty sur les inégalités dans les sociétés développées sont entrées dans le discours politique nippon comme argument des adversaires des « Abenomics », la « recette » pour relancer la croissance du premier ministre, lancée en 2012.
Le parti démocrate du Japon (PDJ), principale (mais bien affaiblie) force d’opposition, qui se veut de centre gauche, en fait ainsi son cheval de bataille dans le débat parlementaire.
150 000 exemplaires en deux mois
Comme ailleurs, « le » Piketty (760 pages en traduction au prix de 5 900 yens, soit 45 euros), dont les piles trônent sur les présentoirs des librairies, figure au Japon parmi les meilleures ventes : 150 000 exemplaires partis en deux mois.
Il a déjà ses exégètes : une introduction de Nobuo Ikeda (Comprendre les principaux arguments de Piketty en 60 minutes), qui en est à son 5e tirage depuis fin décembre 2014, tandis qu’un ouvrage précédent (Initiation à Piketty) de Mieko Takenobu connaît sa 7e réédition.
Dans un pays où les économistes parlent pudiquement d’ « écart » de revenus, plus que d’ « inégalités », M. Piketty a quelque peu secoué les branches.
Interrogé au cours d’un débat devant la commission du budget à la chambre basse, M. Abe, arc-bouté sur son remède à la croissance (qui s’est traduit jusqu’à présent par une remontée boursière sans relance de la production ni de la consommation) a concédé que « la croissance est importante mais aussi la répartition de ses fruits. »
16 % de la population nippone en deçà du seuil de pauvreté
Pieuses paroles. M. Piketty, lui, est resté prudemment sceptique sur les Abenomics : « Autant que je puisse en juger, l’augmentation de la TVA, intervenue l’année passée, n’a pas été un succès en termes de croissance, et je ne suis pas certain que ce soit la bonne direction à prendre », a-t-il déclaré. Une nouvelle hausse de la TVA (de 8 % elle passera alors à 10 %) a été repoussée à 2017.
Au cours de ses interventions (à l’université de Tokyo, dans l’auditorium du quotidien Asahi, à la Maison franco-japonaise à Tokyo et à travers d’innombrables interviews), l’économiste français a insisté sur la nécessité de rééquilibrer le système fiscal en faveur des jeunes et de réduire les inégalités sur le marché du travail dont sont victimes les employés en contrat à durée déterminée (à commencer par les femmes), discriminés en terme de rémunération ni de protection sociale. Or, leur nombre augmente (38 % de la population active) alors que les titulaires d’un emploi fixe sont en diminution.
Le coefficient de Gini (qui mesure l’écart entre les riches et les pauvres) est plus prononcé au Japon qu’il ne l’est en Allemagne, en France, en Italie ou au Canada, et 16 % de la population nippone vit en deçà du seuil de pauvreté défini par l’OCDE (disposant de ressources inférieures à la moitié du revenu moyen). Selon un sondage, réalisé fin janvier par le Asahi shimbun, 53 % des personnes interrogées ne pensent pas que les « Abenomics » amélioreront leur situation.
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