MAËLA JAOUËN INGÉNIEUR ET CITOYENNE DU MONDE 11 FÉVRIER 2015 À 11:29
Etre une femme dans ce pays, c'est vivre dans une angoisse permanente. Je ne suis pas musulmane mais la police religieuse est sévère.
Mois d’août. Un lever de soleil magnifique sur la mer. Une corniche, bordée de palmiers. Un petit chemin encadré par des bandes de pelouse entretenues. Des familles qui sortent en fin de journée quand la chaleur devient moins étouffante. Quelques groupes d’hommes qui parlent en regardant la mer. Et moi, dans ma chambre d’hôtel, qui regarde cette promenade. Avec envie : elle m’est interdite.
Je suis en Arabie Saoudite. Je suis seule. Mais surtout femme. Je n’ai pas le droit de m’installer dans la salle du restaurant de l’hôtel pour manger. Je fais monter tous mes repas, petit-déjeuner compris, en service d’étage. Pour ouvrir la porte de ma chambre à l’homme qui m’apporte le plateau, je remets mon abaya. Il évite toujours mon regard.
UNE FORME D'EMPRISONNEMENT
C’est un service de transport privé qui m’emmène de l’hôtel au site où je dois travailler. J’ai à peine 150 mètres à marcher pour monter dans la voiture, mais vêtue de noir dans la chaleur étouffante d’Al Jubayl, c’est déjà trop. Je porte un voile. Je ne suis pas musulmane, seule l’abaya est obligatoire, mais la police religieuse est sévère : on m’a clairement fait comprendre que je devais couvrir ma tête.
Je regarde défiler le paysage désertique dans la voiture climatisée. Un troupeau de dromadaires. Ils me paraissent plus libres que les femmes dans ce pays, ils circulent librement. Ma situation est tellement grotesque que ça me fait presque marrer.
Mon sexe est un handicap dans ce pays. Voyager seule contraint à une forme d’emprisonnement : interdiction de sortir, de se promener, d’aller faire ses courses, de s’attabler au restaurant, de conduire bien entendu. Obligation de porter l’abaya, ce long vêtement noir qui cache poignets, chevilles et toutes les formes du corps.
DES RÈGLES MOYENÂGEUSES
Etre une femme en Arabie Saoudite, c’est se demander à chaque instant : «Ai-je le droit de faire cela ?»«Suis-je autorisée à… ?» C’est vivre dans une sorte d’angoisse permanente, que je ressens à l’intérieur même de l’hôtel. Et je n’ai pourtant passé que deux semaines dans ce pays. Suffisamment pour refuser catégoriquement de renouveler l’expérience. Il y a deux raisons à cette décision.
La première est celle de l’absence de droit dans ce pays. De mes droits. Fière d’être femme et de mes convictions, je ne veux pas me plier à nouveau à des règles moyenâgeuses. Je ne m’attendais pas à un tel poids lorsque j’ai posé mes pieds sur le tarmac de Dammam. Je n’imaginais pas à quel point cela m’affecterait psychologiquement. Les étrangères n’ont aucun pouvoir de faire changer les choses dans le Royaume, l’évolution du statut des femmes ne pourra venir que des Saoudiennes elles-mêmes et d’un combat courageux. La seule chose que je puisse faire pour marquer mon opposition à cette domination imposée par les hommes est de refuser tout nouveau séjour, même si cela signifie pénaliser le projet pour lequel je travaille.
La deuxième raison est liée à la première : je n’ai plus la force de faire illusion… Participer, même indirectement, à l’opulence d’un pays qui asservit ses épouses, sœurs, mères, et vomit sur la liberté d’expression, cela est devenu trop dur pour moi. Je n’accepte plus les compromis. L’Arabie Saoudite prospère grâce à son pétrole et à des accords industriels qui affluent de toutes parts. Veolia, Dow Chemical, Shell, ArcelorMittal, Nestlé et tant d’autres multinationales viennent exploiter les ressources en fermant les yeux sur l’autoritarisme religieux et politique qui bride le peuple. Une partie de ces dollars investis dans le pays ont financé pendant des années le terrorisme, l’état islamique en tête, qui combattait le pouvoir Syrien.
DES CONTRATS JUTEUX
Comble de l’ironie, fin 2014, l’Arabie Saoudite se rallie à la coalition internationale contre les djihadistes qui se retournent contre elle, et effectue même un «don» de 3 milliards de dollars pour une livraison d’armes françaises au Liban. A Paris, on vante la qualité exceptionnelle des relations franco saoudiennes. Mais pendant que les ministres de la Défense et de l’Industrie enchaînent les visites à Riyad pour signer des contrats juteux (bientôt des centrales nucléaires…), la police religieuse emprisonne des femmes qui ont osé se mettre au volant.
La «justice» condamne un homme à plusieurs années d’emprisonnement et 1000 coups de fouet sur la place publique, répartis sur vingt vendredis, pour avoir exprimé ses opinions sur un blog. Une fatwa interdit la construction de bonhommes de neige pour amuser les enfants car anti-islamique. Les peines de mort sont encore perpétrées en utilisant le sabre. La France et la communauté internationale ont appelé du bout des lèvres l’Arabie saoudite à revenir sur la condamnation du blogueur. Mais attention, uniquement les coups de fouet. Pas l’emprisonnement pour avoir écrit.
Et puis, il y a ce discours, ces politiciens qui osent minimiser ces jugements en disant que l’Arabie Saoudite est un jeune pays, qu’il n’a été créé qu’en 1932, qu’au cours des dix dernières années beaucoup de progrès ont été réalisés. Lesquels ? Des routes, des infrastructures ? Des raffineries high-tech ? Des shopping mall où pullulent des boutiques de luxe ? Des voitures puissantes ? Le matériel a peut-être évolué, oui ; le consumérisme s’est également développé dans le pays.
Mais qu’en est-il de la pensée ? Qu’en est-il de l’expression ? Qu’en est-il de la liberté de mouvement ? Il est trop facile de dire que le pays change, qu’il lui faut du temps : l’Arabie Saoudite sait parfaitement utiliser la modernité lorsqu’elle sert les intérêts financiers de grandes familles. Mais elle se cache derrière la jeunesse de son état pour justifier le mépris des droits de l’Homme.
Question: mais d'où vient ce mépris vis à vis des femmes ? de l'histoire ? de la religion ? ............ ou simplement de la bêtise humaine ??
Etre une femme dans ce pays, c'est vivre dans une angoisse permanente. Je ne suis pas musulmane mais la police religieuse est sévère.
Mois d’août. Un lever de soleil magnifique sur la mer. Une corniche, bordée de palmiers. Un petit chemin encadré par des bandes de pelouse entretenues. Des familles qui sortent en fin de journée quand la chaleur devient moins étouffante. Quelques groupes d’hommes qui parlent en regardant la mer. Et moi, dans ma chambre d’hôtel, qui regarde cette promenade. Avec envie : elle m’est interdite.
Je suis en Arabie Saoudite. Je suis seule. Mais surtout femme. Je n’ai pas le droit de m’installer dans la salle du restaurant de l’hôtel pour manger. Je fais monter tous mes repas, petit-déjeuner compris, en service d’étage. Pour ouvrir la porte de ma chambre à l’homme qui m’apporte le plateau, je remets mon abaya. Il évite toujours mon regard.
UNE FORME D'EMPRISONNEMENT
C’est un service de transport privé qui m’emmène de l’hôtel au site où je dois travailler. J’ai à peine 150 mètres à marcher pour monter dans la voiture, mais vêtue de noir dans la chaleur étouffante d’Al Jubayl, c’est déjà trop. Je porte un voile. Je ne suis pas musulmane, seule l’abaya est obligatoire, mais la police religieuse est sévère : on m’a clairement fait comprendre que je devais couvrir ma tête.
Je regarde défiler le paysage désertique dans la voiture climatisée. Un troupeau de dromadaires. Ils me paraissent plus libres que les femmes dans ce pays, ils circulent librement. Ma situation est tellement grotesque que ça me fait presque marrer.
Mon sexe est un handicap dans ce pays. Voyager seule contraint à une forme d’emprisonnement : interdiction de sortir, de se promener, d’aller faire ses courses, de s’attabler au restaurant, de conduire bien entendu. Obligation de porter l’abaya, ce long vêtement noir qui cache poignets, chevilles et toutes les formes du corps.
DES RÈGLES MOYENÂGEUSES
Etre une femme en Arabie Saoudite, c’est se demander à chaque instant : «Ai-je le droit de faire cela ?»«Suis-je autorisée à… ?» C’est vivre dans une sorte d’angoisse permanente, que je ressens à l’intérieur même de l’hôtel. Et je n’ai pourtant passé que deux semaines dans ce pays. Suffisamment pour refuser catégoriquement de renouveler l’expérience. Il y a deux raisons à cette décision.
La première est celle de l’absence de droit dans ce pays. De mes droits. Fière d’être femme et de mes convictions, je ne veux pas me plier à nouveau à des règles moyenâgeuses. Je ne m’attendais pas à un tel poids lorsque j’ai posé mes pieds sur le tarmac de Dammam. Je n’imaginais pas à quel point cela m’affecterait psychologiquement. Les étrangères n’ont aucun pouvoir de faire changer les choses dans le Royaume, l’évolution du statut des femmes ne pourra venir que des Saoudiennes elles-mêmes et d’un combat courageux. La seule chose que je puisse faire pour marquer mon opposition à cette domination imposée par les hommes est de refuser tout nouveau séjour, même si cela signifie pénaliser le projet pour lequel je travaille.
La deuxième raison est liée à la première : je n’ai plus la force de faire illusion… Participer, même indirectement, à l’opulence d’un pays qui asservit ses épouses, sœurs, mères, et vomit sur la liberté d’expression, cela est devenu trop dur pour moi. Je n’accepte plus les compromis. L’Arabie Saoudite prospère grâce à son pétrole et à des accords industriels qui affluent de toutes parts. Veolia, Dow Chemical, Shell, ArcelorMittal, Nestlé et tant d’autres multinationales viennent exploiter les ressources en fermant les yeux sur l’autoritarisme religieux et politique qui bride le peuple. Une partie de ces dollars investis dans le pays ont financé pendant des années le terrorisme, l’état islamique en tête, qui combattait le pouvoir Syrien.
DES CONTRATS JUTEUX
Comble de l’ironie, fin 2014, l’Arabie Saoudite se rallie à la coalition internationale contre les djihadistes qui se retournent contre elle, et effectue même un «don» de 3 milliards de dollars pour une livraison d’armes françaises au Liban. A Paris, on vante la qualité exceptionnelle des relations franco saoudiennes. Mais pendant que les ministres de la Défense et de l’Industrie enchaînent les visites à Riyad pour signer des contrats juteux (bientôt des centrales nucléaires…), la police religieuse emprisonne des femmes qui ont osé se mettre au volant.
La «justice» condamne un homme à plusieurs années d’emprisonnement et 1000 coups de fouet sur la place publique, répartis sur vingt vendredis, pour avoir exprimé ses opinions sur un blog. Une fatwa interdit la construction de bonhommes de neige pour amuser les enfants car anti-islamique. Les peines de mort sont encore perpétrées en utilisant le sabre. La France et la communauté internationale ont appelé du bout des lèvres l’Arabie saoudite à revenir sur la condamnation du blogueur. Mais attention, uniquement les coups de fouet. Pas l’emprisonnement pour avoir écrit.
Et puis, il y a ce discours, ces politiciens qui osent minimiser ces jugements en disant que l’Arabie Saoudite est un jeune pays, qu’il n’a été créé qu’en 1932, qu’au cours des dix dernières années beaucoup de progrès ont été réalisés. Lesquels ? Des routes, des infrastructures ? Des raffineries high-tech ? Des shopping mall où pullulent des boutiques de luxe ? Des voitures puissantes ? Le matériel a peut-être évolué, oui ; le consumérisme s’est également développé dans le pays.
Mais qu’en est-il de la pensée ? Qu’en est-il de l’expression ? Qu’en est-il de la liberté de mouvement ? Il est trop facile de dire que le pays change, qu’il lui faut du temps : l’Arabie Saoudite sait parfaitement utiliser la modernité lorsqu’elle sert les intérêts financiers de grandes familles. Mais elle se cache derrière la jeunesse de son état pour justifier le mépris des droits de l’Homme.
Question: mais d'où vient ce mépris vis à vis des femmes ? de l'histoire ? de la religion ? ............ ou simplement de la bêtise humaine ??
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