Le compromis obtenu à Minsk après une nuit de négociations ouvre la route à la paix mais ne lève pas tous les obstacles.
Le pire a été évité, c’est-à-dire un échec pur et simple qui aurait signifié une immédiate escalade de la guerre en Ukraine. Mais l’accord obtenu à l’arraché à Minsk après dix-sept heures de négociations entre le président français, François Hollande, le Russe Vladimir Poutine, l’Ukrainien Petro Porochenko et la chancelière allemande, Angela Merkel, semble bien bancal. Il ouvre peut-être la route à la paix mais les obstacles restent encore très nombreux. Prudente, la chancelière allemande affirme ne se faire «aucune illusion» et souligne «l’importance des efforts encore à faire». Plutôt optimiste à la sortie des négociations, affirmant son espoir «d’un règlement politique global», il s’est montré beaucoup plus perplexe ensuite, affirmant que «l’accord est plus qu’une lueur d’espoir», mais qu’il ne «garantit pas un succès durable».
En revanche, les dirigeants des rebelles de l’Est exultent, ainsi que le président russe. «Un accord sur l’essentiel a été trouvé», a déclaré Vladimir Poutine, ajoutant : «Cela n’a pas été ma meilleure nuit, mais c’est une bonne matinée.» Certes, l’intégrité territoriale de l’Ukraine est solennellement rappelée. Mais, de fait, une des questions les plus cruciales, celle d’un contrôle international des 400 kilomètres de frontière entre la Russie et les zones séparatistes ne se concrétisera qu’à la fin de tout le processus, si celui-ci va jusqu’au bout. Et, jusque-là, le matériel militaire comme les «volontaires» – les soldats russes – pourront affluer. Pendant les pourparlers, 50 chars russes ont d’ailleurs pénétré en Ukraine depuis la Russie, selon Kiev.
La négociation s’est déroulée à deux niveaux. D’un côté, ces quatre dirigeants, dont le parrainage au plus haut niveau donne tout son poids au compromis négocié sur la base des accords déjà signés à Minsk en septembre. De l’autre, le «groupe de contact», réunissant sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) des émissaires de Kiev, de Moscou et les représentants des rebelles séparatistes qui se sont engagés sur une feuille de route précise afin d’arrêter un conflit qui a déjà fait plus de 5 300 morts en dix mois.
Accords sur la Géorgie jamais appliqués
Cette feuille de route porte sur un cessez-le-feu en vigueur dès dimanche et sur le retrait des belligérants et de leurs armes lourdes permettant la création d’une zone tampon élargie, passant de 30 kilomètres à 50 à 70 kilomètres autour de la ligne de front. Les combats pourraient donc assez vite s’arrêter, mais le plus difficile commence après. D’où la grande prudence de Berlin comme de Kiev. Les précédents n’incitent guère à l’optimisme. Les accords de paix de 2008 en Géorgie, obtenus à l’époque à l’arraché par Nicolas Sarkozy alors que Moscou clamait vouloir pousser son offensive jusqu’à Tbilissi, n’ont jamais été appliqués même si la guerre s’est arrêtée. Cette petite république du Caucase est toujours amputée de près d’un quart de son territoire et Moscou a en outre reconnu après l’indépendance des autoproclamées républiques d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, où reste stationnée l’armée russe.
Dans le cas précis de l’Ukraine, les premiers accords de Minsk n’ont jamais été respectés et les rebelles ont conquis 500 km2 depuis leur signature. Ils prévoyaient notamment un cessez-le-feu immédiat, l’instauration d’une zone démilitarisée, le retrait des armes lourdes, le départ des «forces étrangères» – en clair des soldats russes –, le contrôle de la frontière russo-ukrainienne, un statut pour les zones aux mains des séparatistes tout en préservant l’intégrité territoriale de l’Ukraine. C’est ce que reprend le nouveau plan se veut plus précis et contraignant et, surtout, il cherche à «engager» Poutine dans sa mise en œuvre. Mais celui-ci n’a par exemple pas signé formellement le document de soutien à la feuille de route.
Des stratégies difficilement conciliables
Kiev et Moscou n’auraient de plus pas réussi à se mettre d’accord sur un des points les plus cruciaux à long terme : le statut des zones aux mains des séparatistes. Tout reste dans le flou même si le mot «fédéralisation», refusé par les Ukrainiens, ne figure pas dans le texte final. Les accords de Minsk prônaient un «dialogue national inclusif» et une réelle décentralisation du pouvoir. Les autorités réformistes de Kiev ont fait une loi sur un «statut spécial» très généreux. Les séparatistes ont rejeté ces propositions, organisant leurs propres élections législatives et présidentielles le 2 novembre, avant de demander leur rattachement à la Russie. Le Kremlin a refusé, contrairement à ce qu’il avait fait au printemps avec la Crimée, annexée de jure. Le Kremlin n’en continue pas moins d’exiger une très large autonomie pour les zones sous contrôle rebelle et l’élection des gouverneurs régionaux (actuellement nommés par Kiev) afin ainsi de légitimer les leaders des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. L’accord prévoit en outre que les milices des séparatistes restent en charge de l’ordre public dans les zones sous leur contrôle. D’où la crainte de Kiev, qui dénonce une volonté de Moscou de vassaliser leur pays en gardant le contrôle direct ou indirect d’une partie de son territoire.
Enfin, sur le fond, les choix stratégiques des autorités pro-européennes de Kiev et ceux de l’homme fort du Kremlin sont difficilement conciliables. Les premières veulent une démocratie à l’occidentale et une Ukraine associée à l’Union européenne, même si les «28» rejettent toute idée d’une adhésion. Vladimir Poutine en revanche veut rétablir son influence dans l’ex-espace soviétique et garder des moyens de contrôler le futur de cette république qui avait par référendum voté à plus de 80% pour l’indépendance lors de l’éclatement de l’URSS. D’où la crainte qu’un éventuel accord ne reste qu’un chiffon de papier.
MArc Semo
Liberation
Le pire a été évité, c’est-à-dire un échec pur et simple qui aurait signifié une immédiate escalade de la guerre en Ukraine. Mais l’accord obtenu à l’arraché à Minsk après dix-sept heures de négociations entre le président français, François Hollande, le Russe Vladimir Poutine, l’Ukrainien Petro Porochenko et la chancelière allemande, Angela Merkel, semble bien bancal. Il ouvre peut-être la route à la paix mais les obstacles restent encore très nombreux. Prudente, la chancelière allemande affirme ne se faire «aucune illusion» et souligne «l’importance des efforts encore à faire». Plutôt optimiste à la sortie des négociations, affirmant son espoir «d’un règlement politique global», il s’est montré beaucoup plus perplexe ensuite, affirmant que «l’accord est plus qu’une lueur d’espoir», mais qu’il ne «garantit pas un succès durable».
En revanche, les dirigeants des rebelles de l’Est exultent, ainsi que le président russe. «Un accord sur l’essentiel a été trouvé», a déclaré Vladimir Poutine, ajoutant : «Cela n’a pas été ma meilleure nuit, mais c’est une bonne matinée.» Certes, l’intégrité territoriale de l’Ukraine est solennellement rappelée. Mais, de fait, une des questions les plus cruciales, celle d’un contrôle international des 400 kilomètres de frontière entre la Russie et les zones séparatistes ne se concrétisera qu’à la fin de tout le processus, si celui-ci va jusqu’au bout. Et, jusque-là, le matériel militaire comme les «volontaires» – les soldats russes – pourront affluer. Pendant les pourparlers, 50 chars russes ont d’ailleurs pénétré en Ukraine depuis la Russie, selon Kiev.
La négociation s’est déroulée à deux niveaux. D’un côté, ces quatre dirigeants, dont le parrainage au plus haut niveau donne tout son poids au compromis négocié sur la base des accords déjà signés à Minsk en septembre. De l’autre, le «groupe de contact», réunissant sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) des émissaires de Kiev, de Moscou et les représentants des rebelles séparatistes qui se sont engagés sur une feuille de route précise afin d’arrêter un conflit qui a déjà fait plus de 5 300 morts en dix mois.
Accords sur la Géorgie jamais appliqués
Cette feuille de route porte sur un cessez-le-feu en vigueur dès dimanche et sur le retrait des belligérants et de leurs armes lourdes permettant la création d’une zone tampon élargie, passant de 30 kilomètres à 50 à 70 kilomètres autour de la ligne de front. Les combats pourraient donc assez vite s’arrêter, mais le plus difficile commence après. D’où la grande prudence de Berlin comme de Kiev. Les précédents n’incitent guère à l’optimisme. Les accords de paix de 2008 en Géorgie, obtenus à l’époque à l’arraché par Nicolas Sarkozy alors que Moscou clamait vouloir pousser son offensive jusqu’à Tbilissi, n’ont jamais été appliqués même si la guerre s’est arrêtée. Cette petite république du Caucase est toujours amputée de près d’un quart de son territoire et Moscou a en outre reconnu après l’indépendance des autoproclamées républiques d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, où reste stationnée l’armée russe.
Dans le cas précis de l’Ukraine, les premiers accords de Minsk n’ont jamais été respectés et les rebelles ont conquis 500 km2 depuis leur signature. Ils prévoyaient notamment un cessez-le-feu immédiat, l’instauration d’une zone démilitarisée, le retrait des armes lourdes, le départ des «forces étrangères» – en clair des soldats russes –, le contrôle de la frontière russo-ukrainienne, un statut pour les zones aux mains des séparatistes tout en préservant l’intégrité territoriale de l’Ukraine. C’est ce que reprend le nouveau plan se veut plus précis et contraignant et, surtout, il cherche à «engager» Poutine dans sa mise en œuvre. Mais celui-ci n’a par exemple pas signé formellement le document de soutien à la feuille de route.
Des stratégies difficilement conciliables
Kiev et Moscou n’auraient de plus pas réussi à se mettre d’accord sur un des points les plus cruciaux à long terme : le statut des zones aux mains des séparatistes. Tout reste dans le flou même si le mot «fédéralisation», refusé par les Ukrainiens, ne figure pas dans le texte final. Les accords de Minsk prônaient un «dialogue national inclusif» et une réelle décentralisation du pouvoir. Les autorités réformistes de Kiev ont fait une loi sur un «statut spécial» très généreux. Les séparatistes ont rejeté ces propositions, organisant leurs propres élections législatives et présidentielles le 2 novembre, avant de demander leur rattachement à la Russie. Le Kremlin a refusé, contrairement à ce qu’il avait fait au printemps avec la Crimée, annexée de jure. Le Kremlin n’en continue pas moins d’exiger une très large autonomie pour les zones sous contrôle rebelle et l’élection des gouverneurs régionaux (actuellement nommés par Kiev) afin ainsi de légitimer les leaders des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. L’accord prévoit en outre que les milices des séparatistes restent en charge de l’ordre public dans les zones sous leur contrôle. D’où la crainte de Kiev, qui dénonce une volonté de Moscou de vassaliser leur pays en gardant le contrôle direct ou indirect d’une partie de son territoire.
Enfin, sur le fond, les choix stratégiques des autorités pro-européennes de Kiev et ceux de l’homme fort du Kremlin sont difficilement conciliables. Les premières veulent une démocratie à l’occidentale et une Ukraine associée à l’Union européenne, même si les «28» rejettent toute idée d’une adhésion. Vladimir Poutine en revanche veut rétablir son influence dans l’ex-espace soviétique et garder des moyens de contrôler le futur de cette république qui avait par référendum voté à plus de 80% pour l’indépendance lors de l’éclatement de l’URSS. D’où la crainte qu’un éventuel accord ne reste qu’un chiffon de papier.
MArc Semo
Liberation
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