Après la Syrie et le Nigéria, Da'ech essaime en Libye. L’Egypte, la Tunisie et l’Algérie sont menacées. Son objectif, en Afrique du Nord comme ailleurs, consiste à semer le chaos.
Fidèle à sa ligne de conduite, Daech sème les germes d’un conflit confessionnel tout en s’attaquant à ce qui reste de l’Etat libyen. Dimanche, l’organisation terroriste a diffusé une vidéo montrant la décapitation de 21 coptes égyptiens auparavant enlevés en Libye. Selon la vidéo, les victimes ont été égorgées sur la plage de Tripoli. Les images terrifiantes ont été tournées avec une mise en scène qui ressemble à celle des précédents films de Daech, jusqu’à la couleur de la tenue orangée dont ont été affublées les victimes, travailleurs émigrés en Libye.
Dans un article publié la veille, le New York Times estimait que l’Algérie et l’Egypte sont désormais directement menacées. Avant l’annonce de l’exécution, l’Italie a évacué 150 de ses ressortissants et fermé son ambassade à Tripoli. Rome attire l’attention de la communauté internationale sur la gravité de la situation sécuritaire en Libye.
Publié en 2006 et intitulé "La gestion de la sauvagerie, la Phase la plus dangereuse par laquelle passera la oumma" sous la signature d’Aboubakr Naji, ce document de plus de 250 pages est un outil idéologique et militaire à l’usage des cadres du mouvement djihadiste. Aboubakr Naji ‘nest pas une figure connue de la mouvance jihadiste. Il s’agissait probablement d’un pseudonyme. La publication s’est faite sous la forme de plusieurs textes postés sur des forums jihadistes.
Le document propose une grille de lecture de la situation internationale et des rapports de force au Moyen-Orient. Il esquisse les phases du combat et de la consolidation du califat. Les étapes de la prise de pouvoir qu’il décrit éclairent parfaitement la stratégie de Daech depuis la proclamation de l’Etat islamique en juin 2014.
Le document commence par la remise en cause des accords anglo-français Sykes-Picot de mai 1916 qui ont défini les frontières des Etats du Levant et de la péninsule arabique au moment de la chute de l’Empire ottoman.
Très critique sur Sykes-Picot, le document est sur ce point en accord avec le président américain de l’époque, Woodrow Wilson dont les conseillers King et Crane s’étaient montrés très sceptiques sur les choix diplomatiques et militaires de Paris et de Londres.
Les Américains estimaient en 1919 que le tracé artificiel des frontières ne tenait pas compte de la multiplicité des ethnies et des religions en Terre sainte et au-delà. Pour les islamistes, les frontières des accords Sykes-Picot divisaient le monde musulman en de multiples Etats artificiels.
Pour l’auteur du document, «si nous réussissons cette gestion [de la sauvagerie], cela nous conduira à l’établissement de l’Etat islamique attendu depuis la chute du califat».
La gestion de l’état de sauvagerie est constituée par le moment où les combattants djihadistes contrôlent un territoire et qu’il leur faut commencer à assurer les services de la vie quotidienne tout en renforçant leurs bases et conduire les combats.
Analyse et proposition de vision se mêlent au réalisme et à la fermeté. «Si nous échouons, écrit ainsi l’auteur du document, cela ne signifie pas la fin. Mais cet échec mènera plutôt à une augmentation de la sauvagerie».
«Ceci n’est pas la pire des choses qui puisse arriver, poursuit Aboubakr Naji, car les pires niveaux de sauvagerie sont moindres que la stabilité sous les ordres des non-croyants»,assène-t-il. L’ouvrage part donc des accords de Sykes-Picot qui ont remplacé l’ordre ottoman par de grands ou de petits Etats gouvernés par des militaires ou des civils soutenus par des militaires avant de passer à une analyse l’ordre mondial post-1945.
Ici une analyse anti-impérialiste est proposée avec une critique du monde bipolaire de la guerre froide dirigé par Washington et Moscou et leurs alliés. L’Organisation des Nations Unies est présentée comme l’instrument de gestion et la trompeuse vitrine du nouvel ordre mondial.
Dans le cas du monde arabo-musulman, le document décrit des Etats gouvernés par des individus et/ou des armées soutenus par l’une ou l’autre grande puissance.
Les exemples des insurrections armés en Amérique latine dans les années 1950 et 1960, en Algérie dans les années 1990 ou en Afghanistan depuis 1979 sont repris pour illustrer le combat djihadiste avec une insistance sur le cas afghan. Car c’est là que les talibans ont défait l’armée soviétique et où ils continuent de donner du fil à retordre à l’armée américaine et à ses alliés.
Rien en revanche n’est dit sur l’échec de ces mêmes insurrections en Amérique latine, celles du Che ou du Sentier lumineux. Rien non plus sur le combat nationaliste du FLN qui n’avait rien de religieux ou le combat des communistes vietnamiens contre les Français d’abord, puis les Américains. Le combat des Tchéchènes est lui aussi passé sous silence.
L’ouvrage n’en tente pas moins d’offrir une lecture du monde avec une trame centrale qui est celle «d’affaiblir les Etats-Unis et l’Occident en les engageant dans diverses guerres».
Le premier point important de «la gestion de la sauvagerie» consiste dans le déploiement du «pouvoir de l’humiliation et de l’affaiblissement».
Il faut porter des coups à l’adversaire, l’humilier, le harceler, disperser ses forces, l’affaiblir. Une stratégie insurrectionnelle qui vise «à exposer la faiblesse des Etats-Unis en le poussant à abandonner la guerre par procuration».
En soi, la gestion de la sauvagerie consiste à fournir dans les «territoires libérés» la sécurité aux habitants; à leur fournir nourriture et soins médicaux, des services éducatifs, à monter un réseau d’espionnage, à sécuriser les frontières.
Cela rappelle les images des boulangeries à Rakkah aux premiers jours de la proclamation de l’Etat islamique en juillet 2015 où du pain était offert gratuitement aux indigents et où l’abondance du pain était une image symbolique forte. Autre action à mener: établir la justice de la charia, chose faite du côté de Rakkah notamment.
Boulangerie et charia illustrent des capacités de management et un embryon d’Etat. L’intérêt de la propagande dans ce cas est de monter que les combattants d’Al-Baghdadi mettent en œuvre leur programme. Le document rappelle que cette situation a existé dans les premières années de l’Hégire au moment de la hijra vers Médine.
Le document donne des conseils pour le choix des «Etats prioritaires», «comment il faut isoler des zones vulnérables» et les facteurs à prendre en considération: la faiblesse du régime, un pouvoir central faible, «la présence d’expressions djihadistes» ou encore la possibilité de distribuer des armes dans la région.
Les deux objectifs principaux de la gestion de la sauvagerie restent «l’affaiblissement des forces de l’ennemi et celles des régimes qui collaborent avec lui» et «attirer, recruter» des jeunes vers le combat djihadiste en attirant leur attention «en menant des opérations qualitatives» (sic).
On comprend l’usage propagandiste fait des attentats de Paris des 7, 8 et 9 janvier derniers, des vidéos sur Youtube à l’interview de Hayat Boumedienne dans le magazine des sympathisants d’Al-Baghdadi la semaine dernière.
Dans ce document, les combattants de l’Etat islamique se montrent aussi «flexibles» : il s’agit de convaincre et de dissuader les opposants; d’amener l’ennemi à chercher le compromis tandis que la formation de coalitions n’est pas interdite.
Dans ce travail de sape des «Etats prioritaires», il existe également des cibles prioritaires: le sabotage et le contrôle des ressources pétrolières, le combat militaire et une stratégie médias dirigés vers la hiérarchie intermédiaire des corps de sécurité et de l’armée.
Enfin comme dans toute organisation qui veut se développer et cultiver la fidélité et l’efficacité de ses troupes, les plans de carrière ne sont pas oubliés. Maîtriser le management est un must. Une très longue section de l’ouvrage est consacrée à la gestion, au management et aux cadres administratifs.
Al-Baghdadi et ses sympathisants savent qu’en définitive, la stabilité et la réussite de son organisation politique seront jugés à la capacité à délivrer des services de base et à satisfaire des besoins de sécurité, alimentaires, de santé et éducatifs.
Par Jamal Amiar
medias24
Fidèle à sa ligne de conduite, Daech sème les germes d’un conflit confessionnel tout en s’attaquant à ce qui reste de l’Etat libyen. Dimanche, l’organisation terroriste a diffusé une vidéo montrant la décapitation de 21 coptes égyptiens auparavant enlevés en Libye. Selon la vidéo, les victimes ont été égorgées sur la plage de Tripoli. Les images terrifiantes ont été tournées avec une mise en scène qui ressemble à celle des précédents films de Daech, jusqu’à la couleur de la tenue orangée dont ont été affublées les victimes, travailleurs émigrés en Libye.
Dans un article publié la veille, le New York Times estimait que l’Algérie et l’Egypte sont désormais directement menacées. Avant l’annonce de l’exécution, l’Italie a évacué 150 de ses ressortissants et fermé son ambassade à Tripoli. Rome attire l’attention de la communauté internationale sur la gravité de la situation sécuritaire en Libye.
La stratégie de Da'ech
Publié en 2006 et intitulé "La gestion de la sauvagerie, la Phase la plus dangereuse par laquelle passera la oumma" sous la signature d’Aboubakr Naji, ce document de plus de 250 pages est un outil idéologique et militaire à l’usage des cadres du mouvement djihadiste. Aboubakr Naji ‘nest pas une figure connue de la mouvance jihadiste. Il s’agissait probablement d’un pseudonyme. La publication s’est faite sous la forme de plusieurs textes postés sur des forums jihadistes.
Le document propose une grille de lecture de la situation internationale et des rapports de force au Moyen-Orient. Il esquisse les phases du combat et de la consolidation du califat. Les étapes de la prise de pouvoir qu’il décrit éclairent parfaitement la stratégie de Daech depuis la proclamation de l’Etat islamique en juin 2014.
Le document commence par la remise en cause des accords anglo-français Sykes-Picot de mai 1916 qui ont défini les frontières des Etats du Levant et de la péninsule arabique au moment de la chute de l’Empire ottoman.
Les djihadistes et les Américains critiquent les accords Sykes-Picot pour raisons différentes
Très critique sur Sykes-Picot, le document est sur ce point en accord avec le président américain de l’époque, Woodrow Wilson dont les conseillers King et Crane s’étaient montrés très sceptiques sur les choix diplomatiques et militaires de Paris et de Londres.
Les Américains estimaient en 1919 que le tracé artificiel des frontières ne tenait pas compte de la multiplicité des ethnies et des religions en Terre sainte et au-delà. Pour les islamistes, les frontières des accords Sykes-Picot divisaient le monde musulman en de multiples Etats artificiels.
Pour l’auteur du document, «si nous réussissons cette gestion [de la sauvagerie], cela nous conduira à l’établissement de l’Etat islamique attendu depuis la chute du califat».
La gestion de l’état de sauvagerie est constituée par le moment où les combattants djihadistes contrôlent un territoire et qu’il leur faut commencer à assurer les services de la vie quotidienne tout en renforçant leurs bases et conduire les combats.
Analyse et proposition de vision se mêlent au réalisme et à la fermeté. «Si nous échouons, écrit ainsi l’auteur du document, cela ne signifie pas la fin. Mais cet échec mènera plutôt à une augmentation de la sauvagerie».
«Ceci n’est pas la pire des choses qui puisse arriver, poursuit Aboubakr Naji, car les pires niveaux de sauvagerie sont moindres que la stabilité sous les ordres des non-croyants»,assène-t-il. L’ouvrage part donc des accords de Sykes-Picot qui ont remplacé l’ordre ottoman par de grands ou de petits Etats gouvernés par des militaires ou des civils soutenus par des militaires avant de passer à une analyse l’ordre mondial post-1945.
Ici une analyse anti-impérialiste est proposée avec une critique du monde bipolaire de la guerre froide dirigé par Washington et Moscou et leurs alliés. L’Organisation des Nations Unies est présentée comme l’instrument de gestion et la trompeuse vitrine du nouvel ordre mondial.
Dans le cas du monde arabo-musulman, le document décrit des Etats gouvernés par des individus et/ou des armées soutenus par l’une ou l’autre grande puissance.
Les exemples des insurrections armés en Amérique latine dans les années 1950 et 1960, en Algérie dans les années 1990 ou en Afghanistan depuis 1979 sont repris pour illustrer le combat djihadiste avec une insistance sur le cas afghan. Car c’est là que les talibans ont défait l’armée soviétique et où ils continuent de donner du fil à retordre à l’armée américaine et à ses alliés.
Rien en revanche n’est dit sur l’échec de ces mêmes insurrections en Amérique latine, celles du Che ou du Sentier lumineux. Rien non plus sur le combat nationaliste du FLN qui n’avait rien de religieux ou le combat des communistes vietnamiens contre les Français d’abord, puis les Américains. Le combat des Tchéchènes est lui aussi passé sous silence.
L’ouvrage n’en tente pas moins d’offrir une lecture du monde avec une trame centrale qui est celle «d’affaiblir les Etats-Unis et l’Occident en les engageant dans diverses guerres».
La victoire au bout du fusil: humilier et affaiblir
Le premier point important de «la gestion de la sauvagerie» consiste dans le déploiement du «pouvoir de l’humiliation et de l’affaiblissement».
Il faut porter des coups à l’adversaire, l’humilier, le harceler, disperser ses forces, l’affaiblir. Une stratégie insurrectionnelle qui vise «à exposer la faiblesse des Etats-Unis en le poussant à abandonner la guerre par procuration».
En soi, la gestion de la sauvagerie consiste à fournir dans les «territoires libérés» la sécurité aux habitants; à leur fournir nourriture et soins médicaux, des services éducatifs, à monter un réseau d’espionnage, à sécuriser les frontières.
Cela rappelle les images des boulangeries à Rakkah aux premiers jours de la proclamation de l’Etat islamique en juillet 2015 où du pain était offert gratuitement aux indigents et où l’abondance du pain était une image symbolique forte. Autre action à mener: établir la justice de la charia, chose faite du côté de Rakkah notamment.
Boulangerie et charia illustrent des capacités de management et un embryon d’Etat. L’intérêt de la propagande dans ce cas est de monter que les combattants d’Al-Baghdadi mettent en œuvre leur programme. Le document rappelle que cette situation a existé dans les premières années de l’Hégire au moment de la hijra vers Médine.
Comment sont choisis les pays ciblés
Le document donne des conseils pour le choix des «Etats prioritaires», «comment il faut isoler des zones vulnérables» et les facteurs à prendre en considération: la faiblesse du régime, un pouvoir central faible, «la présence d’expressions djihadistes» ou encore la possibilité de distribuer des armes dans la région.
Les deux objectifs principaux de la gestion de la sauvagerie restent «l’affaiblissement des forces de l’ennemi et celles des régimes qui collaborent avec lui» et «attirer, recruter» des jeunes vers le combat djihadiste en attirant leur attention «en menant des opérations qualitatives» (sic).
On comprend l’usage propagandiste fait des attentats de Paris des 7, 8 et 9 janvier derniers, des vidéos sur Youtube à l’interview de Hayat Boumedienne dans le magazine des sympathisants d’Al-Baghdadi la semaine dernière.
Dans ce document, les combattants de l’Etat islamique se montrent aussi «flexibles» : il s’agit de convaincre et de dissuader les opposants; d’amener l’ennemi à chercher le compromis tandis que la formation de coalitions n’est pas interdite.
Dans ce travail de sape des «Etats prioritaires», il existe également des cibles prioritaires: le sabotage et le contrôle des ressources pétrolières, le combat militaire et une stratégie médias dirigés vers la hiérarchie intermédiaire des corps de sécurité et de l’armée.
Enfin comme dans toute organisation qui veut se développer et cultiver la fidélité et l’efficacité de ses troupes, les plans de carrière ne sont pas oubliés. Maîtriser le management est un must. Une très longue section de l’ouvrage est consacrée à la gestion, au management et aux cadres administratifs.
Al-Baghdadi et ses sympathisants savent qu’en définitive, la stabilité et la réussite de son organisation politique seront jugés à la capacité à délivrer des services de base et à satisfaire des besoins de sécurité, alimentaires, de santé et éducatifs.
Par Jamal Amiar
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