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Politique économique du Brésil : entre orthodoxie macroéconomique/financière et volontarisme pragmatique

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  • Politique économique du Brésil : entre orthodoxie macroéconomique/financière et volontarisme pragmatique

    Alors que la croissance s’essouffle (2.7 % en 2011, 0.9 % en 2012 et 3.0 % en 2013 – prévision FMI – ), la classe moyenne du pays, qui représente aujourd’hui 53 % de la population, s’impatiente face à la stagnation du pouvoir d’achat, les coûts exorbitants de la Coupe du monde de football de l’été 2014 et des J.O. de l’été 2016 ; alors que les infrastructures en termes d’éducation, de logement, de santé et de transports ne sont pas assurées (émeutes et guérillas urbaines de juin à septembre 2013).

    5e pays au monde en termes de superficie et de population, le Brésil occupe la 6e place en termes de PIB exprimé en $ US courants (soit 2 457 milliards derrière la France à 2 739 milliards), et à la 7e place pour le PIB PPA (2 466 milliards, après la Russie : 2 641 milliards, mais devant la France : 2 290 milliards).

    1) Une politique macroéconomique orthodoxe, mais protectionniste

    Avec une croissance du PIB de 4.8 % sur la période 2004-2008, le Brésil paye en 2009 le coût de la crise internationale (recul, faible, de 0.6 %), pour rebondir en 2010 (+7.5 %). Alors que la demande mondiale adressée au Brésil diminue de 13 % en volume (15 à 16 % en valeur), les exportations en valeur ne reculent que de 10.7 % ce qui signifie que le pays continue à gagner des parts de marché, même dans un environnement hostile.

    À noter la très forte élasticité des imports par rapport au PIB puisque la croissance de 7.5 % en 2010 s’accompagne d’une hausse des importations de 38.2 %, preuve que l’offre endogène ne couvre pas les besoins du pays. Cette évolution rend compte du protectionnisme grandissant du Brésil.

    À ce titre, les Rapports de l’OMC de 2011/2012 recensent 81 mesures protectionnistes – 192 pour l’Argentine – (restrictions quantitatives dues aux clauses de sauvegarde et actions antidumping, contingents tarifaires et "volontary restraint agreements" [VRA], comme l’accord automobile avec le Mexique, qui fait l’objet d’un commerce administré entre les deux pays depuis juillet 2012, au sein pourtant d’un accord de libre-échange bilatéral).

    Ce VRA s’inspire de l’accord automobile intra-Mercosul entre l’Argentine et le Brésil, qui prévoit des tarifs douaniers, des contenus locaux et des taux de TVA différenciés selon les types de modèles (pièces détachées, CKD, véhicules assemblés).

    La croissance de l’activité sur la période 2008-2013 (3.3 % en moyenne annuelle) a fait baisser le taux de chômage de 8.1 % en 2009 – il était de 12.7 % en 2003 – à 5.5 % en 2012 (pour 6 % prévu sur 2013 par le FMI). La maitrise des tensions inflationnistes reste par ailleurs au cœur de la politique économique brésilienne. L’inflation ressort à 5.6 % sur la période 2008-2013, pour remonter à 6.2 % en 2013.

    Une telle dégradation guide la politique monétaire adoptée par le gouvernement, qui vise à augmenter les taux directeurs pour brider l’activité (ils sont de 10.5 % en février 2012, pour descendre à 7.25 % en septembre 2012, et remonter à 8.5 % en septembre 2013). La fin potentielle du "QE" américain (anticipations du ralentissement du rythme mensuel d’achat d’obligations par le Trésor US), va dans le sens contraire et alimente les craintes d’une hausse des taux aux USA qui jouent dans le sens d’une dépréciation accrue du réal brésilien (comme de la roupie indienne et du rouble russe).

    L’effort d’investissement du pays (taux d’investissement de 18.5 % du PIB) n’est par couvert sur la période considérée par l’épargne extérieure (16.4 % en moyenne) qui reste faible, ce qui conduit à la dégradation de la balance courante du pays, quoique maitrisée (-2.4 % en 2013). La politique budgétaire reste orthodoxe, puis que le déficit est contenu à -2.3 % en moyenne annuelle (-1.2 % en 2013).

    Fait remarquable, le Brésil se désendette sur la période. Le ratio dette nette/PIB ressort à 37.9 % en 2008 pour 33.5 % en 2013, après avoir atteint 42.2 % l’année de la récession. Le pays sait donc se développer sur une politique très saine qui sauvegarde l’équilibre des grands fondamentaux. Le Brésil, qui avait émergé une première fois dans les années 60 et 70, s’était heurté au "mur" de la dette dans les années 80. La leçon a bien été retenue.

    2) À l’inverse de la Chine, qui est tirée par les exportations et l’investissement public, l’économie brésilienne reste orientée par la satisfaction de la demande intérieure

    Sur moyenne période, le taux d’ouverture du Brésil est proche de 9.5 % du PIB (contre 18 % pour la Chine et 22 % pour la France). Le dynamisme de la demande intérieure s’articule autour des axes suivants :

    Sur la période 2007-2010 est lancée le PAC (Plan d’accélération de la croissance) à hauteur de 180 milliards d’euros autour d’une politique d’investissements dans les industries de réseaux (énergie, transports, logements, assainissement des déchets). La PAC II prend le relai avec une enveloppe budgétaire de 415 milliards d’euros sur la période 2011-2014.

    La BNDES (Banque National de Développement) concentre son action autour de six secteurs stratégiques-clés : pétrole et gaz, pharmacie/biotechnologies, NTIC/software, plastique, aéronautique, ingénierie. Cette politique cherche entre autres à se focaliser sur les secteurs riches en termes de R&D (le Brésil est très en retard au regard des ratios chercheurs/1 000 habitants et en termes de dépôts de brevets).

    Elle a mis en place une politique basée sur des incitations fiscales (niches), des taux d’intérêt bonifiés, l’association avec des fonds d’investissement privé et les partenariats stratégiques avec l’IBAS dans un premier temps (Triangle Inde/Brésil/Afrique du Sud – ou "G3", fondé en juin 2003, et qui a disparu en avril 2011 avec l’intégration de l’Afrique du Sud au sein des BRICS lors du Sommet de Sanya [Hainan, Chine]).

    Lancé en 2003 par le Président Lula da Silva, le programme "Bolsa Familia" (bourse familiale) joue comme un important soutien keynésien à l’activité. Étendu et élargi en 2009, il aurait conduit à sortir de la pauvreté environ 45 millions de Brésiliens sur dix ans. Conçue comme un transfert financier conditionné de revenus (création de PME, scolarisation des enfants – arrêt du travail infantile –, couverture vaccinale, surveillance nutritionnelle – objectif de "Faim Zéro" –, tests pré et postnatals, etc.), sa philosophie répond aux dix Objectifs pour le Développement de l’ONU via un changement d’une politique d’assistance à une politique de développement du capital humain.

    Ce programme a connu un effet de levier très fort, puisqu’il n’a représenté que 5 % des dépenses sociales, soit moins de 2 % du PIB. Il a joué comme un filet de sécurité pour les familles dont les chefs ont plus de 65 ans et qui ont un revenu inférieur au quart du salaire minimum (étendue discrétionnairement par les provinces aux familles nombreuses).

    Enfin, le gouvernement a mené une politique industrielle en vue de la constitution de "champions nationaux" : Petrobras (pétrole, 10e capitalisation boursière mondiale) ; Vale (mines) ; Oderbrecht (génie civil), ETH energia (biocarburants) ; Embraer (aéronautique).

    La suite...........
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  • #2
    1) Un gouvernement qui fait preuve d’un grand volontarisme pragmatique

    Le Brésil a été retenu pour l’organisation du Mundial de football à l’été 2014 (12 villes concernées), et des J.O. de l’été 2016 (concentrés à Rio). Ces grands évènementiels devraient générer une croissance additionnelle du PIB de l’ordre de 3 à 4 % sur dix ans (injection de 70 milliards dans l’économie). Le coût à court terme du Mundial s’élèverait quant à lui à près de 15 milliards $ US (contre 200 milliards prévus pour le Qatar en 2022). L’impact n’est toutefois pas clair, puisque les J.O. de Londres n’ont dégagé que 10 milliards de £ de retombées économiques. Une telle incertitude a alimenté les émeutes pendant quelques mois à Rio et Sao Paulo.

    Les autorités monétaires se sont employées à une gestion dynamique de la valeur du Réal. La parité de cette devise est fortement corrélée avec les cours mondiaux des matières premières agricoles, du marché de l’énergie et des minerais. Elles ont eu à faire face à des attaques spéculatives comme à la maîtrise de l’inflation. La Banque Centrale du Brésil a débloqué 50 milliards $ US sous forme de swaps hebdomadaires. Le cours Réal/$ US de 2.04 BRL en juillet 2013 a connu une dépréciation de 22 % (1.6 BRL en juillet 2011).

    Depuis, elles visent à faire évoluer le Réal dans un "tunnel" compris entre 2 et 2.5 BRL. Vis-à-vis de l’euro, la parité passe de 1euro=3.12 BRL en novembre 2013, contre 2.25 BRL en janvier 2012 (soit –28 %), rétablissant en grande partie la compétitivité-prix et CSU du Brésil (qui contrecarre l’augmentation du salaire minimum de 8 à 9%/an), mise à mal par une période de surévaluation du réal par rapport à sa parité d’équilibre de long terme, dû à l’appréciation mécanique du taux de change effectif réel sous l’impact de l’effet Balassa-Samuelson (divergences de productivité entre les secteurs exposés et ceux abrités de la concurrence internationale).

    Le gouvernement a de ce fait conforté le jeu naturel des dotations factorielles du pays. Le Brésil est donc devenu "le grenier vert du monde". Le pays est de fait le premier exportateur mondial de soja (Chine), de café, de sucre, d’éthanol, de volailles, d’oranges et dans les cinq premiers pour le tabac, le bois (bassin amazonien), les bananes, le maïs, les ananas et le poivre. Si l’agriculture représente 6.6 % du PIB, elle génère 40 % des exports et si la croissance du PIB n’a été que de 0.9 % en 2012, la VA du secteur agricole a crû de 9.6 %. Il faut retenir que 3.5 % des exploitations occupe la moitié de la SAU, et que le commerce agricole vers la Chine et l’Inde s’inscrivait dans un trend de +26 %/an sur la période 2001-2006, rythme approximativement divisé par deux jusqu’à 2013.

    Par ailleurs, il est le second exportateur mondial de fer, d’aluminium et de houille et veut atteindre l’autosuffisance énergétique à moyen terme (augmentation de la production de 2.5 millions de barils/jour en 2013 à 4 millions à l’horizon 2020 aux termes d’un investissement sur cinq ans par Petrobras à hauteur de 225 milliards $ US). Les secteurs de l’énergie/mines représentent 29 % des exports, pour 20 % des imports, les ratios pour le secteur manufacturier étant respectivement de 36 % et 74 %. Parmi celles là, le sous-secteur machines-outils et autres équipements des entreprises compte pour 40 % (en provenance d’Allemagne et du Japon). Par ailleurs, le Brésil est bien présent dans les domaines de l’industrie textile, l’automobile, l’aéronautique/aérospatial, la sidérurgie, la chimie et les télécommunications. En matière de stocks d’IDE, le Brésil est passé de 160 milliards $ US en 2005 à 660 milliards en 2011 et 720 milliards en 2012 (en provenance des États-Unis – 16 %, d’Espagne [13 %], la France occupant la 5e place).

    2) Un souci constant de rééquilibrer ses relations extérieures

    Les exportations du Brésil étaient tournées en 2012 à hauteur de 21 % sur l’Amérique du Sud (dont 9 % à destination du Mercosul), 22 % vers l’UE, 15 % vers la Chine, et 9 % vers les États-Unis. Si le Brésil a toujours été réticent en ce qui concerne la ZLEA (zone de libre-échange des Amériques) lancée à l’initiative des USA au milieu des années 90, elle a plutôt tablé sur le Mercosul (élargi au Venezuela en juillet 2012 et encore étendu en octobre 2013 à la Bolivie et à l’Équateur – soit pour les deux premiers, les tenants de la "révolution bolivarienne" de Hugo Sanchez et Evo Morales). L’UNASUR (12 pays de l’Union des Nations sud-américaines) constitue aussi un axe intéressant de la politique commerciale brésilienne récente.

    Les négociations portant sur un accord de libre-échange UE/Mercosul se sont arrêtées une fois en 1999 et l’autre en 2004. L’ampleur des divergences tient au volet agricole de l’accord (Argentine). À la Ministérielle Mercosul de 2012, les parties prenantes ont donné mandat au Brésil pour le représenter. On s’achemine donc vers un accord bilatéral UE/Brésil dont les négociations ont redémarré en octobre 2013 en vue de la tenue d’un Sommet à Bruxelles en février 2014.

    La DG3 (Industrie) de l’UE négocie conjointement avec la DG1 (Politique commerciale) du fait des intérêts majeurs tant de la grande industrie européenne : Fiat, VW, Telefonica, Alstom, Renault/PSA, etc. que des PME, de l’e-commerce et de la facilitation des échanges. Par ailleurs, le Brésil est le 5e investisseur international dans l’UE.

    Le Brésil est pressé de conclure, car, selon toute logique, le classement par la Banque Mondiale de l’Argentine, du Brésil et du Venezuela en "pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure" en 2013, devrait entrainer mécaniquement des baisses de tarifs douaniers au titre du système des préférences généralisées (SPG) en vigueur dans l’UE dès le 1er janvier 2014.

    À noter que les échanges commerciaux intra-Mercosul ont baissé de 11 % en 2011 et 2012 du fait du ralentissement conjoncturel récessif en Europe, du moindre dynamisme des USA et de la décélération de la demande chinoise. À cet égard, la Chine a proposé de lancer des négociations en vue d’instaurer un accord de libre-échange avec le Mercosul, pays qui intéresse le Brésil au premier chef, soit un nouvel arbitrage Europe/Asie.

    En outre, la nomination de M. Roberto Azevedo, Représentant permanent du Brésil à l’OMC depuis 16 ans comme DG de cette Organisation confère une responsabilité supplémentaire à ce pays.

    Enfin, la volonté de développer le commerce "Sud-Sud" du Président Lula da Silva s’est fixée sur le continent africain depuis 2003 (parallèlement à l’IBAS). L’Afrique est ainsi devenue le pôle majeur de l’influence brésilienne dans le monde : création d’un ministère des Affaires étrangères ad hoc pour le continent, politique de développement intense des liens bilatéraux (11 visites d’État), "vente de la Bolsa famila" à l’Afrique lusophone (Angola, Mozambique), mais aussi au Kenya, au Ghana, et en Tanzanie.

    Comme on le voit, l’exécutif brésilien a toujours recherché une voie de croissance originale, à la définition constante d’une politique commerciale équilibrée vis-à-vis des USA, de l’UE, des grands émergents (Chine, Inde, Afrique du Sud), et du commerce "sud-sud" (Afrique). L’équation personnelle de M. Lula da Silva, ancien syndicaliste, rentrait pour beaucoup dans cette volonté. Il n’est pas sûr que Mme Dilma Rousseff reprenne le flambeau de la construction d’une solidarité effective notamment entre grands émergents.

    Sur le long terme, l’alliance de "la ferme du monde" d’avec "l’atelier du monde" (Chine) risque d’être féconde pour les deux pays et de constituer une menace pour les puissances du XXe siècle, l’avenir appartenant aux pays continents pour ce qui est du XXIe siècle (USA, Canada, Australie, Inde, Russie, Brésil, Chine, Indonésie, Nigéria dans une moindre mesure), dans un contexte de transition énergétique accélérée.

    Jacques DELORME
    Les Echos
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