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Profession:Enseignant-commerçant

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    r Ahmed Tessa(*)
    Sur les ondes de la Chaîne III, dans l’émission «Point de vue» du mercredi 25 février 2015, les auditeurs ont pu écouter les accusations au vitriol d’un parent d’élève. Il a déversé sa colère sur le comportement indécent de cette minorité d’enseignants grévistes qui désertent l’établissement scolaire pour donner à leurs élèves rendez-vous dans des garages ou des appartements. Et ainsi beurrer leurs épinards et dévoyer la noble mission que la société leur a confiée. En écho à son cri du cœur, ici une nouvelle/témoignage puisée d’un vécu. Ou quand le réel rejoint et dépasse le fictif.
    Il est 17h, Mme Abou-Eddinar attend avec impatience. Elle ne cesse de regarder sa montre. Un caprice au prix fort que ce bijou de luxe acheté lors d’un de ses nombreux voyages en Europe. Son mari tarde à arriver et, pour elle, les affaires n’attendent pas. Le voilà, haletant et le front ruisselant de sueur.
    - M. Abou-Eddinar : Je m’excuse pour le retard, ce maudit proviseur m’a retenu pour une futilité alors que je venais de liquider, à la hâte, la dernière leçon du jour. Il y avait un de ces embouteillages ! Je ne pouvais m’y faufiler avec mon 4x4 de peur de me faire harponner par un de ces vieux tacots.
    - Mme Abou-Eddinar : fais vite, prends la caisse et la calculette. Les élèves doivent se poser des questions. Ils n’ont pas l’habitude de nous voir pointer en retard.
    - M. Abou-Eddinar : Ne t’en fais pas. Plus nous les tenons en haleine, plus ils s’accrochent à nous. C’est là une astuce du marketing moderne. Ne sais-tu pas qu’ils sont drogués aux cours payants ?
    - Mme Abou-Eddinar : C’est vrai, je l’ai remarqué. En classe, ils ne font que me questionner sur le contenu et la durée de la prochaine séance des cours payants. Les leçons en classe ne les intéressent plus.
    - M. Abou-Eddinar : Pas plus que nos tarifs. Les augmentations annuelles ne semblent pas les effrayer. Plus on élève le prix, plus ils en raffolent. Là aussi c’est un stratagème de marketing qui m’a été refilé par un spécialiste en la matière.
    Ce couple d’enseignants, monsieur est professeur de mathématiques et madame de physique, a trouvé un bon filon pour se construire une stature de bourgeois «à l’algérienne». Ils ont démarré leur commerce de cours payants dans un garage miteux, il y a de cela une dizaine d’années. Les jours de protestations syndicales, on les retrouve aux premiers rangs. Dans les assemblées générales d’enseignants, ils sont les plus zélés à exiger du syndicat la riposte maximale : la grève illimitée. La funeste «aataba» (seuil des programmes à charcuter) a été pour eux une aubaine inespérée. Après avoir convaincu leurs élèves de déserter les cours officiels au motif que le programme est trop chargé, le couple se frotte les mains. Dès la mi-avril, leur immeuble carbure sans discontinuer du matin jusque tard en soirée. Toutefois, ils prennent la précaution de pointer au lycée pour émarger la feuille de présence et faire constater à l’administration l’absence des élèves.
    Pour donner une bonne image de leur commerce, ils décident de rogner sur leur magot entassé dans un compte bancaire. Nos banques ne se soucient guère de la provenance des pactoles qui leur sont confiés. Les voilà à la tête d’un immeuble de trois étages flambant neuf en plein centre de cette coquette ville maritime, dans l’Est algérien. Sur le fronton de l’imposante bâtisse une enseigne lumineuse portant dans les deux langues cet intitulé : «Cours de soutien : de la crèche au lycée». Ils l’ont inauguré en grande pompe, en présence des autorités locales et du gratin des arrivistes de la région. Les journalistes avaient noté les chaudes embrassades du directeur de la banque, guère soucieux quant à l’origine des liasses d’argent déposées chaque matin par le fils aîné du couple. Tout comme le responsable des impôts de la ville, feignant d’ignorer la clandestinité de leur affaire et l’illégalité de l’enseigne. Les autres officiels présents ce jour-là ne sont pas en reste. Des voisins s’étonnent de la passivité des policiers devant ces scènes de dizaines d’enfants agglutinés devant les portes de l’immeuble et sortant, en foule, à des heures tardives.
    Ces autorités savent bien que ces deux fonctionnaires exercent une activité clandestine intégrée à ce marché informel que la loi décrète pourtant d’illégal et qui saigne le Trésor public par l’évasion fiscale. Mais leur hypocrisie n’a d’égale que leur cupidité puisque leurs enfants bénéficient gratuitement des prestations du couple. Leur discours est rodé : «Non ! Mme et M. Abou-Eddinar n’ont pas à être traités en vulgaires hors-la-loi. Ne sont-ils pas des éducateurs à qui nous confions nos enfants ?» Les petits vendeurs à la sauvette, les marchés ambulants sont les seuls clandestins concernés par la loi d’éradication du commerce informel. Par son faste protocolaire, cette réception a marqué les esprits de bon nombre de parents d’élèves. Un coup de pub extraordinaire qui fera décupler les inscriptions au grand dam de leurs concurrents, d’autres «en… saignants/commerçants».
    - Ils n’ont qu’à investir eux aussi ! s’écria M. Abou-Eddinar.
    Et à sa femme de renchérir :
    - Ce sont des radins. Ils ne respectent pas leur clientèle. Tant pis pour eux, ils se contenteront de donner des cours de soutien au sein des établissements et qui sont rémunérés par l’Etat.
    - Une misère ! répondit son époux.
    Les examens approchant à grands pas, notre couple de commerçants déploya les grands moyens. Et pour les aider, ils firent appel à l’un de leurs amis, «libraire à l’algérienne», qui tient en horreur les livres de littérature. Il s’est spécialisé dans le parascolaire ainsi que dans la vente de titres piratés et frauduleusement imprimés, notamment les annales du bac piratées. Le gros de son chiffre d’affaires, il le réalise lors de ses tournées dans les établissements scolaires. Les chefs d’établissement sont aux petits soins avec lui. Ils lui réservent la totalité de la subvention annuelle allouée par l’Etat. C’est de la sorte que les bibliothèques scolaires sont pleines à craquer de livres parascolaires truffés de fautes, mais très prisés par les candidats aux examens.
    Chez ce «libraire» futé, M. et Mme Abou-Eddinar achètent une grande quantité qu’ils distribuent gratuitement à leurs élèves/clients. Il faut dire que ce lot d’annales ne leur coûtera aucun sou. Le prix unitaire sera directement répercuté sur le tarif de l’année scolaire suivante. Personne – ni les élèves ni leurs parents — ne s’apercevra de l’arnaque.
    Cette clientèle est habituée à une augmentation automatique au début de chaque année scolaire. Rien ne se perd chez les Abou- Eddinar : tout se vend et tout est bénéfice. Dans leur délire de rapaces insatiables, nos deux comparses ont imaginé une formule imparable pour asseoir définitivement leur notoriété de «super-enseignants» qui trustent de brillants résultats. Ils précèdent les inscriptions de septembre par une phase sélective qui démarre début juillet, dès la réception des bulletins scolaires. Ils prennent soin d’exiger de leurs clients une copie pour ne retenir que ceux qui ont des moyennes excellentes ou à la limite bonnes. Et nul ne saura qu’un tri sélectif a eu lieu. D’où cette conversation insolite lors de l’une des rentrées de septembre :
    Un parent d’élève : Monsieur Abou-Eddinar, mon fils n’a pas reçu son inscription et pourtant il s’est inscrit en juillet. Je ne comprends pas.
    Abou-Eddinar : Nous sommes désolés, nous avons fait le plein avant que votre fils ne dépose son bulletin.
    Le parent : Il n’y a pas moyen de lui trouver une place ?
    Abou-Eddinar : je vous ferai signe dès que possible.
    En réalité, le fils a été recalé de la présélection au motif que sa moyenne n’était que de 10/20, bien loin de la moyenne arrêtée pour être inscrit, à savoir 14/20. Et oui, vous avez bien lu : 14/20 ! En n’acceptant que cette catégorie d’élèves, le couple fait mouche : il a la garantie d’un bon score aux examens officiels et l’assurance d’un boom publicitaire dans les hammams, les mosquées, les fêtes et les salles de classe. Des endroits écumés par ses rabatteurs. Nos deux malins savent pertinemment que de tels élèves sont éligibles au podium de la compétition (les examens scolaires), et ce, sans qu’ils aient recours aux cours de soutien. Mais le pot aux roses se dévoila un jour. C’est lors d’une soirée bien arrosée qui vit M. Abou-Eddinar et ses invités s’épancher autour d’un repas gargantuesque. L’un deux, un riche importateur de friperie, éméché par le breuvage de Bacchus, s’élança dans une diatribe au vitriol.
    - Cher Abou-Eddinar, pourquoi as-tu refusé à mon neveu de s’inscrire dans ton établissement alors que tu l’as fait pour d’autres qui se sont inscrits bien après lui ?
    - Ecoute cher ami, mon établissement est très couru. J’ai mis en place des conditions strictes d’accès.
    - Je ne comprends pas. A ce que je sache, ton école n’est pas Cambridge ou la Sorbonne ? Les effets néfastes du vin ont failli provoquer une dispute à mains nues. Les autres convives calmèrent le jeu et tout rentra dans l’ordre.
    Quelques jours après cette houleuse rencontre, un vent de révolte sociale souffla sur le pays. Les quartiers populaires des villes se soulevèrent. Des débordements juvéniles ont failli mettre la ville à feu et à sang. Parmi les nombreux magasins brulés et saccagés dans le centre-ville, figurait l’immeuble du couple Abou-Eddinar. Alimenté par la peinture encore fraîche des façades, le feu poussait ses flammes jusqu’à la toiture. Quelques minutes avant le craquement du premier coup d’allumette, l’enseigne du bâtiment, «Cours de soutien : de la crèche au lycée», ainsi que les équipements didactiques furent arrachés de leur emplacement, jetés à terre ou simplement volés.
    L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit.”Aristote

  • #2
    Suite !
    Des jeunes s’en prirent au couple aux cris de «vous êtes indignes !» ou «vous avez déshonoré le métier d’enseignant !». Surpris dans les locaux, des élèves et des encadreurs furent traumatisés par la violence du saccage. Ils en échappèrent de justesse. Malheureusement, l’un des agents d’entretien se brûla en essayant de sauver ce qui pouvait l’être.
    Une fois le calme revenu, les enquêtes commencèrent. D’abord celles des assurances. Les époux Abou-Eddinar furent convoqués au palais de justice pour s’expliquer sur des anomalies.
    Et elles furent nombreuses : défaut d’assurance garantissant la sécurité des clients, pas d’agrément officiel, ni registre du commerce et activité lucrative interdite pour un fonctionnaire de l’Etat. Cerise sur le gâteau : accusation d’évasion fiscale. Ce dernier point fut soumis à l’appréciation des évaluateurs des impôts : des centaines de milliers de dinars évaporés. Avec ce triste épisode prit fin la saga du couple, entraînant dans sa chute les responsables des administrations chargés d’appliquer la loi contre le marché informel.
    Derrière les barreaux de la prison, les deux époux auront tout le temps de penser au bon vieux temps où ils pouvaient prétendre à ce titre de noblesse tant décrié par les mafias locales : celui d’éducateur et d’éducatrice. C’était le temps où le libéralisme sauvage et l’argent sale n’avaient pas encore perverti les esprits et pollué les cœurs.
    A. T.

    * Pédagogue. Extraits d’un essai à paraître bientôt : Que faire pour éradiquer le fléau des cours payants ?

    Le Soir d'Algérie
    L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit.”Aristote

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    • #3
      A mon avis rien nef peut se faire sans les parents ,ils sont partie prenante aussi

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      • #4
        C'est une histoire vraie?
        Vivre ses rêves

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