En Algérie, des femmes organisent des défilés pour promouvoir le voile que portaient leurs ancêtres, le haïk. Elles le préfèrent aux tenues islamiques venues du Moyen-Orient.
Le haïk (ou hayek) est un long voile souvent de couleur écru, en laine ou en soie, accompagné d’une pièce de tissu brodé cachant la partie inférieure du visage. Porté par les femmes citadines à l’extérieur du foyer dès l’époque ottomane et considéré comme signe de pudeur, le haïk a marqué l’imaginaire collectif algérien par la fonction qu’il a pu prendre pendant la guerre d'Algérie. Des hommes et des femmes membres du Front de Libération Nationale se camouflaient dans ce long tissu pour transporter les armes et échapper aux contrôles de l’armée française.
Le haïk a également symbolisé la résistance de la société algérienne au pouvoir colonial, pour qui l’émancipation des femmes passait notamment par leur dévoilement, souligne Sihem Raheb Ramdani, docteur en études arabes et islamiques à l’Université de Madrid.
Aujourd’hui, le haïk a quasiment disparu. Depuis la montée de l’islamisme en Algérie et les pressions exercées par le parti du Front du Salut Islamique et le Groupe Islamique Armé dans les années 1990, le port du foulard (hijab) sur une tunique longue (djellaba) est devenu très courant, ce que regrettent les femmes algériennes à l’initiative d’événements mettant à l’honneur le haïk. Depuis 2012, il existe même un prix Miss Hayek. Ces dernières années, à Alger, Oran et dans d’autres villes en Algérie, des femmes défilent en haïk pour réhabiliter cet élément du patrimoine culturel.
"Moi, je souhaite le retour du haïk"
Sarah, 25 ans, infirmière, est à l’initiative du défilé qui s’est déroulé le 7 mars à Oran, à la veille de la journée internationale de la femme.
Le haïk est tombé dans l’oubli. Ma grand-mère le portait. Ma mère ne l’a pas porté. Moi, je souhaite le retour du haïk. Il fait partie de notre patrimoine culturel, un patrimoine qui se perd et qui risque de disparaître avec la mort de nos aînés. Moi je porte le haïk, mais je ne porte pas le hijab. Des filles qui portaient le hijab d'ordinaire portaient cette fois le haïk. Beaucoup de tenues ont été importées de l’extérieur, du Moyen-Orient notamment. Aujourd’hui, nous sommes ballotés par tous les courants de civilisations. Les jeunes ne savent plus quoi porter. Je pense qu’il faut un retour à notre histoire pour se retrouver. Le haïk en fait partie.
L’histoire du haïk est très riche. Il diffère selon les régions. Dans l’est de l’Algérie par exemple, les femmes portaient jadis un haïk de couleur noire [connu sous le nom de "mlaya"] pour marquer leur deuil après la mort de Salah Bey [gouverneur de Constantine à la fin du XIXe siècle, mort étranglé sur ordre du dey d’Alger]. À Tlemcen, le haïk est de couleur beige doré ["acheachi"]. À Alger et à Oran, le haïk est de couleur blanche [mrama].
"Pour moi, le haïk n'est pas synonyme d'oppression. Au contraire, il
met en valeur la femme"
Le haïk était notamment porté à certaines occasions, aux mariages, aux funérailles. Moi, je le porte aux fêtes de mariage. Au lieu de porter une tenue moyen-orientale, je porte un haïk au dessus de ma robe. C'est un vêtement magnifique, tout en soie. Pour moi, le haïk n’est pas synonyme d’oppression. Au contraire, il met en valeur la femme. Il la rend plus élégante. Il l’ennoblit. Il lui couvre tout le corps pour signifier son charme. Dans "Topographie d’Alger", Diego Haedo [chroniqueur espagnol du XVIIe siècle] célébrait la beauté des femmes vêtues de "ces manteaux blancs, très déliés, en laine fine ou tissu de laine et soie"
Beaucoup des filles qui souhaitaient participer à notre marche à Oran n’ont pas pu, car elles n’ont pas trouvé de haïk. Il est difficile d’en trouver aujourd’hui. Le savoir-faire a disparu. Il faut aller chez des commerçants qui vendent des trousseaux de mariée. Certaines familles conservatrices exigent encore que le haïk fasse partie du trousseau. Les réactions des passants étaient également très favorables. L’un d’eux m’a dit : "Le haïk nous fait oublier nos peines". À l’issue de la marche dans les rues d’Oran, nous nous sommes assises dans les bains turcs, comme le faisaient nos ancêtres, et avons parlé de notre histoire et de notre nostalgie du haïk.
Ce renouveau d'engouement pour le haïk ne ravit pas tout le monde en Algérie. Le journaliste et écrivain Akram Belkaïd assimilait le retour du haïk à une régression, lui préférant même le hijab qui lui laisse la femme "plus libre de ses mouvements". Il appelait à investir d’autres combats plus cruciaux, notamment l’abrogation du code de la famille qui consacre en droit l’inégalité entre hommes et femmes.
Toutes les photos ont été publiées sur le site de l'association de santé Sidi El Houari, où l'événement s'est déroulé.
Un billet écrit par Dorothée Myriam KELLOU, journaliste à France 24.
Le haïk (ou hayek) est un long voile souvent de couleur écru, en laine ou en soie, accompagné d’une pièce de tissu brodé cachant la partie inférieure du visage. Porté par les femmes citadines à l’extérieur du foyer dès l’époque ottomane et considéré comme signe de pudeur, le haïk a marqué l’imaginaire collectif algérien par la fonction qu’il a pu prendre pendant la guerre d'Algérie. Des hommes et des femmes membres du Front de Libération Nationale se camouflaient dans ce long tissu pour transporter les armes et échapper aux contrôles de l’armée française.
Le haïk a également symbolisé la résistance de la société algérienne au pouvoir colonial, pour qui l’émancipation des femmes passait notamment par leur dévoilement, souligne Sihem Raheb Ramdani, docteur en études arabes et islamiques à l’Université de Madrid.
Aujourd’hui, le haïk a quasiment disparu. Depuis la montée de l’islamisme en Algérie et les pressions exercées par le parti du Front du Salut Islamique et le Groupe Islamique Armé dans les années 1990, le port du foulard (hijab) sur une tunique longue (djellaba) est devenu très courant, ce que regrettent les femmes algériennes à l’initiative d’événements mettant à l’honneur le haïk. Depuis 2012, il existe même un prix Miss Hayek. Ces dernières années, à Alger, Oran et dans d’autres villes en Algérie, des femmes défilent en haïk pour réhabiliter cet élément du patrimoine culturel.
"Moi, je souhaite le retour du haïk"
Sarah, 25 ans, infirmière, est à l’initiative du défilé qui s’est déroulé le 7 mars à Oran, à la veille de la journée internationale de la femme.
Le haïk est tombé dans l’oubli. Ma grand-mère le portait. Ma mère ne l’a pas porté. Moi, je souhaite le retour du haïk. Il fait partie de notre patrimoine culturel, un patrimoine qui se perd et qui risque de disparaître avec la mort de nos aînés. Moi je porte le haïk, mais je ne porte pas le hijab. Des filles qui portaient le hijab d'ordinaire portaient cette fois le haïk. Beaucoup de tenues ont été importées de l’extérieur, du Moyen-Orient notamment. Aujourd’hui, nous sommes ballotés par tous les courants de civilisations. Les jeunes ne savent plus quoi porter. Je pense qu’il faut un retour à notre histoire pour se retrouver. Le haïk en fait partie.
L’histoire du haïk est très riche. Il diffère selon les régions. Dans l’est de l’Algérie par exemple, les femmes portaient jadis un haïk de couleur noire [connu sous le nom de "mlaya"] pour marquer leur deuil après la mort de Salah Bey [gouverneur de Constantine à la fin du XIXe siècle, mort étranglé sur ordre du dey d’Alger]. À Tlemcen, le haïk est de couleur beige doré ["acheachi"]. À Alger et à Oran, le haïk est de couleur blanche [mrama].
"Pour moi, le haïk n'est pas synonyme d'oppression. Au contraire, il
met en valeur la femme"
Le haïk était notamment porté à certaines occasions, aux mariages, aux funérailles. Moi, je le porte aux fêtes de mariage. Au lieu de porter une tenue moyen-orientale, je porte un haïk au dessus de ma robe. C'est un vêtement magnifique, tout en soie. Pour moi, le haïk n’est pas synonyme d’oppression. Au contraire, il met en valeur la femme. Il la rend plus élégante. Il l’ennoblit. Il lui couvre tout le corps pour signifier son charme. Dans "Topographie d’Alger", Diego Haedo [chroniqueur espagnol du XVIIe siècle] célébrait la beauté des femmes vêtues de "ces manteaux blancs, très déliés, en laine fine ou tissu de laine et soie"
Beaucoup des filles qui souhaitaient participer à notre marche à Oran n’ont pas pu, car elles n’ont pas trouvé de haïk. Il est difficile d’en trouver aujourd’hui. Le savoir-faire a disparu. Il faut aller chez des commerçants qui vendent des trousseaux de mariée. Certaines familles conservatrices exigent encore que le haïk fasse partie du trousseau. Les réactions des passants étaient également très favorables. L’un d’eux m’a dit : "Le haïk nous fait oublier nos peines". À l’issue de la marche dans les rues d’Oran, nous nous sommes assises dans les bains turcs, comme le faisaient nos ancêtres, et avons parlé de notre histoire et de notre nostalgie du haïk.
Ce renouveau d'engouement pour le haïk ne ravit pas tout le monde en Algérie. Le journaliste et écrivain Akram Belkaïd assimilait le retour du haïk à une régression, lui préférant même le hijab qui lui laisse la femme "plus libre de ses mouvements". Il appelait à investir d’autres combats plus cruciaux, notamment l’abrogation du code de la famille qui consacre en droit l’inégalité entre hommes et femmes.
Toutes les photos ont été publiées sur le site de l'association de santé Sidi El Houari, où l'événement s'est déroulé.
Un billet écrit par Dorothée Myriam KELLOU, journaliste à France 24.
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