Les rescapés de l'assaut mené par les trois terroristes montrent du doigt la façade, se refont le film d'un après-midi qui a tourné au drame pour dix-sept touristes et deux Tunisiens. Ils sont une douzaine, groggy. Ils racontent être arrivés à l'aube au port de La Goulette. Une croisière. Au menu : la Tunisie en quelques heures. Sitôt arrivés, les touristes embarquent, qui en bus, qui en taxi. Direction Sidi Bou Saïd, ses venelles pentues et ses maisons blanches aux portes bleu azur. Puis le souk, porte de France, au coeur de l'avenue Bourguiba à Tunis. Sept bus prennent enfin la direction de la verdoyante enceinte du Bardo situé à quelques kilomètres du centre de la capitale. Côte à côte, l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) et le Louvre tunisois. Peu après midi, un jeune homme ouvre le feu sur un premier bus. De face. Puis, il arme de nouveau sa kalachnikov et mitraille le côté. Premier bilan : six morts.
Le trio de tueurs s'engouffre dans le musée après avoir jeté un explosif qui laisse un léger cratère. La prise d'otages n'est en fait qu'une chasse à l'homme. Les kalachnikovs crachent pour tuer. La BAT, la brigade antiterroriste, et l'USGN, l'Unité spéciale de la garde nationale, sont alors chargées d'intervenir. En zone urbaine, en cas d'opérations exceptionnelles, les deux unités collaborent. L'assaut sera mené très rapidement afin de stopper la tuerie en cours. Deux des assassins sont abattus. Un troisième arrêté, qui n'aurait pas tiré. Reste désormais à démanteler le réseau qui a méticuleusement préparé l'opération. Choix de la date : l'ARP étudiait la loi antiterroriste et la croisière faisait halte. Choix de l'heure : à l'arrivée de la grande vague de touristes. Choix du lieu : les symboles du pouvoir et de la culture. Des pans entiers de l'histoire nationale y sont exposés au sein d'un bâtiment vaste de 23 000 mètres carrés. Un cadre idéal pour implanter la cause djihadiste dans la capitale. Et ce, à deux jours de l'anniversaire de l'indépendance...
Feuille de température du terrorisme
Toute proportion gardée, le Bardo est à la Tunisie ce qu'In Amenas fut à l'Algérie en janvier 2013. Lorsqu'un commando téléguidé par Mokhtar Belmokhtar s'empara du site gazier et fit trente-neuf victimes parmi les étrangers y travaillant. In Amenas est le 11 Septembre de l'Algérie. Un maximum de nationalités touchées au coeur d'un fleuron industriel réputé pour être une forteresse. Le groupe des Signataires par le sang prouvait alors qu'il pouvait frapper où il le voulait, qui il voulait, quand il le voulait. Les événements qui ont ensanglanté le Bardo ce 18 mars 2015 ont le même profil : de multiples nationalités parmi les victimes (Japon, France, Italie, Pologne...), un haut lieu culturel du pays accolé au Parlement surveillé jour et nuit par les forces sécuritaires. Deux terroristes ont ainsi pu tuer dix-neuf personnes à cinquante mètres de l'enceinte où se réunissent les 217 députés de la IIe République tunisienne.
Mercredi 18 mars, 17 h 30. Devant l'entrée du Bardo, une grande grille en fer forgé, ambulances et véhicules sécuritaires vont et viennent. Les habitants du quartier et quelques curieux forment un silencieux cordon. À l'intérieur, une noria de journalistes se mêle à des dizaines d'uniformes. Ceux de la BAT, ceux de l'USGN, les costumes des cadres du ministère de l'Intérieur, les jeans des journalistes. Dans un étrange climat, on observe ce bus à l'arrêt que peu osent photographier. Ses passagers attendent de pouvoir quitter la scène de crime. Pas loin, une voiture de petite morphologie a ses vitres arrière explosées. Au sol, deux douilles. Un policier en costume noir les a disposées pour un photographe. Puis il les remet dans sa poche. Un cratère troue la dalle à l'entrée du musée. Un des deux terroristes y a jeté une grenade avant de s'engouffrer dans les salles chargées d'histoire. Un représentant d'une ambassade demande à un policier en costume gris clair s'il y a des victimes espagnoles. L'homme répond : "Tous les corps sont à l'hôpital." Le diplomate lui demande son nom. Sourire de l'homme qui appartient sans nul doute à la sûreté intérieure : "On se retrouvera..." Et demande à son interlocuteur d'apporter des photos des possibles victimes.
La porte automatique qui permet de pénétrer au sein du musée est à moitié ouverte. Un simple ruban jaune en barre l'accès. Les différents services de police présents ont terminé le travail à l'intérieur du bâtiment. Le bilan s'est considérablement alourdi : on a évoqué entre seize et dix-huit morts. À intervalles réguliers, de puissants 4 x 4 déposent des huiles sécuritaires. De brefs conciliabules se tiennent à quelques mètres des journalistes. La volonté de tout montrer est patente. À l'extérieur de l'enceinte, la petite foule applaudit les forces de l'ordre, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, puis le bus des survivants qui quitte enfin les lieux.
Et maintenant, place aux questions
À l'intérieur : stupéfaction face à cette salve. Moins de cinq heures après que la première rafale a été tirée, on peut fouler l'entrée d'une scène de crime dont le périmètre serait de 23 000 mètres carrés. Un gradé, trois étoiles sur les épaulettes, dit spontanément sa tristesse. Il s'excuse presque. L'heure n'est pas à la vengeance, comme ce fut le cas en 2012 au soir de la mise à sac de l'ambassade des États-Unis. Certains grands flics disaient avec un sourire carnassier que "ça ne resterait pas impuni". Le 14 septembre 2012, aux Berges du lac, on dénombrera quatre morts parmi les assaillants de la représentation diplomatique nord-américaine. Deux ans et demi plus tard, ce sont dix-neuf personnes qui ont été exécutées par un groupe composé de deux jeunes hommes. L'un provenait de Kasserine (le centre du pays), l'autre de la cité populaire Ibn Khaldoun à Tunis. Quant aux commanditaires, on attend encore leur communiqué de victoire. Parmi les dix-neuf morts, une femme de ménage tunisienne, "agent d'entretien" au musée depuis plusieurs années.
Après le recueillement, beaucoup de questions se poseront. Un habitant du quartier, véhément, explique : "La sécurité, c'est zéro ici !" Et d'ajouter que, malgré les vacances scolaires et les touristes liés aux premiers beaux jours, "la sécurité n'a pas été renforcée au musée". Ni à l'intérieur ni à l'extérieur. Pas de caméras de surveillance. Pas de filtrage. C'est ainsi que de jeunes hommes ont pu entrer "kalach à la main", selon l'épicier qui fait face à l'entrée. Un autre commerçant pointe les défaillances de la sécurité dans les lieux publics : "Tu vas à Géant ou Carrefour, tu verras qu'il n'y a aucune précaution de prise !" Ces deux lieux drainent des milliers de Tunisiens tous les jours. À part des détecteurs de métaux, rien d'autre. À 48 heures de l'anniversaire de l'indépendance, les gens sont inquiets. Dans les cafés, les écrans plats diffusent les plateaux organisés en urgence par les télévisions. Et diffusent des images du Bardo en boucle. Le secteur du tourisme compte pour 7 % de l'économie nationale.
Depuis la révolution, on dénombre 57 morts parmi les forces de l'ordre et près de 200 blessés. Les groupes armés qui agissent dans le Nord-Ouest (Kasserine), aux frontières libyennes et algériennes, ont hier mis le cap vers le Nord. À Tunis. L'État communique abondamment via le porte-parole du ministère de l'Intérieur, l'ineffable monsieur Laroui, sur les arrestations quotidiennes de présumés terroristes, de cellules dormantes, de groupes djihadistes... Une vidéo, présentée par le porte-parole, a même montré la police procédant à des arrestations. Sans enquête ni justice, trois jeunes gens étaient présentés aux téléspectateurs comme de dangereux terroristes. Cette séquence fournie clé en main par le ministère de l'Intérieur a été diffusée à l'automne. Malgré les milliers d'arrestations dont se vante le ministère de l'Intérieur (près de 3 000 en 2013, plus de 1 500 depuis le début de l'année), l'assaut mené hier par trois jeunes hommes démontre la vulnérabilité du système.
Source: Le Point
Le trio de tueurs s'engouffre dans le musée après avoir jeté un explosif qui laisse un léger cratère. La prise d'otages n'est en fait qu'une chasse à l'homme. Les kalachnikovs crachent pour tuer. La BAT, la brigade antiterroriste, et l'USGN, l'Unité spéciale de la garde nationale, sont alors chargées d'intervenir. En zone urbaine, en cas d'opérations exceptionnelles, les deux unités collaborent. L'assaut sera mené très rapidement afin de stopper la tuerie en cours. Deux des assassins sont abattus. Un troisième arrêté, qui n'aurait pas tiré. Reste désormais à démanteler le réseau qui a méticuleusement préparé l'opération. Choix de la date : l'ARP étudiait la loi antiterroriste et la croisière faisait halte. Choix de l'heure : à l'arrivée de la grande vague de touristes. Choix du lieu : les symboles du pouvoir et de la culture. Des pans entiers de l'histoire nationale y sont exposés au sein d'un bâtiment vaste de 23 000 mètres carrés. Un cadre idéal pour implanter la cause djihadiste dans la capitale. Et ce, à deux jours de l'anniversaire de l'indépendance...
Feuille de température du terrorisme
Toute proportion gardée, le Bardo est à la Tunisie ce qu'In Amenas fut à l'Algérie en janvier 2013. Lorsqu'un commando téléguidé par Mokhtar Belmokhtar s'empara du site gazier et fit trente-neuf victimes parmi les étrangers y travaillant. In Amenas est le 11 Septembre de l'Algérie. Un maximum de nationalités touchées au coeur d'un fleuron industriel réputé pour être une forteresse. Le groupe des Signataires par le sang prouvait alors qu'il pouvait frapper où il le voulait, qui il voulait, quand il le voulait. Les événements qui ont ensanglanté le Bardo ce 18 mars 2015 ont le même profil : de multiples nationalités parmi les victimes (Japon, France, Italie, Pologne...), un haut lieu culturel du pays accolé au Parlement surveillé jour et nuit par les forces sécuritaires. Deux terroristes ont ainsi pu tuer dix-neuf personnes à cinquante mètres de l'enceinte où se réunissent les 217 députés de la IIe République tunisienne.
Mercredi 18 mars, 17 h 30. Devant l'entrée du Bardo, une grande grille en fer forgé, ambulances et véhicules sécuritaires vont et viennent. Les habitants du quartier et quelques curieux forment un silencieux cordon. À l'intérieur, une noria de journalistes se mêle à des dizaines d'uniformes. Ceux de la BAT, ceux de l'USGN, les costumes des cadres du ministère de l'Intérieur, les jeans des journalistes. Dans un étrange climat, on observe ce bus à l'arrêt que peu osent photographier. Ses passagers attendent de pouvoir quitter la scène de crime. Pas loin, une voiture de petite morphologie a ses vitres arrière explosées. Au sol, deux douilles. Un policier en costume noir les a disposées pour un photographe. Puis il les remet dans sa poche. Un cratère troue la dalle à l'entrée du musée. Un des deux terroristes y a jeté une grenade avant de s'engouffrer dans les salles chargées d'histoire. Un représentant d'une ambassade demande à un policier en costume gris clair s'il y a des victimes espagnoles. L'homme répond : "Tous les corps sont à l'hôpital." Le diplomate lui demande son nom. Sourire de l'homme qui appartient sans nul doute à la sûreté intérieure : "On se retrouvera..." Et demande à son interlocuteur d'apporter des photos des possibles victimes.
La porte automatique qui permet de pénétrer au sein du musée est à moitié ouverte. Un simple ruban jaune en barre l'accès. Les différents services de police présents ont terminé le travail à l'intérieur du bâtiment. Le bilan s'est considérablement alourdi : on a évoqué entre seize et dix-huit morts. À intervalles réguliers, de puissants 4 x 4 déposent des huiles sécuritaires. De brefs conciliabules se tiennent à quelques mètres des journalistes. La volonté de tout montrer est patente. À l'extérieur de l'enceinte, la petite foule applaudit les forces de l'ordre, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, puis le bus des survivants qui quitte enfin les lieux.
Et maintenant, place aux questions
À l'intérieur : stupéfaction face à cette salve. Moins de cinq heures après que la première rafale a été tirée, on peut fouler l'entrée d'une scène de crime dont le périmètre serait de 23 000 mètres carrés. Un gradé, trois étoiles sur les épaulettes, dit spontanément sa tristesse. Il s'excuse presque. L'heure n'est pas à la vengeance, comme ce fut le cas en 2012 au soir de la mise à sac de l'ambassade des États-Unis. Certains grands flics disaient avec un sourire carnassier que "ça ne resterait pas impuni". Le 14 septembre 2012, aux Berges du lac, on dénombrera quatre morts parmi les assaillants de la représentation diplomatique nord-américaine. Deux ans et demi plus tard, ce sont dix-neuf personnes qui ont été exécutées par un groupe composé de deux jeunes hommes. L'un provenait de Kasserine (le centre du pays), l'autre de la cité populaire Ibn Khaldoun à Tunis. Quant aux commanditaires, on attend encore leur communiqué de victoire. Parmi les dix-neuf morts, une femme de ménage tunisienne, "agent d'entretien" au musée depuis plusieurs années.
Après le recueillement, beaucoup de questions se poseront. Un habitant du quartier, véhément, explique : "La sécurité, c'est zéro ici !" Et d'ajouter que, malgré les vacances scolaires et les touristes liés aux premiers beaux jours, "la sécurité n'a pas été renforcée au musée". Ni à l'intérieur ni à l'extérieur. Pas de caméras de surveillance. Pas de filtrage. C'est ainsi que de jeunes hommes ont pu entrer "kalach à la main", selon l'épicier qui fait face à l'entrée. Un autre commerçant pointe les défaillances de la sécurité dans les lieux publics : "Tu vas à Géant ou Carrefour, tu verras qu'il n'y a aucune précaution de prise !" Ces deux lieux drainent des milliers de Tunisiens tous les jours. À part des détecteurs de métaux, rien d'autre. À 48 heures de l'anniversaire de l'indépendance, les gens sont inquiets. Dans les cafés, les écrans plats diffusent les plateaux organisés en urgence par les télévisions. Et diffusent des images du Bardo en boucle. Le secteur du tourisme compte pour 7 % de l'économie nationale.
Depuis la révolution, on dénombre 57 morts parmi les forces de l'ordre et près de 200 blessés. Les groupes armés qui agissent dans le Nord-Ouest (Kasserine), aux frontières libyennes et algériennes, ont hier mis le cap vers le Nord. À Tunis. L'État communique abondamment via le porte-parole du ministère de l'Intérieur, l'ineffable monsieur Laroui, sur les arrestations quotidiennes de présumés terroristes, de cellules dormantes, de groupes djihadistes... Une vidéo, présentée par le porte-parole, a même montré la police procédant à des arrestations. Sans enquête ni justice, trois jeunes gens étaient présentés aux téléspectateurs comme de dangereux terroristes. Cette séquence fournie clé en main par le ministère de l'Intérieur a été diffusée à l'automne. Malgré les milliers d'arrestations dont se vante le ministère de l'Intérieur (près de 3 000 en 2013, plus de 1 500 depuis le début de l'année), l'assaut mené hier par trois jeunes hommes démontre la vulnérabilité du système.
Source: Le Point
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