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Ecole: du rêve ancien du colonisé, au souci dernier du salarié

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    La chronique de Kamel Daoud

    Ecole: du rêve ancien du colonisé, au souci dernier du salarié
    par Kamel Daoud
    C'est l'événement sourd, blanc et incolore du pays : la grève dans les écoles. Menée par des sigles contre une ministre. De loin, de près, ou d'à-côté, on y comprend peu, ce que veulent les uns et les autres. Mais on comprend que l'école algérienne est, désormais, un terrain vague avec des buissons morts : pour sauver ses enfants, soit il faut ne pas en faire, soit les mettre dans une école privée, soit les exiler, dans les œufs, vers des pays qui veulent marcher sur la lune. Ici, point de salut apparemment. La ministre Benghebrit semble vouloir essayer mais elle est prise au piège du pays devenu un ventre étranglé par un intestin : tout le monde veut manger, travailler c'est aller au travail et enseigner n'est plus le sacerdoce d'autrefois, destinant la vie à l'éclairage du monde. La grève, cette fois, ressemble à une affreuse bousculade dans l'alimentation générale nationale : personne n'y parle de l'enfant, de l'école, de son sens, de ce qu'on veut fabriquer de demain ni du manuel ni de ce qu'on y enseigne. L'école est prise au piège entre un Président qui y a placé, de force ; ses portraits dans les manuels scolaires, et un corps salarié qui se comporte comme le reste des Algériens, face au baril et à la rente. Au plus profond, cette affaire révèle une sourde mort : celle du sens. L'école ne sert à rien. C'est-à-dire que nous ne ressentons pas le besoin de comprendre le monde, le maîtriser, le dominer ou s'y défendre contre les dominations des autres. Nous ne voulons pas savoir, fabriquer, maîtriser, transmettre ou dessiner avec les générations qui arrivent. Nous ne voulons pas de demain mais de l'après-demain qui est dans l'après mort. L'école n'est pas un lieu de conquête du monde mais de domination idéologique des siens, pour le Régime et ses conservateurs et de rente pour certains qui travaillent.
    Cela va heurter les esprits qui y sont encore en éveil, ceux qui se souviennent du sens de leur mission et qui sacrifient années, efforts et santé dans l'école algérienne, mais c'est, aussi, la vérité. L'Ecole est le sens que veut se donner la vie d'un pays. Ceux qui y enseignent y viennent pour une mission : transmettre et pas seulement encaisser. Et ce que nous transmettons, aujourd'hui, de ce Président immobile, aux grévistes acharnés, c'est la cupidité, la voracité ou l'aveuglement. Au plus profond, c'est l'instinct filial qui y a pourri. Et si cette ministre est brisée, le suivant n'osera, jamais, faire plus ou imaginer révolutionner l'école. Et on aura l'école qui ressemble, le plus, à ce que nous sommes : des gens assis attendant la semoule, palabrant sur « le complot juif », les ablutions, le genou nu de la femme, le hallal/haram, la barbe et la légitimité historique et le souvenir tari de la guerre de Libération, sous la régence d'Alger. Car on mesure la grandeur d'une nation à l'école qu'elle offre à ses enfants. Et nous, nous ne voulons pas avoir des enfants, les sauver, les voir aller plus loin que nous, les protéger contre nos névroses et nos échecs. Cette énième grève offre à l'œil nu l'essentiel : l'écolier algérien, ce rêve millénaire de nos ancêtres, sous les colonisations, n'est plus le souci des grévistes. Et ces grévistes nous ressemblent tous: on lit l'avenir dans la semoule, pas dans les étoiles.
    « Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » Albert EINSTEIN
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