Je m’étais juré de commencer cette chronique de très bonne heure, mais l’envie de déambuler dans le Vieil-Oran fut plus forte. Il y a une petite librairie de quartier à côté de mon hôtel. Sur la façade, on lit « Librairie, imprimerie, papeterie », avec des lettres qui manquent. Ce bâtiment est un vestige du passé colonial, de toute évidence non restauré depuis l’indépendance de 1962. À l’intérieur, un tas de classiques : Hugo, Balzac, Beaumarchais, Camus évidemment, le fils du pays, Shakespeare, et un immense choix d’auteurs algériens qui m’ont fait hésiter avant d’élire des romans d’Abdelkader Djemaï et d’Assia Djebar.
D’autres oeuvres algériennesm’avaient suivie, dont Meursault contre-enquête de Kamel Daoud, contrepoint algérien à L’étranger de Camus. Si l’ombre du grand écrivain flotte sur Oran et à Alger ? Dans mon cas, certainement. Quand on a connu ces lieux à travers ses mots, la chaleur, la poussière, les paysages et les visages des passants, même la mer, nous ramènent à ses livres. Pour les Algériens, Albert Camus appartient à un monde qu’ils souhaiteraient voir englouti, mais dont les traces demeurent pourtant imprimées partout.
Ici, on a écouté les nouvelles des terribles attentats au fabuleux musée national du Bardo de Tunis, avec horreur et aussi des soupirs. C’est bien pour dire : en Algérie, un étranger se sent moins visé par les attaques terroristes que les enfants de la place, faute d’une industrie touristique existante à détruire. Dégoter des cartes des villes relève de la quête du Graal. Pas d’infrastructure en ce sens. Avec autant de pétrole et de gaz naturel, nul n’a songé à attirer les porteurs de caméras. Et pourquoi s’encombrer de témoins ? Les immeubles coloniaux délabrés d’Oran, surtout d’Alger, rappellent les splendeurs lépreuses de La Havane en ses pires jours. Les mesures de sécurité sont omniprésentes. L’air n’est pas très sûr.
Une invitation
Ce que je fais ici ? Invitée à accompagner le film Le démantèlement de Sébastien Pilote, projeté à l’Institut français d’Alger, puis d’Oran, aux côtés d’autres oeuvres primées aux Lauriers francophones. Dans l’assistance : de jeunes Algériens, des délégués consulaires et d’ambassades. Aussi, les derniers pieds-noirs du pays, Français algériens ayant résisté non seulement à la décolonisation, mais aux années noires de la guerre civile qui ravagea le pays entre 1991 et 2002. Ne subsistent qu’une centaine de familles, pieds-noirs naturalisés algériens. D’autres Français sont arrivés plus tard. Sinon, peu de visiteurs, pour affaires, pour visiter la smala.
Parler avec ce public des déboires du milieu agricole et d’éleveurs de moutons décrits dans Le démantèlement, en leur situant le Saguenay–Lac-Saint-Jean, peut sembler surréaliste. Mais les traditions s’effondrent sur la planète entière et chacun se sent concerné et touché par ce beau film. En Algérie, le milieu agricole n’existe à peu près plus. Des campagnes se sont dépeuplées, en sauve-qui-peut des terroristes, longtemps (encore présents au Sud) à plein maquis. Les jeunes veulent vivre en ville, puis l’agriculture a trop de relents des méthodes coloniales de jadis pour séduire. En Algérie, presque tous les biens et victuailles sont importés, la fragile paix sociale étant achetée à coup d’assistanat. Chacun retient son souffle.
Les loisirs culturels sont rares, la vie nocturne quasi inexistante ou secrète, les jeunes désoeuvrés. Vingt-cinq salles de cinéma subsistent au pays. Dans les villes principales, l’Institut français joue un rôle de salle de répertoire.
La presse demeure à peu près libre. Des numéros de Jeune Afrique, abordant la corruption endémique et la vie privée du président Bouteflika, ont été interdits, mais c’est l’exception. « Ici, on a le droit de tout dire, mais on ne peut rien faire », tranche un artiste algérien.
L’Algérie est un pays extrêmement compliqué, rugueux, fier, voilé comme la plupart de ses femmes, marqué au fer rouge de son histoire et en radicalisation accélérée, à l’instar d’autres terres de l’islam.
Baril de poudre ?
Si les étrangères peuvent marcher seules dans la rue ? Oui et non. L’espace public appartient surtout aux hommes. La plupart des Algériennes portent le hidjab donc, plusieurs même le niqab qui cache le visage. On nous déconseille d’aller flâner dans les quartiers populaires surtout, mais faut bien vivre un peu, quand même. Oran est plus charmante et moins délabrée qu’Alger la blanche, devenue bien grise, les gens plus affables. Mais tout est relatif. Ce pays est un baril de poudre qui se flaire au pif. Et quand, sur la route, des camionneurs en viennent aux coups parce que l’un a embouti le derrière du véhicule de l’autre, c’est pour permettre aux tensions d’enfin exploser. Des engueulades fusent au détour d’une ruelle, avant de s’arrêter tout sec. Ça reprendra, allez !
À Alger, une promenade au port et dans les rues arrière de la vieille casbah m’a valu le cri d’un jeune homme : « Eh, la Française, c’est dangereux, l’Algérie ! » Bon ! Mieux vaut ne pas trop s’éloigner des artères passantes et abaisser le regard. Les Algériens sont méfiants, imprévisibles, dit-on, mais si vous gagnez leur confiance, si vous baragouinez quelques mots d’arabe en rigolant avec eux, ils se révéleront d’une générosité à faire rougir, comme les merveilleux chauffeurs de l’Institut français en relais affairés pour retrouver mes bagages perdus entre deux vols.
Ce type d’expédition vous rend parfois témoin d’émouvants spectacles. Ainsi ce coup d’oeil à Oran, dans le cadre du Festival du conte, au siège du Petit Lecteur, qui se voue à la promotion de la lecture chez les enfants. L’âme des lieux, Djamila Hamitou, débordante d’énergie, est elle-même conteuse. Fallait la voir raconter et mimer devant une assistance de femmes en général voilées entourées de leurs enfants. Ça parlait, ça riait. Les téléphones sonnaient. Pas question de chercher le recueillement de l’audience.
Ce jour-là, les femmes présentes étaient membres d’une association pour les porteuses du VIH. À la fin, certaines sont venues raconter leur vie. Elles ont été infectées lors d’une transfusion sanguine, ou par le mari. L’une a enlevé son niqab après son témoignage avant de le remettre bien vite. Elle avait un beau visage radieux, disait se sentir entourée grâce à cette association-là. Les youyous retentissaient pour l’applaudir. On lui a souri comme à une amie.
Odile Tremblay était l’hôte de l’ambassade canadienne en Algérie et de l’Institut français d’Alger et d’Oran.
..........
D’autres oeuvres algériennesm’avaient suivie, dont Meursault contre-enquête de Kamel Daoud, contrepoint algérien à L’étranger de Camus. Si l’ombre du grand écrivain flotte sur Oran et à Alger ? Dans mon cas, certainement. Quand on a connu ces lieux à travers ses mots, la chaleur, la poussière, les paysages et les visages des passants, même la mer, nous ramènent à ses livres. Pour les Algériens, Albert Camus appartient à un monde qu’ils souhaiteraient voir englouti, mais dont les traces demeurent pourtant imprimées partout.
Ici, on a écouté les nouvelles des terribles attentats au fabuleux musée national du Bardo de Tunis, avec horreur et aussi des soupirs. C’est bien pour dire : en Algérie, un étranger se sent moins visé par les attaques terroristes que les enfants de la place, faute d’une industrie touristique existante à détruire. Dégoter des cartes des villes relève de la quête du Graal. Pas d’infrastructure en ce sens. Avec autant de pétrole et de gaz naturel, nul n’a songé à attirer les porteurs de caméras. Et pourquoi s’encombrer de témoins ? Les immeubles coloniaux délabrés d’Oran, surtout d’Alger, rappellent les splendeurs lépreuses de La Havane en ses pires jours. Les mesures de sécurité sont omniprésentes. L’air n’est pas très sûr.
Une invitation
Ce que je fais ici ? Invitée à accompagner le film Le démantèlement de Sébastien Pilote, projeté à l’Institut français d’Alger, puis d’Oran, aux côtés d’autres oeuvres primées aux Lauriers francophones. Dans l’assistance : de jeunes Algériens, des délégués consulaires et d’ambassades. Aussi, les derniers pieds-noirs du pays, Français algériens ayant résisté non seulement à la décolonisation, mais aux années noires de la guerre civile qui ravagea le pays entre 1991 et 2002. Ne subsistent qu’une centaine de familles, pieds-noirs naturalisés algériens. D’autres Français sont arrivés plus tard. Sinon, peu de visiteurs, pour affaires, pour visiter la smala.
Parler avec ce public des déboires du milieu agricole et d’éleveurs de moutons décrits dans Le démantèlement, en leur situant le Saguenay–Lac-Saint-Jean, peut sembler surréaliste. Mais les traditions s’effondrent sur la planète entière et chacun se sent concerné et touché par ce beau film. En Algérie, le milieu agricole n’existe à peu près plus. Des campagnes se sont dépeuplées, en sauve-qui-peut des terroristes, longtemps (encore présents au Sud) à plein maquis. Les jeunes veulent vivre en ville, puis l’agriculture a trop de relents des méthodes coloniales de jadis pour séduire. En Algérie, presque tous les biens et victuailles sont importés, la fragile paix sociale étant achetée à coup d’assistanat. Chacun retient son souffle.
Les loisirs culturels sont rares, la vie nocturne quasi inexistante ou secrète, les jeunes désoeuvrés. Vingt-cinq salles de cinéma subsistent au pays. Dans les villes principales, l’Institut français joue un rôle de salle de répertoire.
La presse demeure à peu près libre. Des numéros de Jeune Afrique, abordant la corruption endémique et la vie privée du président Bouteflika, ont été interdits, mais c’est l’exception. « Ici, on a le droit de tout dire, mais on ne peut rien faire », tranche un artiste algérien.
L’Algérie est un pays extrêmement compliqué, rugueux, fier, voilé comme la plupart de ses femmes, marqué au fer rouge de son histoire et en radicalisation accélérée, à l’instar d’autres terres de l’islam.
Baril de poudre ?
Si les étrangères peuvent marcher seules dans la rue ? Oui et non. L’espace public appartient surtout aux hommes. La plupart des Algériennes portent le hidjab donc, plusieurs même le niqab qui cache le visage. On nous déconseille d’aller flâner dans les quartiers populaires surtout, mais faut bien vivre un peu, quand même. Oran est plus charmante et moins délabrée qu’Alger la blanche, devenue bien grise, les gens plus affables. Mais tout est relatif. Ce pays est un baril de poudre qui se flaire au pif. Et quand, sur la route, des camionneurs en viennent aux coups parce que l’un a embouti le derrière du véhicule de l’autre, c’est pour permettre aux tensions d’enfin exploser. Des engueulades fusent au détour d’une ruelle, avant de s’arrêter tout sec. Ça reprendra, allez !
À Alger, une promenade au port et dans les rues arrière de la vieille casbah m’a valu le cri d’un jeune homme : « Eh, la Française, c’est dangereux, l’Algérie ! » Bon ! Mieux vaut ne pas trop s’éloigner des artères passantes et abaisser le regard. Les Algériens sont méfiants, imprévisibles, dit-on, mais si vous gagnez leur confiance, si vous baragouinez quelques mots d’arabe en rigolant avec eux, ils se révéleront d’une générosité à faire rougir, comme les merveilleux chauffeurs de l’Institut français en relais affairés pour retrouver mes bagages perdus entre deux vols.
Ce type d’expédition vous rend parfois témoin d’émouvants spectacles. Ainsi ce coup d’oeil à Oran, dans le cadre du Festival du conte, au siège du Petit Lecteur, qui se voue à la promotion de la lecture chez les enfants. L’âme des lieux, Djamila Hamitou, débordante d’énergie, est elle-même conteuse. Fallait la voir raconter et mimer devant une assistance de femmes en général voilées entourées de leurs enfants. Ça parlait, ça riait. Les téléphones sonnaient. Pas question de chercher le recueillement de l’audience.
Ce jour-là, les femmes présentes étaient membres d’une association pour les porteuses du VIH. À la fin, certaines sont venues raconter leur vie. Elles ont été infectées lors d’une transfusion sanguine, ou par le mari. L’une a enlevé son niqab après son témoignage avant de le remettre bien vite. Elle avait un beau visage radieux, disait se sentir entourée grâce à cette association-là. Les youyous retentissaient pour l’applaudir. On lui a souri comme à une amie.
Odile Tremblay était l’hôte de l’ambassade canadienne en Algérie et de l’Institut français d’Alger et d’Oran.
..........
Commentaire