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Blaise Pascal (1623-1662) - Face à l’infini

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  • Blaise Pascal (1623-1662) - Face à l’infini

    Après une carrière de brillant mathématicien, d’inventeur et de philosophe mondain, Blaise Pascal rencontra la foi, qui s’imposa à lui comme une nécessité
    Il faut bien dire une chose : Blaise Pascal dérange. D’aucuns l’abandonneraient volontiers aux pages jaunies d’un Lagarde et Michard, lui reconnaissant certes un style admirable mais ne sachant trop quoi faire d’une pensée habitée par la foi. Ne doit-on voir en Pascal que le modèle achevé de l’écriture classique ? Rien n’est moins sûr car c’est faire fi, à bon compte, d’une réflexion profonde sur la condition humaine, sur les limites de la raison, sur le relativisme de la justice et du droit, ou sur les sciences dans lesquelles il excellait.
 « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années » , écrivait Pierre Corneille. Qui saurait mieux illustrer cette maxime que Pascal, son contemporain. Né en 1623 à Clermont-Ferrand, le jeune Blaise est éduqué par son père, magistrat féru de mathématiques, et montre d’étonnantes capacités. À 11 ans, il compose un Traité sur les sons , à 16 ans, un Essai sur les coniques , à 19 ans, il invente la pascaline, l’une des premières machines à calculer, à 25 ans, il fait réaliser par son beau-frère, Florin Périer, la célèbre expérience du puy de Dôme qui prouve la pesanteur de l’air et l’existence du vide… Avant de devenir avec Pierre de Fermat l’inventeur du calcul des probabilités. 


    Et la révélation survint !

    Pourtant ce brillant scientifique se défie de la seule raison. À l’occasion d’un accident de son père soigné par deux médecins convertis, Pascal et sa famille découvrent peu à peu un christianisme plus rigoureux, celui de Port-Royal, inspiré par la pensée de Jansénius. La nuit du 23 novembre 1654, Pascal fait une expérience mystique qui changera radicalement son existence. Dans le feu de cette révélation, il note un Mémorial qu’il gardera désormais jusqu’à sa mort cousu dans la doublure de son vêtement. Cet épisode le conduit à approfondir son engagement religieux. Le christianisme de Port-Royal, décrié par les jésuites, est menacé et l’un de ses plus brillants représentants, Antoine Arnaud, est attaqué par la Sorbonne. C’est ce qui décide Pascal à publier sous un pseudonyme des lettres, Les Provinciales (1656-1657), modèle de rhétorique et d’éloquence, qui défendent Arnaud, attaquent les jésuites et font scandale. Mais sa foi ardente le conduit à un plus ambitieux projet : composer une Apologie de la raison chrétienne que sa mort précoce en 1662 l’empêchera d’achever et dont les fragments constituent les célèbres Pensées publiées après sa mort. 
Si la foi est cardinale, elle n’annihile pas la raison. Plus que quiconque, Pascal, « cet effrayant génie » comme le qualifiait Chateaubriand, connaît la puissance du raisonnement même s’il en relève les limites. Ainsi la géométrie ne définit certes pas tous les termes et part de principes qu’elle ne peut démontrer, mais elle prouve tout le reste ( De l’esprit géométrique ). Pascal distingue le cœur et la raison : c’est le cœur (autrement dit la lumière naturelle, l’intuition) qui nous fait connaître les premiers principes, par exemple que les nombres sont infinis, et qui donne la foi. Bref, loin de vouloir ébranler toute certitude comme peuvent le faire les sceptiques, Pascal veut simplement rabattre l’orgueil des dogmatiques. D’où la célèbre formule « Le cœur a ses raisons que la raison ignore » , qui donne malheureusement souvent lieu à une lecture sentimentale à contresens.
La raison tient le milieu ; si elle n’est pas tout, elle n’est pas rien non plus. Elle est à l’image de l’homme, un roseau certes, mais un « roseau pensant » . Si la visée de Pascal dans les Pensées est apologétique, elle ne vise pas à démontrer l’existence de Dieu, mais plutôt à entamer la certitude des athées ou des déistes. Les uns comme les autres comptent trop sur la raison, que ce soit pour comprendre Dieu ou pour s’en passer. Pascal, lui, se réclame du « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants » (Mémorial).



    Philosophe ou théologien ?

    Pascal a fréquenté un temps le « monde » et ses brillantes figures tel le chevalier de Méré avec lequel il était lié. Pour convaincre les libres-penseurs et ceux qui se sont éloignés de la foi, il veut semer le doute, leur donner à voir « la misère de l’homme sans Dieu » . Pascal peint donc la vanité de l’existence mondaine, si animée mais si vide. Guerre, amour, jeu… Les hommes s’affairent pour ne point penser à leur finitude. C’est le fameux concept de « divertissement » qui renvoie à tout ce qui nous détourne de la réflexion sur notre condition. Les hommes sont trop souvent le jouet de l’imagination. Ils sont frappés par les apparences, tels les déguisements des juges, les manteaux d’hermine et les fleurs de lys, mais ils ignorent la véritable justice.
Faut-il alors ranger Pascal du côté de la philosophie ou de la théologie ? Voilà qui ne fait guère l’unanimité. Pascal dénonce bien souvent les prétentions des philosophes tout en reprenant parfois leurs concepts ou leurs arguments. Il emprunte par exemple beaucoup à Montaigne qu’il récuse pourtant. « Se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher. » , écrivait-il. Une boutade certes, mais pas seulement.
    Un étonnant pari
    Doit-on parier sur l’existence de Dieu ? Voici une question qui ne manque pas de sel. C’est pourtant ce que soutient Pascal dans un texte célèbre des Pensées  : « Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l’erreur et la misère. Votre raison n’est pas plus blessée en choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant choix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter. » 
Il existe dans la tradition philosophique de nombreuses tentatives pour prouver l’existence de Dieu, telle la célèbre preuve ontologique de saint Anselme. Mais Pascal les juge inutiles et stériles et c’est tout autre chose qu’il propose ici. Reprenons grossièrement. Je ne sais pas si Dieu existe certes, mais je suis « embarqué », je suis obligé de prendre une décision ne serait-ce au moins que par le genre de vie que je mène. En pariant pour Dieu (et, sous-entendu, en vivant selon cette conviction), je gagne la vie éternelle s’il existe et je ne perds rien s’il n’existe pas. Par contre, si je parie qu’il n’existe pas, je perds la vie éternelle s’il existe et je n’aurais guère gagné que du plaisir dans le cas contraire. La conclusion s’impose d’elle-même…
Le pari n’a cessé de diviser ceux qui l’ont commenté et formalisé, certains le jugeant valide, d’autres incorrect. Pour Ian Hacking, il constitue la première vraie contribution à la théorie de la décision. Quoi qu’il en soit, Pascal ne veut pas offrir une preuve de plus de l’existence de Dieu, puisque ce n’est pas par la raison que l’on peut l’atteindre mais uniquement par le « cœur ». Tout au plus cherche-t-il à ouvrir l’esprit du libre-penseur et à préparer une conversion qui seule pourrait le conduire véritablement à Dieu…
    Catherine Halpern
    Pascal, un anti-Descartes ?
    Voilà deux grands penseurs français et hommes de science accomplis. Pour le reste, tout semble les opposer. Pascal n’est du reste guère tendre : « Descartes inutile et incertain » , note-t-il dans les Pensées . Il y a sans nul doute un anticartésianisme de principe chez Pascal qui malgré tout prend appui sur la philosophie de son aîné même si c’est pour la subvertir. Alors que l’auteur du Discours de la méthode domine les discussions philosophiques, Pascal a peu de mots pour lui et préfère se référer à Montaigne ou à Épictète. C’est surtout leur rapport à la connaissance et à Dieu qui les oppose. Descartes part du « Je pense donc je suis » pour poser ensuite seulement l’existence de Dieu. Inacceptable pour Pascal qui dénonce tout à la fois sa présomption et sa vanité. Pascal aurait même eu ses mots : « Je ne puis pardonner à Descartes : il voudrait bien, dans toute sa philosophie, se pouvoir passer de Dieu ; mais il n’a pu s’empêcher de lui donner une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n’a plus que faire de Dieu. »
    Bibliographie
    • Entretiens avec M. de Sacy
    1655, rééd. Actes Sud, 2003.

    • Les Provinciales
    1656-1657, rééd. LGF, 2004.

    • Trois discours sur la condition des grands
    1660, Sils Maria, 1999.

    • Pensées
    1670, posth., rééd. Seuil, coll. « Points essais », 2006.

    • De l’esprit géométrique. De l’art de persuader
    1728, posth., rééd. Bordas, 1992.


    Et aussi…

    • Pascal et la philosophie
    Vincent Carraud, Puf, 2002.

    sciences humaines
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