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Ces hôpitaux qui menacent ruine

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  • Ces hôpitaux qui menacent ruine

    Le CHU de Bab El-Oued a été construit en 1834, celui de Mustapha-Pacha en 1854. Treize des quinze grands hôpitaux du pays sont largement centenaires. Conçus sur le modèle pavillonnaire, ils sont vétustes, budgétivores et complètement étriqués au regard des normes et des exigences de la médecine moderne.

    Au début du mois de mars, un incendie se déclare dans le pavillon abritant le service de neurologie du CHU Franz-Fanon de Blida. L’accident a fait deux morts et deux blessés dont un dans un état grave. Le bilan aurait pu être plus lourd. Loin de constituer un simple fait divers, le drame met sous la lumière du jour la déliquescence du patrimoine hospitalier national. Aussi bien au plan de la configuration spatiale que de l’organisation de la chaîne de soins et de la gestion administrative et de la ressource humaine, nos hôpitaux, qui souffrent de la patine du temps, sont dépassés par les technologies de la médecine moderne et ne répondent plus aux nouvelles normes de sécurité. Des sommes colossales sont investies, par les pouvoirs publics, dans la réhabilitation de ces infrastructures et dans l’augmentation de leurs capacités d’accueil. Les experts qualifient ces efforts financiers de coups d’épée dans l’eau, sans aucun impact significatif sur l’amélioration de la qualité des soins ou l’humanisation des groupements thérapeutiques. Abdelhamid Boudaoud, président du Collège national des experts architectes pointe de l’index une réalité amère. “Ces dernières années, on a enregistré des incendies dans différents établissements hospitaliers : El-Khroub, M’sila, CHU Mustapha-Pacha, Sid Bel-Abbès et Frantz-Fanon (Joinville), pratiquement tous d’origine accidentelle. La vétusté des installations électriques étant en cause”, informe-t-il. Il ne se prive guère de faire, aussitôt, un commentaire édifiant. “Les 366 milliards de DA dépensés en 2014 n’ont pas amélioré le secteur hospitalier. Le nombre de lits d’hôpitaux a atteint 65 000 places, mais de quelle manière ? Certes, il y a une amélioration en quantité mais pas en qualité.” Le constat est irréfutable : le pays ne peut plus continuer à fonctionner avec les hôpitaux dans cet état. Les pouvoirs publics l’ont compris aussi. “L’organisation actuelle des 13 CHU ne répond plus aux normes sanitaires et parasismiques, et coûte trop cher en gestion”, admet Lazhar Bounafaa, directeur général de l’Agence de réalisation et de suivi des établissements de santé (Arees). Il relève particulièrement la vétusté des infrastructures. Tel un homme âgé qui ne peut plus prétendre aux performances physiques de sa jeunesse, les centres hospitalo-universitaires son trop vieux pour rivaliser avec les groupements thérapeutiques contemporains. À deux exceptions près, les grands hôpitaux du pays forment, tous, un héritage légué de l’époque coloniale. Les plus anciens, — les CHU Lamine-Debaghine de Bab-El-Oued (ex-hôpital Maillot) Mustapha-Pacha *— ont été édifiés en 1834 en 1854. Les autres, dont ceux d’Oran et Ben-Badis de Constantine ont été construits avant l’an 1900. Évidemment, ils sont tous conçus sur le modèle pavillonnaire datant des XVIIIe et IXe siècles. L’idée de penser l’hôpital comme un empilement de services indépendants les uns des autres est dictée par une volonté de prévenir la propagation du feu dans toute la structure tel qu’a été le cas lors de l’incendie de l’hôpital religieux de Paris en 1772 et aussi la transformation de cas isolés de maladies infectieuses en épidémies, voire pandémies. “Le principe était de répartir les différentes unités fonctionnelles ou les différents services hospitaliers dans plusieurs bâtiments appelés ‘pavillons’. Cette disposition qui favorise le renouvellement et la circulation de l'air permettait en outre d'isoler les secteurs et les pathologies”, explique-t-on. Le concept trouvait des solutions aux préoccupations hygiénistes et sécuritaires posées il y a deux siècles. Plus maintenant. “La vision qu’on avait sur la médecine était complètement différente de celle moderne. Elle était axée sur la pathologie. Actuellement, le patient est au cœur de la prise en charge thérapeutique”, rectifie Haba Redouane, praticien qui représente, en Algérie, la société allemande Maquet et le groupe suédois Getinge, spécialisés dans la réalisation des blocs opératoires et du process de stérilisation. Actuellement, l’on tend vers la réalisation de centres hospitaliers intégrés, soit un bâtiment monobloc favorisant la circulation verticale et la mutualisation des équipements et moyens techniques. Les différents services et espaces de séjour des patients gravitent dès lors autour d’un noyau central dans lequel sont mis les blocs opératoires, les plateaux techniques, les laboratoires et le centre d’imagerie et de radiologie. C’est justement à cette conception, fondée sur la fonctionnalité et la rationalité que sont réfléchis les projets de reconstruction des CHU. “Fini l’hôpital pavillonnaire multi-sites éclaté ainsi que les services doublants. Nous tendons vers l’hôpital monobloc, avec un bloc opératoire unique, annexé à un plateau technique et un laboratoire. Il faut absolument mutualiser les compétences et rationaliser les moyens. De cette manière, l’État réduira au maximum la prise en charge du patient” souligne Mme Draouche, directrice des grands projets à l’Arees. Autrement dit, l’un des grands inconvénients du système pavillonnaire : la massivité de la ressource humaine et la multiplication des moyens. Un pavillon sous-entend en termes administratifs un service, des équipements exclusifs, un staff et un chef. Cette organisation est reproduite dans toutes les spécialités présentes dans le CHU, en sus des urgences et de la réanimation. “En 2010, il a été recensé à l’hôpital Mustapha 40 stérilisateurs. Il doit y en avoir nettement plus aujourd’hui. L’hôpital militaire d’Aïn-Naâdja ne fonctionne qu’avec 8 stérilisateurs. C’est pour vous montrer qu’un hôpital monobloc, contrairement aux structures pavillonnaires, permet une économie de moyens et le respect du process de stérilisation”, illustre M. Haba. Les oppositions entre les deux modèles ne se limitent pas à cet élément de comparaison. Le patient déambule d’un pavillon à un autre à l’étape de l’exploration, rendant sa prise en charge plus longue et plus compliquée. Il est constamment croisé avec d’autres malades atteints de pathologies différentes de la sienne. Il partage, avec nombre d’autres personnes hospitalisées, une salle et des toilettes communes. Impensable en l’an 2015. “Il faut de l’accueil à la sortie, humaniser les hôpitaux”, estime notre interlocuteur. Les nôtres sont aux antipodes du principe “Le patient au cœur de l’hôpital”, tout comme en matière d’hygiène, de sécurité et de qualité de soins. “Imaginez qu’il n’existe dans aucun hôpital algérien une salle hybride dans laquelle il est possible de faire une intervention qui nécessite deux spécialités”, regrette M. Haba, qui affirme, en outre, que le traitement d’air est mal fait et le système électrique n’est pas aux normes. Pour Abdelhamid Boudaoud : “Vu l’âge de nos hôpitaux, on n’a jamais vérifié les différents réseaux, surtout le réseau électrique qui doit avoir 15 ans, le chauffage central 20 ans, les appareils sanitaires 20 ans, la peinture 10 ans et le groupe électrogène 25 ans.”
    Le constat de délabrement est élargi aux établissements sanitaires, montés dans la précipitation en préfabriqué dans les années 80, après le séisme d’El-Asnam. “Les 42 hôpitaux, réalisés dans les années 1980 en préfabriqué ne correspondant pas aux exigences de l’heure et sont dans un état de dégradation avancée” se prononce le président du Cnea. Il évoque le cas de l’hôpital d’Aïn-Tedles, dont la structure contient de l’amiante, un matériau banni car cancérigène. “Un autre hôpital de l’Algérie profonde, se trouve à 157 km de la capitale, celui de Sidi-Aïssa. Il a l’air de tout, sauf d’un hôpital. Âgé de 35 ans, soit plus que la limite accordée à un bâtiment en préfabriqué, il est hors usage”, complète M. Boudaoud. Arees a justement inscrit, dans ses projets, un programme d’humanisation des établissements sanitaires en préfabriqué, lesquels cumulent 7 530 lits. L’opération consiste, selon Mme Draouche, à reconvertir certains centres et réhabiliter les autres en agissant notamment sur la structure. “Parfois, les travaux de réhabilitation ont fait plus de mal que de bien. Nous réfléchissons sur des actions au cas par cas” précise-t-elle.
    Sur les CHU aussi, l’Arees agira en plusieurs étapes. La première consiste à analyser l’état actuel des structures hospitalières (accessibilité, nature du sol…), expertiser chaque bâtiment et étudier sa fonctionnalité. “Cette première phase nous permettra de déterminer les priorités”, nous explique Mme Draouche. La deuxième phase sera celle de l’organisation du chantier par la mise en place d’un plan directeur de l’hôpital et de zonage. Il s’agira de décider quelle sera la première partie à détruire pour reconstruire en monobloc, puis la deuxième dans les activités seront transférées au nouveau bâtiment... et ainsi de suite jusqu'à achever la réédification du CHU sans devoir le fermer, durant le chantier. Enfin, la dernière étape servira à fixer les options, finaliser le cahier de charge et lancer les appels d’offres. “Nous sommes actuellement à la première phase. Le projet devrait durer de 7 à 10 ans. Nous interviendrons en simultané sur au moins quatre infrastructures, le CHU Mustapha-Pacha en priorité, les CHU Parnet et Beni-Messous et celui d’Oran”, complète Mme Draouche. Si la démarche de l’Agence réussit, l’État aura gagné un pari difficile, car jusqu’alors, il a plutôt paré à l’urgence par des opérations sans effet réel à moyen et long terme et a misé davantage sur une amélioration des capacités d’accueil que sur la qualité des services hospitalièrs. C’est la conclusion des experts, dont l’architecte Boudaoud. “Indépendamment du nombre élevé d’hôpitaux dont dispose le pays et de ceux qui seront lancés, l’accent devra être mis sur la qualité de la prestation médicale, la sécurité et l’hygiène. Le problème se situe plutôt dans la qualité et la gestion que dans le nombre des infrastructures médicales. Le spectacle désolant qu’offrent nos établissements hospitaliers le prouve à tout égard.”
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