«Un style musical ne peut être parfaitement isolé ni analysé dans ses propres termes, car ces termes sont ceux de la société et de sa culture et ceux des corps et des êtres humains qui l'écoutent.»
(John Blacking:
« L'homme producteur de musique »)
(John Blacking:
« L'homme producteur de musique »)
Par «chaabi», j'entends beaucoup plus l'auditoire d'El Anka que le caractère populaire de son riche répertoire musical.
En effet, l'éventail de ce répertoire englobe plusieurs mouvements classiques, dont au moins trois de chacune des noubat : ouverture, prélude, final.
El Anka était surtout l'interprête talentueux de la musique du terroir maghrébin, issue du mariage entre l'héritage classique andalou et le patrimoine des villes traditionnelles: Tlemcen, Nédromah, Alger, Blida, Médéa, Béjaïa, Constantine (1): haouzi, aroubi, mâlouf.
Il ne dédaignait pas les neqlabat, genre de musique légère dérivée des modes fondamentaux et auxquels Fadila El Djazaïra a donné un grand lustre.
Dans la même tradition, il chantait des cantiques religieux, dits « el djedd », appris dans la compagnie de son maître Nador. Ces cantiques ont servi d'introduction à la musique profane, qualifiée pendant longtemps d'œuvre satanique par les milieux conservateurs.
El Anka travailla sa diction et affina sa voix dans la psalmodie hanéfite, plus riche, plus modulante que la psalmodie malékite, horizontale et d'un ambitus rigide et peu étendu.
Cet éventail musical lui ouvrit un public nouveau et large: la jeunesse, peu réceptive aux mouvements lents des noubat, plus sensible aux rythmes vifs. En adhérant aux habitudes auditives nées de la tradition ankîste et des chants populaires citadins, ce public consolida du même coup les assises sociales du répertoire dit « chaabi ».
(1) Refuges de nombreux musulmans chassés d'Espagne.
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