Spécialiste des questions économiques, Camille Sari a enseigné dans différentes Universités parisiennes dont Paris III-Sorbonne Nouvelle, Paris XII, Paris VIII et Paris XIII ainsi que dans des grandes écoles de commerce. En tant que conférencier international, il a enseigné en Algérie, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Maroc et au Sénégal. Animateur d’un réseau d’entreprises de l’Est parisien, il a développé depuis 1982, des activités de consulting et d’accompagnement tant sur le marché français qu’au niveau international. Ainsi, il a mené des missions économiques dans 61 pays et préside actuellement l’Institut euro-maghrébin d’études et de prospectives. En tant que chercheur, il vient de publier deux ouvrages intéressants : « L’intégration économique maghrébine : un destin obligé ? » et « Monnaie et finance : du boom au krach ».
Libé : Quelles sont les conséquences des attaques terroristes qui ont frappé Paris en janvier?
Camille Sari : Les attaques terroristes qui ont frappé Paris ont des retentissements certains sur l’économie française.
Le premier, c’est la baisse considérable de la consommation qui représente 70% du PIB. Au cours de la période des soldes, il a été constaté une chute de fréquentation des magasins entre 5 et 75%.
De même que l’on a constaté des baisses considérables aux niveaux du trafic routier, de la consommation, de la croissance et des rentrées fiscales.
L’autre constat, ce sont les coûts de la guerre contre le terrorisme. A titre d’exemple : le déploiement de 10.000 militaires sur le territoire national, des coûts élevés de patrouille ou d’heures supplémentaires pour les forces de police mobilisées 24h sur 24. Tout cela coûtera très cher, surtout que de nombreuses casernes de gendarmerie ou commissariats de police en profiteront pour faire le plein de leurs véhicules d’intervention qui affichent 300.000 km au compteur et qu’il va bien vite falloir remplacer si l’on veut courir après de grosses berlines volées… Bref, la guerre au terrorisme va coûter très cher à la collectivité nationale et cela ne pourra se faire qu’avec plus de déficits.
Jusqu’à présent, le budget de la Défense était en forte diminution avec une réduction des effectifs qui a atteint 34.000 postes. Il n’est plus question de baisser les crédits militaires qui coûteront de 4 à 6 milliards d’euros supplémentaires.
Si la situation sécuritaire ne se dégrade pas (aucun attentat pendant les mois à venir), la consommation reprendra sans doute et il n’y aura pas de grosses pertes.
D’un mal un bien, le gouvernement peut avoir des marges de manœuvre et profiter du consensus national pour faire passer des lois impopulaires (loi Macron) mais nécessaires à la bonne marche de l’économie. La France profitera de l’indulgence de ses partenaires européens en matière de respect des déficits budgétaires, du fait qu’elle assure la défense de toute l’Europe.
Vous venez de publier deux livres, en l’occurrence «L’intégration économique maghrébine : un destin obligé?» et «Monnaie et finance : du boom au krach". Pourquoi deux ouvrages en concomitance ?
En effet, il s’agit de deux livres sur des thématiques différentes qui sortent la même année. Mais chaque ouvrage a été écrit à une période déterminée.
L’ouvrage collectif «L’intégration maghrébine : un destin obligé?» a été finalisé en 2013 et édité en Algérie pour l’espace algérien. L’édition chez L’Harmattan en 2014 a connu quelques retouches, pour sa diffusion internationale.
Mon livre «Monnaie et finance : du boom au krach» a été achevé de rédaction en septembre 2014 et publié en octobre de la même année. Cet ouvrage reprend des travaux universitaires dans une première partie et des comptes rendus analytiques de mes interventions dans les médias depuis le déclenchement de la crise de 2011. Ces textes, je n’ai pas voulu les modifier, afin de les restituer au lecteur dans leur contexte. Je prends le risque assumé de laisser à chacun le soin de juger mes pronostics à chaque étape et de vérifier combien j’ai été visionnaire (ou l’inverse) sur tel ou tel aspect de la crise.
Je me félicite d’avoir alerté sur la dictature des marchés financiers et de proposer une intervention plus marquée de la Banque centrale européenne. Reprenant mes travaux antérieurs et en allant à l’encontre de la pensée unique, j’ai plaidé pour une politique de croissance économique anti-cyclique. Mes contributions furent envoyées au candidat François Hollande ainsi qu’à certains membres de son équipe qui m’ont assuré de leur soutien à mes propositions.
Votre premier livre traite la question de l’intégration économique des pays du Maghreb. Peut-on dire que ce «Destin obligé» est toujours possible ?
Le monde est de plus en plus multipolaire. Les alliances se nouent entre pays voisins afin de créer des espaces viables économiquement et de constituer une force de négociation avec le reste du monde. Le Mercosur en Amérique du sud, l’ASEAN en Asie, l’UE, l’Alliance Eurasie entre la Russie et certains pays de l’ex-URSS, l’ALENA en Amérique du Nord, la CEDEAO, la CEMAC, l’UEMOA en Afrique subsaharienne …
Les PIB des économies maghrébines ne dépassent même pas celui de la Grèce. D’où le besoin de créer, entre celles-ci des synergies et des complémentarités et de rechercher des économies d’échelle, afin de réduire les dépendances vis-à-vis des économies dominantes ainsi que d’accroître leur pouvoir de négociation dans les relations internationales.
Les crises financières et économiques à répétition de ces dernières années, constituent une menace sérieuse pour le devenir des peuples de notre planète.
Cela pourrait être une alerte salutaire, incitant les dirigeants maghrébins à repenser leurs relations de voisinage dans le sens d’une plus grande solidarité et de moins de raidissements permanents et de tensions inutiles.
Comment peut-on réaliser ce «Destin obligé» en l’absence d’une volonté politique ?
Nous avons toujours défendu l’idée que les conflits politiques n’empêchent pas la réalisation d’une communauté économique. Regardez comment l’Europe meurtrie par plusieurs conflits sanglants a réalisé une union économique. Cela a commencé par la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), qui s’est transformée en Communauté économique européenne (CEE). En Asie, l’ASEAN (Association des pays du Sud asiatique) est formée de pays qui ont connu des guerres sur le tracé de leurs frontières (non résolu jusqu’à ce jour). Malgré des souffrances, ils ont joué la carte du pragmatisme et ont développé des investissements et des échanges économiques colossaux entre eux.
Au sein de notre Institut euro-maghrébin d’études et de prospectives (IEMEP), nous avons créé un groupe de travail sur le projet d’une Communauté euro-maghrébine de l’énergie des phosphates (CEMEP).
Nous travaillons sur la création d’une communauté économique maghrébine et une monnaie commune (comme l’ECU européen) et non unique (comme l’euro).
La question de la monnaie commune et des systèmes de paiements compensatoires devrait s’envisager dans le cadre de la CEM. La contrainte financière est pesante pour certaines économies de la région (Maroc, Mauritanie, Tunisie) et pourra le devenir pour les autres (Libye, Algérie). La nécessité de faire preuve d’imagination pour développer les échanges commerciaux en économisant les devises est impérieuse. Les mécanismes de compensation qui régissent, quoique timidement, une partie des relations économiques internationales sont aujourd’hui suffisamment élaborés pour permettre de contourner l’obstacle de l’insuffisance des moyens de paiements extérieurs auquel se heurte chacun de ces pays. Ainsi, l’issue à la crise des échanges commerciaux inter-maghrébins résiderait dans la double série d’actions à mener en faveur de la coopération productive industrielle et agricole et dans la mise en place d’un mécanisme élaboré de compensation. Ces contraintes extérieures justifient, à elles seules, la nécessité d’un regroupement économique maghrébin.
Tenant compte des expériences européenne et internationale, je ne propose pas une monnaie unique maghrébine d’emblée. Celle-ci pouvant être l’aboutissement de convergences économiques et monétaires à un stade suprême et où les volontés politiques pour la consolidation de la communauté économique maghrébine seraient fermement et durablement affirmées.
Le fait que les monnaies des Etats du Maghreb soient inconvertibles fait disparaître le risque de change extérieur et empêche la fuite des capitaux hors Maghreb.
La difficulté de se procurer des devises impacte les importations. Les réserves de change au Maroc ne couvrent que 5,5 mois d’importation. C’était 3 à 4 mois en Algérie après la chute des cours des hydrocarbures.
Les pays qui acceptent de former une communauté économique cherchent à étendre leur marché et à créer un espace optimal pour les opérateurs économiques locaux et les investisseurs étrangers.
Les économies qui se sont développées de façon accélérée sont celles disposant d’un vaste territoire avec une population dépassant les 60 millions d’habitants.
Les pays de taille moyenne ou petite peuvent connaître une croissance forte, dès lors qu’ils se trouvent géographiquement associés dans un environnement dynamique.
La fermeture de la frontière profite à des lobbies qui font passer de grandes quantités de produits illicites des deux côtés de la frontière.
Je me suis rendu à Oran et Maghnia en juin 2011 et à Oujda en juillet 2011 et j’ai mesuré combien de fortunes colossales se sont formées grâce à ces trafics qui passent par des voies non autorisées par mer et par terre avec certainement des complicités.
L’appât du gain transcende les frontières et rapproche ces puissances d’argent. Les lobbies de la plume et ceux qui profitent du surarmement des deux pays, s’opposent à la réouverture des frontières.
Des habitants des villes frontalières algériennes, à l’image de Maghnia estiment que les produits algériens subventionnés deviendront plus chers et rares si la frontière est ouverte.
Bien au contraire, grâce à la réouverture des frontières, les produits qui y transitent pourront être régulés par les tarifs douaniers. Actuellement, il n’y a aucune coordination entre les douanes algérienne et marocaine, ni entre les polices et les armées.
Libé : Quelles sont les conséquences des attaques terroristes qui ont frappé Paris en janvier?
Camille Sari : Les attaques terroristes qui ont frappé Paris ont des retentissements certains sur l’économie française.
Le premier, c’est la baisse considérable de la consommation qui représente 70% du PIB. Au cours de la période des soldes, il a été constaté une chute de fréquentation des magasins entre 5 et 75%.
De même que l’on a constaté des baisses considérables aux niveaux du trafic routier, de la consommation, de la croissance et des rentrées fiscales.
L’autre constat, ce sont les coûts de la guerre contre le terrorisme. A titre d’exemple : le déploiement de 10.000 militaires sur le territoire national, des coûts élevés de patrouille ou d’heures supplémentaires pour les forces de police mobilisées 24h sur 24. Tout cela coûtera très cher, surtout que de nombreuses casernes de gendarmerie ou commissariats de police en profiteront pour faire le plein de leurs véhicules d’intervention qui affichent 300.000 km au compteur et qu’il va bien vite falloir remplacer si l’on veut courir après de grosses berlines volées… Bref, la guerre au terrorisme va coûter très cher à la collectivité nationale et cela ne pourra se faire qu’avec plus de déficits.
Jusqu’à présent, le budget de la Défense était en forte diminution avec une réduction des effectifs qui a atteint 34.000 postes. Il n’est plus question de baisser les crédits militaires qui coûteront de 4 à 6 milliards d’euros supplémentaires.
Si la situation sécuritaire ne se dégrade pas (aucun attentat pendant les mois à venir), la consommation reprendra sans doute et il n’y aura pas de grosses pertes.
D’un mal un bien, le gouvernement peut avoir des marges de manœuvre et profiter du consensus national pour faire passer des lois impopulaires (loi Macron) mais nécessaires à la bonne marche de l’économie. La France profitera de l’indulgence de ses partenaires européens en matière de respect des déficits budgétaires, du fait qu’elle assure la défense de toute l’Europe.
Vous venez de publier deux livres, en l’occurrence «L’intégration économique maghrébine : un destin obligé?» et «Monnaie et finance : du boom au krach". Pourquoi deux ouvrages en concomitance ?
En effet, il s’agit de deux livres sur des thématiques différentes qui sortent la même année. Mais chaque ouvrage a été écrit à une période déterminée.
L’ouvrage collectif «L’intégration maghrébine : un destin obligé?» a été finalisé en 2013 et édité en Algérie pour l’espace algérien. L’édition chez L’Harmattan en 2014 a connu quelques retouches, pour sa diffusion internationale.
Mon livre «Monnaie et finance : du boom au krach» a été achevé de rédaction en septembre 2014 et publié en octobre de la même année. Cet ouvrage reprend des travaux universitaires dans une première partie et des comptes rendus analytiques de mes interventions dans les médias depuis le déclenchement de la crise de 2011. Ces textes, je n’ai pas voulu les modifier, afin de les restituer au lecteur dans leur contexte. Je prends le risque assumé de laisser à chacun le soin de juger mes pronostics à chaque étape et de vérifier combien j’ai été visionnaire (ou l’inverse) sur tel ou tel aspect de la crise.
Je me félicite d’avoir alerté sur la dictature des marchés financiers et de proposer une intervention plus marquée de la Banque centrale européenne. Reprenant mes travaux antérieurs et en allant à l’encontre de la pensée unique, j’ai plaidé pour une politique de croissance économique anti-cyclique. Mes contributions furent envoyées au candidat François Hollande ainsi qu’à certains membres de son équipe qui m’ont assuré de leur soutien à mes propositions.
Votre premier livre traite la question de l’intégration économique des pays du Maghreb. Peut-on dire que ce «Destin obligé» est toujours possible ?
Le monde est de plus en plus multipolaire. Les alliances se nouent entre pays voisins afin de créer des espaces viables économiquement et de constituer une force de négociation avec le reste du monde. Le Mercosur en Amérique du sud, l’ASEAN en Asie, l’UE, l’Alliance Eurasie entre la Russie et certains pays de l’ex-URSS, l’ALENA en Amérique du Nord, la CEDEAO, la CEMAC, l’UEMOA en Afrique subsaharienne …
Les PIB des économies maghrébines ne dépassent même pas celui de la Grèce. D’où le besoin de créer, entre celles-ci des synergies et des complémentarités et de rechercher des économies d’échelle, afin de réduire les dépendances vis-à-vis des économies dominantes ainsi que d’accroître leur pouvoir de négociation dans les relations internationales.
Les crises financières et économiques à répétition de ces dernières années, constituent une menace sérieuse pour le devenir des peuples de notre planète.
Cela pourrait être une alerte salutaire, incitant les dirigeants maghrébins à repenser leurs relations de voisinage dans le sens d’une plus grande solidarité et de moins de raidissements permanents et de tensions inutiles.
Comment peut-on réaliser ce «Destin obligé» en l’absence d’une volonté politique ?
Nous avons toujours défendu l’idée que les conflits politiques n’empêchent pas la réalisation d’une communauté économique. Regardez comment l’Europe meurtrie par plusieurs conflits sanglants a réalisé une union économique. Cela a commencé par la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), qui s’est transformée en Communauté économique européenne (CEE). En Asie, l’ASEAN (Association des pays du Sud asiatique) est formée de pays qui ont connu des guerres sur le tracé de leurs frontières (non résolu jusqu’à ce jour). Malgré des souffrances, ils ont joué la carte du pragmatisme et ont développé des investissements et des échanges économiques colossaux entre eux.
Au sein de notre Institut euro-maghrébin d’études et de prospectives (IEMEP), nous avons créé un groupe de travail sur le projet d’une Communauté euro-maghrébine de l’énergie des phosphates (CEMEP).
Nous travaillons sur la création d’une communauté économique maghrébine et une monnaie commune (comme l’ECU européen) et non unique (comme l’euro).
La question de la monnaie commune et des systèmes de paiements compensatoires devrait s’envisager dans le cadre de la CEM. La contrainte financière est pesante pour certaines économies de la région (Maroc, Mauritanie, Tunisie) et pourra le devenir pour les autres (Libye, Algérie). La nécessité de faire preuve d’imagination pour développer les échanges commerciaux en économisant les devises est impérieuse. Les mécanismes de compensation qui régissent, quoique timidement, une partie des relations économiques internationales sont aujourd’hui suffisamment élaborés pour permettre de contourner l’obstacle de l’insuffisance des moyens de paiements extérieurs auquel se heurte chacun de ces pays. Ainsi, l’issue à la crise des échanges commerciaux inter-maghrébins résiderait dans la double série d’actions à mener en faveur de la coopération productive industrielle et agricole et dans la mise en place d’un mécanisme élaboré de compensation. Ces contraintes extérieures justifient, à elles seules, la nécessité d’un regroupement économique maghrébin.
Tenant compte des expériences européenne et internationale, je ne propose pas une monnaie unique maghrébine d’emblée. Celle-ci pouvant être l’aboutissement de convergences économiques et monétaires à un stade suprême et où les volontés politiques pour la consolidation de la communauté économique maghrébine seraient fermement et durablement affirmées.
Le fait que les monnaies des Etats du Maghreb soient inconvertibles fait disparaître le risque de change extérieur et empêche la fuite des capitaux hors Maghreb.
La difficulté de se procurer des devises impacte les importations. Les réserves de change au Maroc ne couvrent que 5,5 mois d’importation. C’était 3 à 4 mois en Algérie après la chute des cours des hydrocarbures.
Les pays qui acceptent de former une communauté économique cherchent à étendre leur marché et à créer un espace optimal pour les opérateurs économiques locaux et les investisseurs étrangers.
Les économies qui se sont développées de façon accélérée sont celles disposant d’un vaste territoire avec une population dépassant les 60 millions d’habitants.
Les pays de taille moyenne ou petite peuvent connaître une croissance forte, dès lors qu’ils se trouvent géographiquement associés dans un environnement dynamique.
La fermeture de la frontière profite à des lobbies qui font passer de grandes quantités de produits illicites des deux côtés de la frontière.
Je me suis rendu à Oran et Maghnia en juin 2011 et à Oujda en juillet 2011 et j’ai mesuré combien de fortunes colossales se sont formées grâce à ces trafics qui passent par des voies non autorisées par mer et par terre avec certainement des complicités.
L’appât du gain transcende les frontières et rapproche ces puissances d’argent. Les lobbies de la plume et ceux qui profitent du surarmement des deux pays, s’opposent à la réouverture des frontières.
Des habitants des villes frontalières algériennes, à l’image de Maghnia estiment que les produits algériens subventionnés deviendront plus chers et rares si la frontière est ouverte.
Bien au contraire, grâce à la réouverture des frontières, les produits qui y transitent pourront être régulés par les tarifs douaniers. Actuellement, il n’y a aucune coordination entre les douanes algérienne et marocaine, ni entre les polices et les armées.
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