Changement de perception des investissements étrangers
Encore récemment, l’investissement étranger était considéré comme la panacée aux problèmes économiques mondiaux. Aujourd’hui cependant, certains de ses partisans semblent changer d’avis et y trouver à redire : il pourrait finalement s’avérer néfaste pour un pays de fonder son développement sur l’investissement étranger dans la mesure où celui-ci réduit l’épargne locale en la transférant vers la consommation. Bill Clinton, lui-même grand partisan de la mondialisation et inventeur de la formule « US incorporated », a récemment exprimé son appréhension concernant la dépendance américaine à l’égard des investissements à l’étranger.
La panacée de l’économie mondiale mise en question dans la Mecque de l’économie libre, l’Amérique elle-même ! On devrait par conséquent s’attendre à ce que le débat s’étende aux économies émergentes, où l’afflux de capitaux extérieurs pose au moins autant de problèmes qu’il apporte de solutions. Aussi le nécessaire débat sur l’investissement étranger direct s’est-il ouvert en Inde dès le début du programme gouvernemental de libéralisation et de mondialisation, lancé en 1992.
Le débat Indien déformé
De toutes les questions économiques récemment débattues en Inde, la plus sérieuse et aussi la plus déformée, a été celle de l’investissement étranger. Celle-ci se posa dès que le gouvernement indien décida d’ouvrir l’économie aux capitaux extérieurs. Le débat fut tronqué pour trois raisons. Tout d’abord, parce que la politique de libéralisation fut le produit de la crise financière qui frappa le pays comme un tsunami en 1991. Étant donné les conditions qui accompagnaient les prêts structurels de la Banque Mondiale, il put apparaître que l’ouverture de l’économie indienne au capital étranger était dictée par la Banque Mondiale et le FMI et que l’État indien s’y soumettait docilement.
Certains demandèrent une évaluation de l’impact probable de l’investissement étranger sur les différentes branches de l’économie. Mais l’Inde était une économie fortement dirigiste sans égard pour le secteur privé traditionnellement subordonné au secteur public. Aussi, l’idée que la libre entrée de capitaux étrangers puisse fragiliser le capital privé, particulièrement le petit capital, ne fut pas prise en compte.
Deuxièmement, le fait que la libéralisation fût liée à la crise financière ferma toute possibilité de débat. En effet, le recours au capital étranger fut présenté comme une réponse inévitable à une crise financière et non comme une politique économique visant à augmenter le capital productif et à induire les transferts de technologies dont le pays avait besoin.
Troisièmement, la politisation de la question dans l’opinion publique transforma l’investissement étranger de question économique en question idéologique. Les partisans d’une ouverture sans contrôle se présentèrent comme des progressistes tournés vers l’avenir, tandis que ceux qui s’opposaient à une libéralisation sans frein étaient étiquetés rétrogrades et isolationnistes. La contre-performance de l’économie socialiste fut efficacement utilisée pour clouer le bec à toute critique objective d’une ouverture indiscriminée au capital étranger, lequel était bon par nature quelle que soit sa destination et sa manière.
Ainsi, même un investissement aussi frauduleux que celui d’Enron dans le Maharashtra fut accepté sans aucun examen préalable. Ceux qui s’opposèrent au projet sur la base d’une étude objective et critique, soulignant ses effets négatifs et la corruption qu’il induirait, furent traités d’hommes des cavernes qui cherchaient à faire reculer le pays. Ainsi le débat se résuma à un débat idéologique entre partisans et opposants à l’investissement étranger. Posé sur une base fausse dès l’origine, le débat se poursuivit dans les mêmes termes.
L’Inde se développe par elle-même, sans l’appui du capital étranger
L’un des arguments des défenseurs de l’investissement étranger en Inde était que sans cet apport, l’Inde ne serait pas en mesure se développer. Or cela s’est avéré faux. Les experts nous avaient répété sur tous les tons que le pays avait besoin de 10 milliards de dollars de capital étranger par an pour atteindre un taux de croissance de 8%. Or l’investissement étranger total depuis 1991 ne dépasse pas 3 à 4% de l’investissement.
L’Inde génère donc plus de 95% de ses investissements avec sa propre épargne, et cela ne l’a pas empêché d’atteindre un taux de croissance de 8,2% en 2003-04, sans apport extérieur substantiel. En fait, l’émergence de l’Inde et les perspectives que celles-ci offrent au monde ne doivent pratiquement rien au capital étranger. Il en va tout autrement de la Chine.
La Chine s’appuie principalement sur l’investissement étranger
Par contraste, le type de développement économique suivi par la Chine repose essentiellement sur l’investissement étranger, à tel point que si, pour une raison quelconque les nouveaux investissements se détournaient de la Chine, celle-ci n’aurait d’autre recours que de geler les capitaux investis. Ce modèle est sans aucun doute adapté à la Chine, laquelle doit faire face à des problèmes spécifiques hérités de son histoire récente. En effet, durant la phase socialiste, de 1950 à 1970, le régime maoïste a détruit sa classe entrepreneuriale et ses entreprises. La seule chose qui ait survécu à l’assaut communiste est le système de valeurs confucéennes qui réémergea lorsque la vague communiste commença à refluer. Mais, si le capital culturel de la Chine demeurait intact, il n’en allait pas de même du capital entrepreneurial et la Chine dut faire appel aux entreprises et au capital étrangers pour reconstituer son secteur privé, permettant ainsi au pays de libéraliser progressivement son énorme économie publique.
La stratégie chinoise est inutile en Inde, du fait d’un secteur privé vivant
Cette stratégie ne s’imposait pas en Inde, où le secteur privé a toujours été très vivant et ne demandait qu’à se libérer du carcan étatique pour trouver sa place dans l’économie du pays, trop longtemps déniée par la gestion socialiste. Même à la pire époque de celle-ci, la part du secteur public n’a jamais excédé 25% du PNB. La différence entre les modèles chinois et indiens, mise à part que l’Inde était une démocratie et la Chine un régime totalitaire, est que pendant que la Chine décimait ses entreprises privées, la forme indienne du socialisme se contentait de les délégitimer, les laissant survivre en marge du système d’État.
Aussi, lorsque les deux pays libéralisèrent leurs économies, la Chine se trouva dépourvue d’un secteur privé sans lequel aucune libéralisation n’est possible, alors que l’Inde disposait d’un secteur privé affamé qui attendait depuis des décennies que l’État relâche son emprise. Cette différence essentielle ne fut jamais prise en compte dans le débat sur l’investissement étranger en Inde et en Chine.
La création délibérée d’un complexe indien d’infériorité
Ainsi, sans prendre en compte cette différence, les partisans de l’investissement extérieur citait le haut niveau de capital extérieur en Chine comparé au faible niveau de l’Inde et créèrent un complexe d’infériorité dans la société indienne. L’argument principal était que l’Inde était incapable d’attirer les fonds étrangers. « Regarder les Chinois, regardez l’Inde » tel était le leitmotiv. N’était pas non plus pris en compte le fait que la Chine avaient préparé son économie durant plus de dix ans à l’arrivée des capitaux étrangers. Les réformes et les travaux de mise à niveau commencèrent en 1978, mais les premières vagues d’arrivée de capital ne se produisirent 13 ans plus tard, en 1991. Entre-temps, la Chine s’équipa massivement en infrastructures, ce qui commença à attirer les capitaux dont l’arrivée s’accrut de manière exponentielle pendant les années 90.
Personne ne s’est demandé d’où venaient les centaines de millions investis dans l’infrastructure. Les chinois avaient tout simplement transféré les dépôts à court terme de leurs épargnants sur des investissements à long terme et ainsi financé une rénovation de leur économie dans le but de la rendre attractive au capital étranger.
C’était là une stratégie financièrement risquée mais la Chine pouvait se le permettre dans la mesure où, même aujourd’hui, son économie est largement entre les mains de l’État et où son secteur bancaire est à l’abri des mouvements financiers mondiaux. L’Inde, par contre, ne peut se permettre de prendre un tel risque. Il y a donc une histoire qui explique les hauts niveaux d’investissements étrangers en Chine. De plus, les manières de le mesurer ne sont pas les mêmes dans les deux pays. Par exemple, les profits des multinationales conservés localement sont considérés comme des investissements étrangers en Chine, ce qui lui permet d’afficher de meilleurs scores, alors qu’ils ne le sont pas en Inde. Ainsi, la comparaison de chiffres incomparables accrut le sentiment d’infériorité de l’Inde.
La suite.....
Encore récemment, l’investissement étranger était considéré comme la panacée aux problèmes économiques mondiaux. Aujourd’hui cependant, certains de ses partisans semblent changer d’avis et y trouver à redire : il pourrait finalement s’avérer néfaste pour un pays de fonder son développement sur l’investissement étranger dans la mesure où celui-ci réduit l’épargne locale en la transférant vers la consommation. Bill Clinton, lui-même grand partisan de la mondialisation et inventeur de la formule « US incorporated », a récemment exprimé son appréhension concernant la dépendance américaine à l’égard des investissements à l’étranger.
La panacée de l’économie mondiale mise en question dans la Mecque de l’économie libre, l’Amérique elle-même ! On devrait par conséquent s’attendre à ce que le débat s’étende aux économies émergentes, où l’afflux de capitaux extérieurs pose au moins autant de problèmes qu’il apporte de solutions. Aussi le nécessaire débat sur l’investissement étranger direct s’est-il ouvert en Inde dès le début du programme gouvernemental de libéralisation et de mondialisation, lancé en 1992.
Le débat Indien déformé
De toutes les questions économiques récemment débattues en Inde, la plus sérieuse et aussi la plus déformée, a été celle de l’investissement étranger. Celle-ci se posa dès que le gouvernement indien décida d’ouvrir l’économie aux capitaux extérieurs. Le débat fut tronqué pour trois raisons. Tout d’abord, parce que la politique de libéralisation fut le produit de la crise financière qui frappa le pays comme un tsunami en 1991. Étant donné les conditions qui accompagnaient les prêts structurels de la Banque Mondiale, il put apparaître que l’ouverture de l’économie indienne au capital étranger était dictée par la Banque Mondiale et le FMI et que l’État indien s’y soumettait docilement.
Certains demandèrent une évaluation de l’impact probable de l’investissement étranger sur les différentes branches de l’économie. Mais l’Inde était une économie fortement dirigiste sans égard pour le secteur privé traditionnellement subordonné au secteur public. Aussi, l’idée que la libre entrée de capitaux étrangers puisse fragiliser le capital privé, particulièrement le petit capital, ne fut pas prise en compte.
Deuxièmement, le fait que la libéralisation fût liée à la crise financière ferma toute possibilité de débat. En effet, le recours au capital étranger fut présenté comme une réponse inévitable à une crise financière et non comme une politique économique visant à augmenter le capital productif et à induire les transferts de technologies dont le pays avait besoin.
Troisièmement, la politisation de la question dans l’opinion publique transforma l’investissement étranger de question économique en question idéologique. Les partisans d’une ouverture sans contrôle se présentèrent comme des progressistes tournés vers l’avenir, tandis que ceux qui s’opposaient à une libéralisation sans frein étaient étiquetés rétrogrades et isolationnistes. La contre-performance de l’économie socialiste fut efficacement utilisée pour clouer le bec à toute critique objective d’une ouverture indiscriminée au capital étranger, lequel était bon par nature quelle que soit sa destination et sa manière.
Ainsi, même un investissement aussi frauduleux que celui d’Enron dans le Maharashtra fut accepté sans aucun examen préalable. Ceux qui s’opposèrent au projet sur la base d’une étude objective et critique, soulignant ses effets négatifs et la corruption qu’il induirait, furent traités d’hommes des cavernes qui cherchaient à faire reculer le pays. Ainsi le débat se résuma à un débat idéologique entre partisans et opposants à l’investissement étranger. Posé sur une base fausse dès l’origine, le débat se poursuivit dans les mêmes termes.
L’Inde se développe par elle-même, sans l’appui du capital étranger
L’un des arguments des défenseurs de l’investissement étranger en Inde était que sans cet apport, l’Inde ne serait pas en mesure se développer. Or cela s’est avéré faux. Les experts nous avaient répété sur tous les tons que le pays avait besoin de 10 milliards de dollars de capital étranger par an pour atteindre un taux de croissance de 8%. Or l’investissement étranger total depuis 1991 ne dépasse pas 3 à 4% de l’investissement.
L’Inde génère donc plus de 95% de ses investissements avec sa propre épargne, et cela ne l’a pas empêché d’atteindre un taux de croissance de 8,2% en 2003-04, sans apport extérieur substantiel. En fait, l’émergence de l’Inde et les perspectives que celles-ci offrent au monde ne doivent pratiquement rien au capital étranger. Il en va tout autrement de la Chine.
La Chine s’appuie principalement sur l’investissement étranger
Par contraste, le type de développement économique suivi par la Chine repose essentiellement sur l’investissement étranger, à tel point que si, pour une raison quelconque les nouveaux investissements se détournaient de la Chine, celle-ci n’aurait d’autre recours que de geler les capitaux investis. Ce modèle est sans aucun doute adapté à la Chine, laquelle doit faire face à des problèmes spécifiques hérités de son histoire récente. En effet, durant la phase socialiste, de 1950 à 1970, le régime maoïste a détruit sa classe entrepreneuriale et ses entreprises. La seule chose qui ait survécu à l’assaut communiste est le système de valeurs confucéennes qui réémergea lorsque la vague communiste commença à refluer. Mais, si le capital culturel de la Chine demeurait intact, il n’en allait pas de même du capital entrepreneurial et la Chine dut faire appel aux entreprises et au capital étrangers pour reconstituer son secteur privé, permettant ainsi au pays de libéraliser progressivement son énorme économie publique.
La stratégie chinoise est inutile en Inde, du fait d’un secteur privé vivant
Cette stratégie ne s’imposait pas en Inde, où le secteur privé a toujours été très vivant et ne demandait qu’à se libérer du carcan étatique pour trouver sa place dans l’économie du pays, trop longtemps déniée par la gestion socialiste. Même à la pire époque de celle-ci, la part du secteur public n’a jamais excédé 25% du PNB. La différence entre les modèles chinois et indiens, mise à part que l’Inde était une démocratie et la Chine un régime totalitaire, est que pendant que la Chine décimait ses entreprises privées, la forme indienne du socialisme se contentait de les délégitimer, les laissant survivre en marge du système d’État.
Aussi, lorsque les deux pays libéralisèrent leurs économies, la Chine se trouva dépourvue d’un secteur privé sans lequel aucune libéralisation n’est possible, alors que l’Inde disposait d’un secteur privé affamé qui attendait depuis des décennies que l’État relâche son emprise. Cette différence essentielle ne fut jamais prise en compte dans le débat sur l’investissement étranger en Inde et en Chine.
La création délibérée d’un complexe indien d’infériorité
Ainsi, sans prendre en compte cette différence, les partisans de l’investissement extérieur citait le haut niveau de capital extérieur en Chine comparé au faible niveau de l’Inde et créèrent un complexe d’infériorité dans la société indienne. L’argument principal était que l’Inde était incapable d’attirer les fonds étrangers. « Regarder les Chinois, regardez l’Inde » tel était le leitmotiv. N’était pas non plus pris en compte le fait que la Chine avaient préparé son économie durant plus de dix ans à l’arrivée des capitaux étrangers. Les réformes et les travaux de mise à niveau commencèrent en 1978, mais les premières vagues d’arrivée de capital ne se produisirent 13 ans plus tard, en 1991. Entre-temps, la Chine s’équipa massivement en infrastructures, ce qui commença à attirer les capitaux dont l’arrivée s’accrut de manière exponentielle pendant les années 90.
Personne ne s’est demandé d’où venaient les centaines de millions investis dans l’infrastructure. Les chinois avaient tout simplement transféré les dépôts à court terme de leurs épargnants sur des investissements à long terme et ainsi financé une rénovation de leur économie dans le but de la rendre attractive au capital étranger.
C’était là une stratégie financièrement risquée mais la Chine pouvait se le permettre dans la mesure où, même aujourd’hui, son économie est largement entre les mains de l’État et où son secteur bancaire est à l’abri des mouvements financiers mondiaux. L’Inde, par contre, ne peut se permettre de prendre un tel risque. Il y a donc une histoire qui explique les hauts niveaux d’investissements étrangers en Chine. De plus, les manières de le mesurer ne sont pas les mêmes dans les deux pays. Par exemple, les profits des multinationales conservés localement sont considérés comme des investissements étrangers en Chine, ce qui lui permet d’afficher de meilleurs scores, alors qu’ils ne le sont pas en Inde. Ainsi, la comparaison de chiffres incomparables accrut le sentiment d’infériorité de l’Inde.
La suite.....
Commentaire