lutter au sahara:
Rôle de la France : une fausse neutralité
L’implication de la France dans le conflit du Sahara Occidental n’est pas récente et, selon de nombreux observateurs, elle explique en grande partie le statu quo qui touche ce territoire considéré comme non-autonome par l’ONU.
En mai 2013, l’assemblée générale de l’ONU a remis la Polynésie française sur la liste des territoires à décoloniser et a affirmé « le droit inaliénable de (sa) population (…) à l’autodétermination et à l’indépendance ». Cet archipel rejoint ainsi le Sahara occidental, sous occupation marocaine depuis 1975… et la Nouvelle-Calédonie. Même si le Sahara Occidental a une histoire qui lui est propre, on peut noter que la France traîne toujours derrière elle cet héritage de pays colonisateur et que cette actualité donne l’occasion de se poser cette question : ce passé n’explique-t-il pas fondamentalement pourquoi la France, qui a établi un protectorat sur le Maroc en 1912, soutient ce dernier dans cette entreprise d’occupation d’un territoire sur lequel aucun pays au monde ne reconnaît une quelconque souveraineté du Maroc ? Car, bien loin de la neutralité affichée depuis le début du conflit, la France soutient la présence du Maroc au Sahara occidental.
Solidarité de pays colonisateurs ?
On peut noter qu’en 1957-1958, la France appuie l’Espagne, qui occupe alors le Sahara Occidental, depuis 70 ans pour une partie de ce territoire, dans sa lutte contre les tribus sahraouies soutenues par… le Maroc, toute jeune nation. Il s’agit alors pour la France de ne pas ajouter une déstabilisation supplémentaire dans une région qui vient de vivre l’indépendance du Maroc et qui connaît le début de la guerre d’Algérie. Le maintien du Sahara Occidental sous le giron franquiste est considéré comme un moyen d’isoler les colonies sub-sahariennes de ce mouvement d’émancipation (la plupart de ces pays obtiendront leur indépendance en 1960) et même expansionniste si l’on considère la position défendue principalement par un parti marocain, l’Istiqlal, qui veut faire du fleuve Sénégal la frontière sud du pays et inclurait une partie du Mali, la Mauritanie, une partie de l’Algérie et, donc, le Sahara Occidental.
Le 10 février 1958, l’opération Ecouvillon, décidée par le gouvernement français dirigé alors par Félix Gaillard, est déclenchée et prend fin le 5 mai 1959. 5 000 hommes, 600 véhicules et 70 avions sont engagés contre les Marocains de l’Armée de libération nationale du Sud et plusieurs tribus sahraouies qui enchaînent les attaques contre les 9000 soldats espagnols. La région visée par cette opération militaire est proche des villes de Bechar (appelée alors Colomb-Béchar), distante de 80 km de la frontière avec le Maroc, et de Tindouf, la ville la plus au sud-ouest de l’Algérie. Ces deux localités et leurs environs, devenus des départements français en 1952, sont à ce moment-là directement placés sous l’autorité d’un ministre du Sahara (Max Lejeune). Ce dernier fait également office jusqu’à l’été 1960 de délégué général de l’« Organisation commune des régions sahariennes », une collectivité territoriale instaurée par la France en 1957. Les provinces de Bechar et de Tindouf seront l’objet de revendications de la part du Maroc au lendemain de l’indépendance du voisin, l’Algérie. Elles causeront même, en partie, le déclenchement en octobre 1963 de la guerre dite des sables autour du tracé des frontières héritées du colonialisme.
La France au coeur du conflit naissant
Malgré la résolution 2072 adoptée en 1965 par l’Assemblée générale des Nations Unies qui demande à l’Espagne de libérer le Sahara Occidental et qui fait référence à la résolution 1514 sur le droit à l’autodétermination des peuples colonisés, l’Espagne s’accroche, quitte à réprimer les Sahraouis comme en juin 1970, lors d’une manifestation pacifique. Cinq ans plus tard, le pouvoir franquiste finissant est débordé par le tout jeune mouvement politique armé créé deux ans auparavant, le Front Polisario. Son retrait est négocié avec les deux anciennes colonies françaises : le Maroc et la Mauritanie. L’Algérie devenant un acteur engagé dans les discussions sur l’avenir du « Sahara espagnol », la France, prise entre les positions contradictoires de l’Algérie et du Maroc, se retrouve de fait au cœur de ce conflit naissant. La France choisit d’adopter, officiellement, une position relativement équilibrée pour ne froisser aucun de ses trois partenaires historiques, sans oublier son voisin l’Espagne, et, ainsi, assurer les conditions de son maintien dans cette vaste région aux nombreuses richesses naturelles (gaz, pétrole, minerais), alors que le vent de l’indépendance souffle. Ce n’est pas facile. L’« Organisation commune des régions sahariennes » (citée plus haut) a bien été mise en place dans ce but.
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Mais, l’invasion du Sahara Occidental par Hassan II en novembre 1975 rend plus que délicate la position officielle de la France. Par son action provocante (rappelons ici que trois semaines avant, la Cour internationale de justice de La Haye a considéré que le processus de décolonisation devait aller à son terme au Sahara Occidental et que le jour même, Hassan II prononce son discours qui marquera le début de la mobilisation), le roi du Maroc entend bien s’imposer au Sahara Occidental. C’est le début de ce que l’on pourrait appeler « la politique du fait accompli ». En lançant 350 000 civils en direction de ce territoire, le souverain marocain a parié à la fois sur l’inaction de l’Espagne, qui a d’ores et déjà annoncé qu’elle souhaitait quitter cette région, et sur la « neutralité » bien arrangeante de la communauté internationale, à commencer par celle de la France.
Une sémantique au service d’une occupation
Son pari est gagné. Le président français Giscard d’Estaing est en visite au même moment en Tunisie. Il signe un message commun avec le président tunisien Bourguiba, qui est adressé à Hassan II. Si son contenu n’a semble-t-il pas été divulgué par ce dernier, les autres déclarations laissent penser que le sens de ce texte commun signe le début d’une position officielle ambiguë de la France vis-à-vis du droit international, préférant les formules creuses (on est pour des solutions justes, mutuellement acceptables) qu’un recours franc à l’autodétermination.
Pourtant, c’est bien ici le sujet, la communauté internationale accompagnant le mouvement en cours vers l’indépendance. Ainsi, l’ONU, dans sa résolution 1514 adoptée en 1960, souhaite « aider le mouvement vers l’indépendance dans les territoires sous tutelle et les territoires non-autonomes ». Le départ de l’Espagne, demandé par les Nations Unies, doit, dans ce raisonnement, marquer la fin de la colonisation du Sahara Occidental. Mais, pour que le processus de décolonisation s’achève, il faut qu’il y ait « libre détermination » (la résolution 1514 ne parle pas d’autodétermination) du peuple du Sahara occidental, et, donc, qu’il y ait existence de ce peuple susceptible de se déterminer. Les Sahraouis forment-ils un « peuple » ? C’est un aspect du problème tel qu’il se pose alors -et tel qu’il se pose toujours aujourd’hui.
Il est ici affaire de sémantique. Hassan II et, depuis 1999, Mohamed VI qualifient toujours les Sahraouis de « frères », « séquestrés » dans les camps de Tindouf par le Front Polisario ou « traîtres » quand ils manifestent pour leur indépendance dans les villes du Sahara Occidental. Le « peuple du Maroc », lui, est venu en très grand nombre se porter volontaire pour participer à cette « marche Verte » dans le but de « libérer » ce territoire du joug espagnol et jouir enfin de son « intégrité territoriale ».
La sémantique marocaine (marche « pacifique », « restitution » du Sahara Occidental, « renouer avec nos frères ») séduit et permet de transformer une invasion en combat contre la colonisation, et un peuple en frères de sang. Quant à la lutte menée par le Front polisario avec le soutien de l’Algérie, elle est discréditée : le « Sahara espagnol » n’est qu’un désert sans intérêt ; une poignée de nomades ne peut prétendre à son autodétermination.
a suivre
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