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Pourquoi l'Occident gagnerait à cesser de vouloir exporter son modèle

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  • Pourquoi l'Occident gagnerait à cesser de vouloir exporter son modèle

    L'idéal occidental consistant à vouloir exporter -parfois par la force- ses valeurs démocratiques et morales, considérées comme supérieures, est remis en question depuis plusieurs décennie

    Atlantico : Alors que la crise ukrainienne continue et ce malgré les échecs de l'Union européenne, l'idéal occidental consistant à exporter les valeurs démocratiques est remis en question. D'où sont partis les premiers foyers de résistance, et aujourd'hui qui sont les plus grands opposants au modèle occidental ?
    Alexandre del Valle : Les premiers foyers de résistance sont partis des expériences anti-coloniales et même, avant, de l’ex-Union soviétique qui portait un projet global de lutte contre "l’impérialisme" occidental et les sociétés libéral-démocratiques. Mais les anti-colonialistes anti-occidentaux - qui ont combattu le modèle occidental et la domination des coloniale européenne – et les marxistes soviétiques s’inspiraient encore de références occidentalo-européennes (marxisme-léniniste ; nationalisme, socialisme, etc).

    Après la chute de l’ex-URSS, on a assisté à une mutation dans l’anti-impérialisme et dans le tiersmondisme, car la lutte contre la domination occidentale ne s’est plus faite au nom d’idées européennes, mais au nom d’une exigence de "seconde décolonisation". Je m’explique : si jadis les anti-colonisateurs luttaient physiquement contre les dominateurs européens au nom de valeurs et idéologies progressistes ou subversives d’origine européenne, à partir de la fin de la Guerre froide, l’idéologie marxiste-léniniste et le vieil anti-impérialisme de gauche ont perdu leur "sponsor" russe post-soviétique et ont dû chercher d’autres sources idéologiques dans leur lutte contre l’Occident. C’est alors que dans le monde arabe et même musulman, le nationalisme kémaliste et progressiste ou le nationalisme arabe anti-impérialiste ont été détrônés par l’islamisme. Celui-ci s’est présenté comme la seule formule réellement susceptible de se débarrasser de la domination occidentale d’un point de vue politique, idéologique et spirituel.

    Le nationalisme laïc a donc peu a peu été remplacé par une formule "national-islamiste" supposée plus "indigène". Dans nos banlieues, on a observé aussi les conséquences de cette véritable lame de fond identitaire et géopolitique mondiale : l’identité nationale des pays d’accueil européens et même l’identité nationale d’origine des parents d’immigrés musulmans ont été détrônées par une nouvelle identité transnationale islamique, "muslim", à la fois capable de répondre à un besoin d’indigénisme, à un rejet (à la mode) de tout ce qui ressemble à l’Occident-blanc-judéo-chrétien, et d’être en phase avec la mondialisation, elle-aussi transnationale. Cela ne veut pas dire que la mondialisation a supprimé l’identité, mais que le double phénomène de mondialisation marchande et de fin du monde bipolaire ont fait ressurgir les appartenances identitaires de type civilisationnelles.

    Dans ce contexte, et durant ces années 1990 marquées par des embargos et guerres "humanitaires" livrés au nom du "droit d’ingérence" et des droits de l’homme contre des pays souverains jugés "non occidentaux" ou "ennemis de l’Occident" (Serbie-Yougoslavie ; Irak de Saddam, Syrie, Iran, Cuba, Libye, Afghanistan, etc), nos valeurs universelles comme l’humanisme, les droits de l’Homme, la laïcité et la démocratie ont été grandement discréditées car associées à des entreprises "impérialistes". La demande d’islamisme, d’indigénisme, d’identité "locale", de "désoccidentalisation" est depuis observée partout, de l’Amérique latine avec les mouvements amérindiens indigénistes anti-occidentaux (Bolivie, Equador, Perou, Vénézuela, Chiapas, etc), à l’Asie (Singapour, Malaisie, Indonésie, Chine, etc), sans oublier les sociétés islamiques. Cette "seconde décolonisation" ne concerne pas seulement des dictatures "anti-impérialistes" tiersmondistes socialistes, comme Cuba et le Vénézuéla "bolivariste", ou staliniennes, comme la Corée du Nord, mais aussi des pays en phase avec la mondialisation marchande et la modernité technologique, comme Singapour, qui prône un modèle "confucéen" autoritaire, la Malaisie, marquée par "l’asiatisme islamique" du vieux leader Mahatir, sans oublier la Chine post-maoiste qui allie le capitalisme mercantiliste, le nationalisme, le néo-confucianisme et le marxisme dans le cadre d’une stratégie globale de lutte asymétrique contre l’Occident et ses valeurs au nom d’un ordre multipolaire.

    David Engels : Tout d’abord, insistons sur le fait que ces valeurs "universalistes" ne sont pas le propre de la culture occidentale, mais un phénomène typique pour la phase terminale de toute civilisation historique. Marquées par la lassitude, le multiculturalisme, la remise en question de soi et une certaine désillusion, toutes les civilisations développent graduellement un cadre de vie basé sur des valeurs essentiellement cosmopolites, rationalistes, individualistes et désincarnées. Pensez à la société multiculturelle de la Rome impériale, au Caire des Fatimides ou au Xi’an des Han : vous trouverez partout le même type de valeurs, peut-être pas dans les mots, mais dans les faits. Ainsi, la "démocratie" à l’occidentale n’a de véritablement démocratique que le nom, et désigne désormais un croisement entre oligarchie et technocratie. Le respect des droits de l’homme, au lieu de se fonder sur une véritable définition humaniste de l’homme et de sa dignité spirituelle, a engendré une notion de droit entièrement chosifiée exaltant l’individu au détriment de la communauté. La "liberté", finalement, s’est muée en libéralisme et a mené au capitalisme ultralibéral dont le continent paie les frais en ce moment même.

    La résistance à cette situation a des racines très diverses, venant à l’origine tantôt de gauche (par l’opposition à l’exploitation du travailleur), tantôt de droite (par l’opposition à la destruction de nos valeurs culturelles), et tantôt de la part des peuples non-européens (par l’opposition à l’impérialisme économique ou politique). Cette dispersion idéologique ne facilite pas la tâche à ceux qui s’opposent au système, d’autant plus que le décalage entre l’idéal abstrait des valeurs universalistes et leur réalisation concrète dans la vie quotidienne est habilement exploité par ses défenseurs. Ainsi, qui s’oppose aux dérives technocratiques est décrié comme "anti-démocratique", celui qui critique l’individualisme outrancier est fustigé de "réactionnaire", et celui qui se lève contre l’ultra-libéralisme est libellé "nationaliste", etc. À l’extérieur, parmi les opposants les plus importants au modèle "universaliste" occidental, on notera évidemment tout d’abord l’islam fondamentaliste, dont toute la genèse et la diffusion sont beaucoup moins des phénomènes inhérents à la dynamique du monde musulman qu’à celle du monde occidental lui-même ; le modèle dictatorial chinois, essentiellement basé sur la volonté acharnée de retrouver le statut perdu de puissance mondiale d’abord par la voie économique, puis politique ; et finalement l’État russe, rejetant les dérives idéologiques et économiques de l’Occident afin de légitimer son propre régime autoritaire.

    Les populations migrantes qui cherchent aujourd'hui à atteindre les côtes européennes sont-elles toujours attirées par les valeurs occidentales d'égalité et d'accueil ou sont-elles poussées par d'autres motivations ?
    Alexandre del Valle : Une minorité de ces migrants, légaux ou illégaux (notamment les militants laïques des droits de l’homme, les chrétiens persécutés fuyant la christianophobie, et les libéraux persécutés en pays musulman ou dans les dictatures africaines ou asiatiques), est réellement attirée par nos valeurs qui représentent pour eux une voie de salut et un idéal. Il faudrait d’ailleurs selon moi enfin définir une stratégie globale "d’immigration choisie" visant à privilégier le plus possible l’accueil des personnes qui viendraient chez nous par amour de nos valeurs. Il est d’ailleurs regrettable qu’à l’époque des sondages, de l’intelligence artificielle et du neuromarketing, nos politiques n’ont rien d’autre à répondre qu’il est impossible de "trier" donc de choisir qui peut venir chez nous. Aux termes d’une funeste confusion, l’idée même de sélection est assimilée aujourd’hui une forme de "discrimination" et de "racisme". Ce "démographiquement correct", fondée sur une vision immigrationniste de principe et sur l’idée que l’accueil sans limites des migrants illégaux ou légaux a conduit nos élites terrifiées par la bienpensance médiatique à subir une immigration incontrôlée puis à abdiquer toute politique d’assimilation, elle aussi jugée "discriminatoire"…

    En revanche, on ne peut nier qu’une grande part des migrants, légaux ou clandestins, issue d’Afrique noire, des pays arabes, de Turquie ou d’Asie, ne vient pas chez nous parce par amour de nos valeurs, mais simplement par esprit de survie ou par opportunisme économique (appel d’air des aides sociales et rêve d’Eldorado européen). Cette lapalissade n’en est pas moins impossible à énoncer aujourd’hui sans être stigmatisé, tant le lobby immigrationniste radical a réussi à criminaliser les termes réalistes de ce débat pourtant vital pour notre avenir collectif. En fait, c’est toute la conception européenne et française du droit d’asile, de la gestion des frontières, puis nos politiques d’intégration et d’immigration qui doivent être repensées de façon à la fois réaliste et à l’aune des intérêts bien compris de nos concitoyens puis de nos capacités d’intégration sociales et économiques.

    David Engels : C’est une question complexe dont la réponse définitive ne pourrait être donnée que par les statistiques ; et malheureusement, vu la nature de plus en plus délicate de la discussion sur l’immigration, les chiffres s’y rapportant sont de plus en plus difficilement accessibles ou ne sont même plus prélevés. Néanmoins, je crois que les raisons qui poussent la majorité des populations migrantes à se déplacer en Europe sont essentiellement d’ordre matériel : il ne s’agit que rarement d’une population cultivée et prospère qui est simplement à la recherche de plus de démocratie et de liberté, mais plutôt d’une population vivant dans la misère économique et l’oppression politique et prête à se rendre n’importe où pour autant que cela leur assure à la fois la survie et la sécurité. Évidemment, il va de soi que la misère et l’oppression dont souffraient ces immigrés chez eux sont souvent causées (ou accompagnées) par une situation politique marquée par la corruption, la persécution, l’autoritarisme et l’incompétence, de manière à ce que motivation humanitaire et motivation politique deviennent inséparables.

  • #2
    suite

    Toutefois, si l’on examine le comportement de beaucoup de migrants après leur arrivée dans leur société d’accueil, il semble que la volonté de s’assimiler et d’adopter les valeurs occidentales disparaisse de plus en plus. Au contraire, l’oppression de la femme, la soumission à l’autorité religieuse, le choix d’activités économiques opérant souvent en dehors de la légalité et une attitude très revendicatrice face à l’État et à la société d’accueil en général suggèrent que l’enthousiasme pour les valeurs de la société d’accueil n’a dû être que bien rarement la motivation principale de l’immigration. Et notre société actuelle, au lieu de faciliter l’intégration, exalte une "tolérance" sans restriction face à l’"autre" et, tout en se vautrant littéralement dans le rejet de sa propre identité culturelle en raison de ses nombreux "crimes", en appelle à la "compréhension" des "spécificités culturelles" des étrangers ...

    Atlantico : Alors que la crise ukrainienne continue et ce malgré les échecs de l'Union européenne, l'idéal occidental consistant à exporter les valeurs démocratiques est remis en question. D'où sont partis les premiers foyers de résistance, et aujourd'hui qui sont les plus grands opposants au modèle occidental ?
    Alexandre del Valle : Les premiers foyers de résistance sont partis des expériences anti-coloniales et même, avant, de l’ex-Union soviétique qui portait un projet global de lutte contre "l’impérialisme" occidental et les sociétés libéral-démocratiques. Mais les anti-colonialistes anti-occidentaux - qui ont combattu le modèle occidental et la domination des coloniale européenne – et les marxistes soviétiques s’inspiraient encore de références occidentalo-européennes (marxisme-léniniste ; nationalisme, socialisme, etc).

    Après la chute de l’ex-URSS, on a assisté à une mutation dans l’anti-impérialisme et dans le tiersmondisme, car la lutte contre la domination occidentale ne s’est plus faite au nom d’idées européennes, mais au nom d’une exigence de "seconde décolonisation". Je m’explique : si jadis les anti-colonisateurs luttaient physiquement contre les dominateurs européens au nom de valeurs et idéologies progressistes ou subversives d’origine européenne, à partir de la fin de la Guerre froide, l’idéologie marxiste-léniniste et le vieil anti-impérialisme de gauche ont perdu leur "sponsor" russe post-soviétique et ont dû chercher d’autres sources idéologiques dans leur lutte contre l’Occident. C’est alors que dans le monde arabe et même musulman, le nationalisme kémaliste et progressiste ou le nationalisme arabe anti-impérialiste ont été détrônés par l’islamisme. Celui-ci s’est présenté comme la seule formule réellement susceptible de se débarrasser de la domination occidentale d’un point de vue politique, idéologique et spirituel.

    Le nationalisme laïc a donc peu a peu été remplacé par une formule "national-islamiste" supposée plus "indigène". Dans nos banlieues, on a observé aussi les conséquences de cette véritable lame de fond identitaire et géopolitique mondiale : l’identité nationale des pays d’accueil européens et même l’identité nationale d’origine des parents d’immigrés musulmans ont été détrônées par une nouvelle identité transnationale islamique, "muslim", à la fois capable de répondre à un besoin d’indigénisme, à un rejet (à la mode) de tout ce qui ressemble à l’Occident-blanc-judéo-chrétien, et d’être en phase avec la mondialisation, elle-aussi transnationale. Cela ne veut pas dire que la mondialisation a supprimé l’identité, mais que le double phénomène de mondialisation marchande et de fin du monde bipolaire ont fait ressurgir les appartenances identitaires de type civilisationnelles.

    Dans ce contexte, et durant ces années 1990 marquées par des embargos et guerres "humanitaires" livrés au nom du "droit d’ingérence" et des droits de l’homme contre des pays souverains jugés "non occidentaux" ou "ennemis de l’Occident" (Serbie-Yougoslavie ; Irak de Saddam, Syrie, Iran, Cuba, Libye, Afghanistan, etc), nos valeurs universelles comme l’humanisme, les droits de l’Homme, la laïcité et la démocratie ont été grandement discréditées car associées à des entreprises "impérialistes". La demande d’islamisme, d’indigénisme, d’identité "locale", de "désoccidentalisation" est depuis observée partout, de l’Amérique latine avec les mouvements amérindiens indigénistes anti-occidentaux (Bolivie, Equador, Perou, Vénézuela, Chiapas, etc), à l’Asie (Singapour, Malaisie, Indonésie, Chine, etc), sans oublier les sociétés islamiques. Cette "seconde décolonisation" ne concerne pas seulement des dictatures "anti-impérialistes" tiersmondistes socialistes, comme Cuba et le Vénézuéla "bolivariste", ou staliniennes, comme la Corée du Nord, mais aussi des pays en phase avec la mondialisation marchande et la modernité technologique, comme Singapour, qui prône un modèle "confucéen" autoritaire, la Malaisie, marquée par "l’asiatisme islamique" du vieux leader Mahatir, sans oublier la Chine post-maoiste qui allie le capitalisme mercantiliste, le nationalisme, le néo-confucianisme et le marxisme dans le cadre d’une stratégie globale de lutte asymétrique contre l’Occident et ses valeurs au nom d’un ordre multipolaire.

    David Engels : Tout d’abord, insistons sur le fait que ces valeurs "universalistes" ne sont pas le propre de la culture occidentale, mais un phénomène typique pour la phase terminale de toute civilisation historique. Marquées par la lassitude, le multiculturalisme, la remise en question de soi et une certaine désillusion, toutes les civilisations développent graduellement un cadre de vie basé sur des valeurs essentiellement cosmopolites, rationalistes, individualistes et désincarnées. Pensez à la société multiculturelle de la Rome impériale, au Caire des Fatimides ou au Xi’an des Han : vous trouverez partout le même type de valeurs, peut-être pas dans les mots, mais dans les faits. Ainsi, la "démocratie" à l’occidentale n’a de véritablement démocratique que le nom, et désigne désormais un croisement entre oligarchie et technocratie. Le respect des droits de l’homme, au lieu de se fonder sur une véritable définition humaniste de l’homme et de sa dignité spirituelle, a engendré une notion de droit entièrement chosifiée exaltant l’individu au détriment de la communauté. La "liberté", finalement, s’est muée en libéralisme et a mené au capitalisme ultralibéral dont le continent paie les frais en ce moment même.

    La résistance à cette situation a des racines très diverses, venant à l’origine tantôt de gauche (par l’opposition à l’exploitation du travailleur), tantôt de droite (par l’opposition à la destruction de nos valeurs culturelles), et tantôt de la part des peuples non-européens (par l’opposition à l’impérialisme économique ou politique). Cette dispersion idéologique ne facilite pas la tâche à ceux qui s’opposent au système, d’autant plus que le décalage entre l’idéal abstrait des valeurs universalistes et leur réalisation concrète dans la vie quotidienne est habilement exploité par ses défenseurs. Ainsi, qui s’oppose aux dérives technocratiques est décrié comme "anti-démocratique", celui qui critique l’individualisme outrancier est fustigé de "réactionnaire", et celui qui se lève contre l’ultra-libéralisme est libellé "nationaliste", etc. À l’extérieur, parmi les opposants les plus importants au modèle "universaliste" occidental, on notera évidemment tout d’abord l’islam fondamentaliste, dont toute la genèse et la diffusion sont beaucoup moins des phénomènes inhérents à la dynamique du monde musulman qu’à celle du monde occidental lui-même ; le modèle dictatorial chinois, essentiellement basé sur la volonté acharnée de retrouver le statut perdu de puissance mondiale d’abord par la voie économique, puis politique ; et finalement l’État russe, rejetant les dérives idéologiques et économiques de l’Occident afin de légitimer son propre régime autoritaire.

    Les populations migrantes qui cherchent aujourd'hui à atteindre les côtes européennes sont-elles toujours attirées par les valeurs occidentales d'égalité et d'accueil ou sont-elles poussées par d'autres motivations ?
    Alexandre del Valle : Une minorité de ces migrants, légaux ou illégaux (notamment les militants laïques des droits de l’homme, les chrétiens persécutés fuyant la christianophobie, et les libéraux persécutés en pays musulman ou dans les dictatures africaines ou asiatiques), est réellement attirée par nos valeurs qui représentent pour eux une voie de salut et un idéal. Il faudrait d’ailleurs selon moi enfin définir une stratégie globale "d’immigration choisie" visant à privilégier le plus possible l’accueil des personnes qui viendraient chez nous par amour de nos valeurs. Il est d’ailleurs regrettable qu’à l’époque des sondages, de l’intelligence artificielle et du neuromarketing, nos politiques n’ont rien d’autre à répondre qu’il est impossible de "trier" donc de choisir qui peut venir chez nous. Aux termes d’une funeste confusion, l’idée même de sélection est assimilée aujourd’hui une forme de "discrimination" et de "racisme". Ce "démographiquement correct", fondée sur une vision immigrationniste de principe et sur l’idée que l’accueil sans limites des migrants illégaux ou légaux a conduit nos élites terrifiées par la bienpensance médiatique à subir une immigration incontrôlée puis à abdiquer toute politique d’assimilation, elle aussi jugée "discriminatoire"…

    En revanche, on ne peut nier qu’une grande part des migrants, légaux ou clandestins, issue d’Afrique noire, des pays arabes, de Turquie ou d’Asie, ne vient pas chez nous parce par amour de nos valeurs, mais simplement par esprit de survie ou par opportunisme économique (appel d’air des aides sociales et rêve d’Eldorado européen). Cette lapalissade n’en est pas moins impossible à énoncer aujourd’hui sans être stigmatisé, tant le lobby immigrationniste radical a réussi à criminaliser les termes réalistes de ce débat pourtant vital pour notre avenir collectif. En fait, c’est toute la conception européenne et française du droit d’asile, de la gestion des frontières, puis nos politiques d’intégration et d’immigration qui doivent être repensées de façon à la fois réaliste et à l’aune des intérêts bien compris de nos concitoyens puis de nos capacités d’intégration sociales et économiques.

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    • #3
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      David Engels : C’est une question complexe dont la réponse définitive ne pourrait être donnée que par les statistiques ; et malheureusement, vu la nature de plus en plus délicate de la discussion sur l’immigration, les chiffres s’y rapportant sont de plus en plus difficilement accessibles ou ne sont même plus prélevés. Néanmoins, je crois que les raisons qui poussent la majorité des populations migrantes à se déplacer en Europe sont essentiellement d’ordre matériel : il ne s’agit que rarement d’une population cultivée et prospère qui est simplement à la recherche de plus de démocratie et de liberté, mais plutôt d’une population vivant dans la misère économique et l’oppression politique et prête à se rendre n’importe où pour autant que cela leur assure à la fois la survie et la sécurité. Évidemment, il va de soi que la misère et l’oppression dont souffraient ces immigrés chez eux sont souvent causées (ou accompagnées) par une situation politique marquée par la corruption, la persécution, l’autoritarisme et l’incompétence, de manière à ce que motivation humanitaire et motivation politique deviennent inséparables.

      Toutefois, si l’on examine le comportement de beaucoup de migrants après leur arrivée dans leur société d’accueil, il semble que la volonté de s’assimiler et d’adopter les valeurs occidentales disparaisse de plus en plus. Au contraire, l’oppression de la femme, la soumission à l’autorité religieuse, le choix d’activités économiques opérant souvent en dehors de la légalité et une attitude très revendicatrice face à l’État et à la société d’accueil en général suggèrent que l’enthousiasme pour les valeurs de la société d’accueil n’a dû être que bien rarement la motivation principale de l’immigration. Et notre société actuelle, au lieu de faciliter l’intégration, exalte une "tolérance" sans restriction face à l’"autre" et, tout en se vautrant littéralement dans le rejet de sa propre identité culturelle en raison de ses nombreux "crimes", en appelle à la "compréhension" des "spécificités culturelles" des étrangers ..

      Quel prix l'Occident paie-t-il pour cette résistance à ses valeurs ? Le terrorisme ?
      Alexandre del Valle : Le terrorisme islamiste de type salafiste-djihadiste que nous connaissons depuis des décennies - et qui a de plus en plus tendance à se "démocratiser" à travers les cas de "loups soi-disant solitaires" à la Merah ou à la Ghlam – n’est selon moi que la partie immergée la plus tragique de ce vaste phénomène qu’est la "seconde décolonisation" antioccidentale. Celui-ci passe en effet aussi par le rejet des valeurs universelles des droits de l’homme, perçues comme une "arrogance néo-impériale". On retrouve ce phénomène aussi en Turquie, à travers la voie apparemment "douce" - mais non moins anti-occidentale (sur le plan philosophique) - du nationalisme islamiste du président-néo-sultan Erdogan, qui démantèle progressivement la laïcité kémaliste, issue de l’idéologie occidentale, donc "apostate".

      Pour les islamistes turcs qui votent en faveur d’Erdogan, lutter contre les idées laïques d’Atatürk, père de la Turquie moderne face aux envahisseurs européens vainqueurs de la première guerre mondiale, est la nouvelle façon de lutter pour l’indépendance de la Nation turque. Face à l’apostat Mustapha Kémal Atatürk, qui a aboli le Califat et supprimé la Charià’, l’AKP au pouvoir prépare le rétablissement informel du Califat sunnite pendant que Da’ech le rétablit concrètement…

      Le rejet de l’influence des idées occidentales se traduit aussi par une nouvelle façon de concevoir la démocratie elle-même : l’Iran khomeinyste et les Frères musulmans portent un modèle de "démocratie islamique" différent du modèle individualiste et matérialiste-laïque occidental ; de même, la Russie, l’Egypte d’Al-Sissi ou le Venézuéla proposent un modèle de "démocratie contrôlée" ou "souveraine". Quant à la Chine, elle explique sans complexe que la démocratie n’est pas le meilleur modèle puisqu’il conduit à l’anarchie et au chaos… La Chine maoïste-capitaliste montre qu’un pays dictatorial peut briguer le statut de première puissance tout en rejetant la démocratie libérale. Pour les nations du nouveau monde multipolaire, l’universalité des droits de l’homme n’est qu’un cache-sexe de "l’arrogance occidentale". A ce titre, la globalisation, pas toujours si "heureuse" que ne l’estiment les mondialistes, n’est en fait qu’un champ de déploiement de puissances, d’échanges et de concurrences au sein d’un monde de plus en plus multipolaire et de moins en moins occidental.

      David Engels : Certes, le terrorisme est l’une des voies les plus spectaculaires par lesquelles s’exprime l’opposition à l’universalisme ultra-libéral. Mais ce n’est que le pic de l’iceberg, car il y a bien pire.

      D’un côté, pensons à la transformation de plus en plus accélérée de notre propre société par l’immigration de masse et par la redistribution de la fortune. Ces deux phénomènes risquent non seulement de cliver de plus en plus nos sociétés de manière politique, mais aussi de provoquer, à la longue, la disparition pure et simple du modèle de vie occidental. Déjà maintenant, la ville de taille moyenne, peuplée dans sa large majorité d’Européens de souche, animée essentiellement par l’activité de la classe moyenne et ayant comme principaux constituants sociaux des familles nucléaires, a pour ainsi dire disparu suite à l’immigration, la paupérisation, la désindustrialisation et la destruction de la famille traditionnelle. Il ne s’agit que d’une question de temps avant que n’éclatent de violentes luttes motivées à la fois par la haine communautaire et le ressentiment économique.

      Et d’un autre côté, notre mécompréhension totale du monde non-européen et notre volonté missionnaire d’exporter ces mêmes valeurs universalistes ainsi que le modèle politique et économique qui les sous-tend a profondément déstabilisé nos États voisins, déjà largement animés par des ressentiments post-coloniaux. Ainsi, parce que les médias nous montraient nuit et jour des foules promenant des bannières où figuraient des mots comme "liberté", "démocratie" ou "égalité", nous avons accueilli avec empressement la déstabilisation du Maghreb, du Moyen Orient, de grandes parties de l’Afrique et de l’Ukraine ; puis, une fois ces pays sombrés dans l’anarchie et un grand nombre de ces prétendus combattants pour la "liberté" identifiés comme fondamentalistes et radicaux, nous avons simplement fermé les yeux et attendu que quelqu’un intervienne, idéalement les États-Unis, que nous aurions pu, du même coup, critiquer pour leur interventionnisme. Le résultat : de la Tunisie en passant par la Libye, l’Égypte, le Soudan, la Palestine, la Syrie, l’Iraq, l’Iran, le Caucase, l’Ukraine et la Russie (et j’en passe), nous sommes entourés d’États qui non seulement ont un piètre avis de notre crédibilité politique et morale, mais qui, de manière largement justifiée, attribuent leurs malheurs actuels au dilettantisme, à la lâcheté et à l’hypocrisie de notre politique extérieure.

      Que perdrait l'Occident à renoncer à étendre ses valeurs au monde ? Que pourrait-il y gagner ?
      Alexandre del Valle : Les pays d’Occident ne pourront relever ces défis du monde en voie de multipolarisation et de désoccidentalisation idéologique qu’en renouant avec la realpolitik et en effectuant un recentrage autour de leurs intérêts géocivilisationnels bien compris. Cela ne signifie aucunement un "repli" sur soi, comme l’insinuent les partisans de l’utopie du Village Global et de "Mc World", mais qu’au lieu de tenter sans succès aucun d’exporter nos valeurs chez les autres à coups d’embargos et de "bombardements humanitaires", nous ferions mieux de défendre chez nous ces mêmes valeurs universelles qui ne sont pas forcément celles d’autres nations.

      Avant de vouloir démocratiser l’Egypte, la Syrie, la Tunisie, le Yémen ou la Libye, lors des révolutions arabes, ou jadis l’Irak lors des deux guerres de 1990 et 2003, sans oublier l’Ukraine et la Géorgie depuis les années 2000 avec les "révolutions de couleur" appuyées par l’Occident pour affaiblir la Russie dans son ‘étranger proche’, les dirigeants occidentaux seraient bien inspirés de défendre chez eux la démocratie affaiblie par l’incurie des politiques irresponsables, la laïcité menacée par le communautarisme et l’islamisme, et bien sûr leurs frontières, mises en danger non pas par la République islamique iranienne, Da’ech, la Chine, l’Irak de Saddam, Kadhafi, ou la Russie de Poutine, mais par des politiques de court terme de renonciation au principe de souveraineté. Mais les partisans d’une conception assimilationniste de l’intégration ont été habilement discrédités et soumis à la reductio ad hitlerum par les nouveaux inquisiteurs du "cosmopolitiquement correct". Je décrits les armes rhétoriques et procédés de manipulation-désinformation de ces derniers dans mon ouvrage Le Complexe occidental, petit traité de déculpabilisation (Toucan).

      Il y a tout de même une bonne nouvelle dans le constat apparemment pessimiste de l’émergence d’un monde multipolaire de moins en moins d’accord avec l’universalisme arrogant de l’Occident ex-colonial: si l’avenir est au retour de la Realpolitik et à l’apparition de pôles géopolitiques autonomes défendant leurs intérêts de façon décomplexée (monde sino-confucéen, Inde ; Russie OCS-CEI ; Occident ; monde arabo-musulman sunnite et pôle chiite pro-iranien ; Amérique latine néo-indigéniste, Sud est asiatique, etc), alors les nations occidentales confrontées à une adversité déclarée et multiforme se sentiront elles-aussi de plus en plus autorisées à défendre leurs propres intérêts de façon décomplexées. Ainsi, de même que la christianophobie planétaire (qui menace les chrétiens, de la Chine au Nigéria en passant par l’Irak, la Syrie, la Libye ou l’Inde et tout récemment jusque dans nos banlieues) va pousser les Européens désenchantés à redevenir fiers de leur identité, de même, la montée d’une haine anti-occidentale planétaire va conduire de nombreux Occidentaux à se décomplexer.

      Commentaire


      • #4
        fin

        Immanquablement, nombre d’Occidentaux qui constatent le rejet de notre modèle partout où nous l’avons imposé par les "guerres humanitaires" à la BHL-Kouchner et qui déplorent les conséquences de l’échec de l’intégration dans nombre de nos banlieues vont exiger de plus en plus dans l’avenir que nos politiques défendent nos intérêts chez nous au lieu de l’exporter sans succès aucun ailleurs. Le recentrage civilisationnel et géopolitique que je prône dans le "complexe occidental" va se faire naturellement et logiquement.

        David Engels : Je ne peux parler ici que de l’Europe, non pas des États-Unis. Le problème réside dans l’ambiguïté propre à notre "universalisme", car les valeurs qui le caractérisent se manifestent essentiellement, dans la réalité, par la création d’une structure économique basée sur le modèle de la croissance et de la spéculation et qui a donc besoin d’expansion pour perdurer. Ainsi, l’ultra-libéralisme doit impérativement tenter de transformer l’ensemble de la terre habitée en zone de libre-échange afin d’assurer un maximum de mobilité et donc un maximum de rentabilité pour la production, la vente et, surtout, la spéculation. Cela implique aussi l’exportation d’un modèle politique encourageant et protégeant ce système économique et remplaçant donc obligatoirement toute expression immédiate de la volonté populaire par un régime oligarchique et technocratique, empêchant tout phénomène d’opposition par l’exaltation de l’individualisme et de l’égoïsme, et déconstruisant tous les réseaux de solidarité comme les régions, nations, religions et civilisations par l’affaiblissement des États et la promotion de grands mouvements de population par l’immigration. Dès lors, il est impossible de changer de politique extérieure sans changer de système intérieur, et il est logique qu’un tel changement de système s’accompagnerait tout d’abord par l’ostracisation économique et politique d’une telle Europe par les autres puissances "universalistes".


        Atlantico

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        • #5
          l'Occident gagnerait à cesser de vouloir exporter son modèle
          Totalement faux. Il exportent rien du tout.

          Depuis 200 ans, et leur révolution industrielle, l'Occident a besoin d'un quantité astronomique de ressource. Pour cambrioler les ressources de la planète, et braquer les pays souverains, ils doivent se trouver des excuses, même minables pour endormir leur peuple, puisque c'est avec l'armée de ce même peuple, avec ses impôts, qu'ils terrorisent et massacrent les autres peuples de la planète.

          Et en colonisant et en exploitant les peuples du Monde, ils y imposent un simulacre de structure à l'occidentale, avec des hommes à eux, et ensuite affirment dans leur propagande qu'ils ont exporté leur modèle.

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