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Dans la grisaille d’Alger

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  • Dans la grisaille d’Alger

    Comme tous les autres jours de l’année, Hocine et Mohamed, soudés l’un à l’autre par une solide amitié, s’attablent à la terrasse de leur café habituel à l’enseigne originale : “Ici c’est mieux qu’en face”. Afin de goûter au “mieux d'ici”, les deux jeunes gens préfèrent tourner le dos aux deux battants du portail de la prison, situé sur le trottoir d’en face de l’autre côté de la rue. Certes, ils ont été renvoyés de l’école très tôt, certes, ils ne font rien de leurs dix doigts, mais ils sont fiers de dire qu’ils n’ont jamais eu maille à partir avec la justice ou la police. Dans ce café où ils retrouvent trois autres copains de quartier, ils jouent aux dominos, se racontent des blagues, partagent le même paquet de cigarettes que l’un a pu s’offrir et les tasses de café ou les verres de soda que l’autre peut payer. Ils n’ennuient personne et ont l’impression que l’oisiveté et la solitude sont plus supportables à cinq.

    Aujourd’hui, Hocine que les autres surnomment “le philosophe” parce qu’il est le plus sage et le moins turbulent de la bande, leur dit :
    - Lorsque j’étais enfant, mon grand-père paternel me racontait souvent la même histoire ; produit de son imagination, celle-ci était une fiction, une belle fiction, comme seul mon aïeul savait en inventer. Voulez-vous m’écouter vous la narrer à mon tour ? Les quatre jeunes gens opinent du bonnet et les voilà tout ouïe. “Il y a très longtemps, le lion réunissait les animaux de la forêt, pour les informer qu’il avait désigné le renard pour les gouverner. Ainsi vous sentirez-vous plus libres puisque vous prétendez tout le temps que je suis un oppresseur. Je serai toujours votre roi, mais maître renard vous dirigea.” Le loup, le chacal et l’âne applaudirent des deux mains à tout rompre et décidèrent de faire allégeance au renard sur-le-champ, ainsi se souviendra-t-il d’eux.

    Le guépard, le tigre, le léopard, les frères du lion, le cerf, le cheval se montrèrent quant à eux beaucoup moins enthousiastes car ils savaient le renard destructeur et rusé. Ils le savaient surtout capable de mettre la forêt à feu et à sang et créer des dissensions entre tous les animaux. Ils finirent par se ranger à l’avis du lion par respect pour leur roi mais leur inquiétude et leur scepticisme demeuraient entiers. Sitôt installé sur son fauteuil, le renard fit appel aux seuls renards, ses semblables, ceux de sa fratrie, ses cousins, ses copains d’attaques nocturnes dans les poulaillers. L’un d’entre eux lui fit remarquer qu’une ou deux renardes qui n’auraient aucune tâche précise devaient faire partie de l’équipe. La forêt qu’il dirigeait apparaîtrait ainsi aux animaux du monde entier moderne et féministe. Il céda sur ce point, mais sur toutes les autres questions, il décidait seul, n’acceptait aucun autre glapissement que le sien. Il glapissait le jour… il glapissait en toute circonstance. Et ce qu’avaient craint le guépard et les autres survint rapidement. Au faite de sa gloire, arrogant, ingrat à l’égard du lion, le renard avait divisé toute la forêt et avait éliminé tout autre animal qui avait osé montrer un museau plus haut que le sien ou un plus beau pelage. La guerre était partout : chez les mammifères, les oiseaux, les reptiles. Et les bêtes qui se savaient sans défense se terraient chez elles car elles avaient appris que les hyènes avaient été lâchées dans la nature et qu’elles attaquaient tous azimuts.

    Le renard n’en avait cure, il donnait ou se déplaçait vers d’autres contrées, d’autres forêts, d’autres jungles loin de sa forêt. Un jour le loup et le chacal, accompagnés d’une meute de chiens, vinrent l’informer qu’un cheval de couleur alezan avait été choisi par un nombre incalculable d’animaux pour défendre leurs intérêts. Furieux d’entendre la nouvelle, le renard demanda qui pouvait être cet insolent qui osait le défier ?
    - C’est un cheval pur sang, racé, noble et distingué. Il est respecté et très apprécié dans notre forêt et hors celle-ci.
    - Peu importe, il faut l’empêcher d’agir !
    - Trop tard maître renard, la décision a été rendue publique.
    - Il n’est jamais trop tard avec moi. Voici ce que vous allez faire : votre ami l’âne devra se préparer à prendre sa place… Le loup et le chacal dépités le regardèrent surpris. Il poursuivit :
    - Oui, je sais bien que ce n’est pas le plus doué, mais il est corvéable et malléable à merci. C’est ma seule exigence avec mes renardeaux et mon âne. Je disais donc, que publique ou pas avertissez la guenon qu’elle aura pour mission de stocker dans ses bajoues la décision d’élection au profit du cheval. Celle-ci s’exécuta avec zèle trop heureuse que maître renard ait daigné la regarder. Tous les animaux qui demeurèrent fidèles au cheval devinrent les ennemis du renard. Mais ce dernier ne se rendit pas compte qu’au fil des jours, le loup et le chacal amers d’avoir été sacrifiés au profit de l’âne étaient devenus ses adversaires les plus farouches. La meute de chiens ne se couchait pas à ses pieds. Sitôt nommé à la place du cheval, l’âne se mit en quête de déloger le renard.
    - Pourquoi pas moi ? se disait-il, surtout que le poids des années avait affaibli maître renard. Mon grand-père mourut avant que je ne connaisse la fin de l’histoire”, dit Hocine.
    - Sais-tu mon frère que je n’ai rien compris à ton histoire d’animaux ? Elle est totalement stupide, lui dit Mohamed.
    - Il n’y a rien à comprendre puisque je t’ai averti avant de te la narrer, qu’il s’agissait d’une fiction et seulement une fiction. Je me souviens que mon aïeul concluait toutes les fois qu’il me la racontait par ceci : “Le lion demeure toujours roi, le renard seulement renard usé et destructeur et on ne fait jamais d’un âne un cheval de course.”

    source : le Soir d'Algérie - Leïla Aslaoui

  • #2
    très belle leçon de vie, merci Nassim.

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    • #3
      j'aimerais moi aussi partager ce texte que j'ai lu hier sur elwaten :

      Le culte du feu

      Il est né rapidement dans une région de l’Ouest, une région brûlée par le soleil. Bien que vivant au bord de la Méditerranée, il n’a jamais vu d’eau dans les robinets de la petite maison familiale. A 5 ans, il est brûlé au deuxième degré par l’explosion d’une mauvaise bouteille de gaz, la conduite du gaz de ville censée alimenter la maison familiale ayant été volée par un voisin pour la revendre au Maroc. A 8 ans, il brûle son œsophage par l’ingestion d’une bouteille d’eau de Javel qu’il avait prise pour de la limonade jaune, son père ne lui ayant jamais acheté de gazouz, sauf pour sa circoncision, mais orange. A 10 ans, il brûle ses cahiers d’école, après avoir appris que le directeur de son école n’avait jamais été à l’école. A 18 ans, il brûle la fille qu’il aime parce qu’elle aime quelqu’un d’autre. A 20 ans, il se brûle le cerveau grâce aux psychotropes généreusement mis sur le marché. A 22 ans, il a à peu près tout vu. Il a vu les dirigeants brûler tous les espoirs de construction, il a vu les dirigés brûler tous les espoirs de rapprochement. A 22 ans, il a vu les terroristes brûler des villages entiers, les militaires brûler des forêts entières pour en débusquer les premiers. Il a vu sa mère brûler du plomb pour que son mari revienne à la maison, il a vu son père brûler l’argent de la famille pour de jeunes filles beaucoup plus belles. En toute logique, à 25 ans, il brûle ses papiers et franchit clandestinement cette Méditerranée qu’il voit depuis 25 ans pour tenter d’atterrir illégalement dans le pays d’en face. Il est repêché en mer par des pompiers et est renvoyé chez lui brûler ses derniers espoirs. Ce n’est bien sûr pas vrai. On ne devient pas brûleur parce que l’on a vu tout brûler autour de soi. Le harraga n’a pas d’histoires, pas de passé véritable ni de présent véritablement pénible. Pourquoi s’acharne-t-il à avoir un futur ?

      Chawki Amari / chronique point zero - el waten

      à mediter ....

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