Mohcine Belabbas : « Le blocage du remaniement était dû au refus de Gaïd Salah de quitter le gouvernement »
14:41 samedi 16 mai 2015 | Par Hadjer Guenanfa @HadjerGuenanfa | Entretiens
Mohcine Belabbas - TSA Algérie
Vous avez déclaré que le remaniement ministériel de jeudi est le résultat de « vieilles recettes de recyclage de décideurs ». Pourquoi ?
La raison est très simple. Le problème du pouvoir algérien est qu’il n’a jamais été capable de regarder au-delà du premier cercle, y compris à l’intérieur de ses rangs. Depuis 1962, ce sont les mêmes personnes qui tournent. Abdelaziz Bouteflika était ministre de la Jeunesse en 1962, ministre des Affaires étrangères à partir de 1965 et chef de l’État depuis 1999. Quand on veut changer un premier ministre, on remet quelqu’un qui a déjà été premier ministre ou on choisit quelqu’un parmi les ministres en poste. Et c’est pareil pour les portefeuilles ministériels. Aujourd’hui, vous avez quelqu’un à la Justice. Demain, il sera à l’Intérieur. Partout dans le monde, il y a un renouvellement des effectifs d’un gouvernement quand il y a un changement de gouvernement. En Algérie, on n’a jamais pensé à chercher quelqu’un en dehors du gouvernement ou quelqu’un qui n’a pas déjà exercé ce genre de missions. Lors des élections présidentielles, ce sont souvent les mêmes candidats et ceux qu’on choisit pour passer à l’occasion d’une fraude électorale sont ceux qui ont déjà exercé des fonctions au sein du gouvernement.
Depuis 2014, le président Bouteflika a désigné des personnes qui n’ont jamais exercé ce genre de fonctions dont Mme Benghebrit, M. Grine et maintenant Mme Feraoun…
Il faut bien qu’il y ait quelques nouvelles têtes pour faire passer la pilule. Dans un gouvernement, les fonctions les plus importantes sont celles des ministres de l’Intérieur, de la Justice, de la Défense, les Affaires étrangères, l’Energie et de l’Enseignement supérieur. Pour ce département, on a ramené une ancienne figure. Quelqu’un qui a été le recteur de l’Université d’Alger pendant plus de vingt ans. Maintenant, on essaie à chaque fois de saupoudrer les effectifs du gouvernement par quelques nouvelles têtes. Il s’agit parfois de montrer qu’on a promu quelques femmes ou quelques jeunes. Et souvent, on choisit les nouveaux ministres (qui n’ont jamais assumé cette fonction auparavant, ndlr) parmi les walis. D’ailleurs, jamais un gouvernement algérien n’a été composé d’autant d’anciens walis. Ils sont plus de dix anciens walis dans l’actuel gouvernement. La raison ? Depuis quelques années, le gouvernement n’est plus un gouvernement de politiques. C’est un gouvernement qui est fait pour la gestion administrative.
Quelle lecture peut-on faire de ce remaniement ?
Ce remaniement confirme une chose : qu’il y a un statut quo en Algérie et que le pouvoir a perdu l’initiative et qu’il est incapable de renouveau depuis l’élection présidentielle. Les informations qui nous sont parvenues ces six derniers mois faisaient état d’un blocage du remaniement dû au refus du vice-ministre de la Défense nationale (Gaïd Salah) de quitter (le gouvernement). Selon ces informations, il était question que ce même vice-ministre soit remplacé. Je ne sais pas comment il a résisté. Ce qui est sûr, c’est qu’il est encore ministre et qu’il n’y a pas eu donc de remaniement sérieux. C’est pour cela que j’ai parlé d’un scénario qui est à l’étude depuis un moment. Le pouvoir a souvent plusieurs scénarios à l’étude dont fait partie un autre remaniement du gouvernement qui va intervenir vers le mois de novembre ou début décembre. C’est-à-dire avant le renouvellement du tiers présidentiel au Conseil de la Nation. Ils sont en train de réfléchir sur le sort de Sellal. Si on enlève Sellal du gouvernement, il faudrait bien lui trouver un remplaçant.
Cela obéirait à quelle logique ?
C’est très difficile de comprendre la logique du pouvoir parce qu’il n’a pas de logique. Les uns disent que c’est lié aux nombreuses attaques contre M. Bensalah (président du Sénat) par rapport à ses origines et le risque qu’il pourrait y avoir en cas du décès du chef de l’État. D’autres estiment qu’il s’agit plutôt d’une manière d’empêcher Sellal de participer à la course présidentielle à l’avenir. Chacun a son explication. Maintenant, ce n’est pas certain que cela va se passer de cette manière. Ce n’est qu’un scénario qui est à l’étude.
Donc, le pouvoir se prépare à une nouvelle période. Peut-on vraiment parler de statut quo ?
Le pouvoir pense qu’il est en train de se préparer. Pour un gouvernement sérieux, la préparation est d’étudier les problèmes qui se posent au sein de la société et réfléchir aux réformes à apporter. Le choix des hommes vient après cette première étape. Mais les décideurs ne sont pas dans cette logique. À aucun moment, ils n’ont pensé aux réformes à mettre en place et aux personnes qui vont les mener. Ils sont en train de réfléchir à comment éliminer tel acteur du pouvoir et comment préparer un autre.
Pensez-vous qu’il pourrait y avoir des élections présidentielles anticipées ?
Une chose est sûre, une lutte au sommet de l’État est revenue au devant de la scène ces derniers temps. Elle se manifeste à travers un certain nombre d’indices dont ce qui se passe au niveau de certains partis importants pour le pouvoir. On ne sait pas, par exemple, comment va se dérouler le congrès du FLN. En fait, on peut toujours avoir des bribes d’informations sur des scénarios à l’étude mais personne ne peut dire quel scénario va se concrétiser. Quand Saadani dit qu’il va y avoir une révision constitutionnelle durant le premier semestre de 2015, cela veut dire qu’il avait des informations là-dessus mais ils ont changé de scénario. Même chose pour le remaniement d’ailleurs. Le pouvoir a toujours fonctionné de cette manière. Et parfois, le pouvoir fait sortir ce genre d’informations pour voir comment elles sont perçues par l’opinion.
Quelle importance revêt ce Congrès du FLN pour le pouvoir ?
D’abord, pour nous, il n’a aucune importance. En tant que président du RCD, je suis content quand ça ne marche pas bien au niveau du FLN parce que je suis de ceux qui militent pour que le FLN soit mis au musée. Ensuite, selon que M. Saadani soit reconduit comme secrétaire général ou que quelqu’un d’autre arrive à la tête du parti, ce congrès va donner des indices des rapports de force à l’intérieur du régime. Pas plus !
Des procès liés à de grandes affaires de corruption ont été enfin programmés…
Au RCD, on a toujours dit qu’il n’était pas normal qu’aucun procès n’ait abouti au niveau de tribunaux depuis plus de quinze ans. Mais on a toujours ajouté aussi qu’il était important de voir qui était convoqué devant le tribunal. Et comme on l’a prédit, un certain nombre d’acteurs impliqués dans ces affaires n’ont pas été convoqués pour être écoutés. On ne peut pas traiter du dossier de l’autoroute Est-ouest par exemple sans écouter le ministre qui était en charge du secteur durant la période où il y a eu le scandale. On ne peut pas traiter du scandale Sonatrach I et II sans convoquer le ministre qui était en charge du secteur. Pour cette raison, on a l’impression qu’il s’agit de procès dont les décisions à annoncer ont été prises à l’avance. Et on n’est pas les seuls à le dire. Tout le monde est en train de parler de deals.
14:41 samedi 16 mai 2015 | Par Hadjer Guenanfa @HadjerGuenanfa | Entretiens
Mohcine Belabbas - TSA Algérie
Vous avez déclaré que le remaniement ministériel de jeudi est le résultat de « vieilles recettes de recyclage de décideurs ». Pourquoi ?
La raison est très simple. Le problème du pouvoir algérien est qu’il n’a jamais été capable de regarder au-delà du premier cercle, y compris à l’intérieur de ses rangs. Depuis 1962, ce sont les mêmes personnes qui tournent. Abdelaziz Bouteflika était ministre de la Jeunesse en 1962, ministre des Affaires étrangères à partir de 1965 et chef de l’État depuis 1999. Quand on veut changer un premier ministre, on remet quelqu’un qui a déjà été premier ministre ou on choisit quelqu’un parmi les ministres en poste. Et c’est pareil pour les portefeuilles ministériels. Aujourd’hui, vous avez quelqu’un à la Justice. Demain, il sera à l’Intérieur. Partout dans le monde, il y a un renouvellement des effectifs d’un gouvernement quand il y a un changement de gouvernement. En Algérie, on n’a jamais pensé à chercher quelqu’un en dehors du gouvernement ou quelqu’un qui n’a pas déjà exercé ce genre de missions. Lors des élections présidentielles, ce sont souvent les mêmes candidats et ceux qu’on choisit pour passer à l’occasion d’une fraude électorale sont ceux qui ont déjà exercé des fonctions au sein du gouvernement.
Depuis 2014, le président Bouteflika a désigné des personnes qui n’ont jamais exercé ce genre de fonctions dont Mme Benghebrit, M. Grine et maintenant Mme Feraoun…
Il faut bien qu’il y ait quelques nouvelles têtes pour faire passer la pilule. Dans un gouvernement, les fonctions les plus importantes sont celles des ministres de l’Intérieur, de la Justice, de la Défense, les Affaires étrangères, l’Energie et de l’Enseignement supérieur. Pour ce département, on a ramené une ancienne figure. Quelqu’un qui a été le recteur de l’Université d’Alger pendant plus de vingt ans. Maintenant, on essaie à chaque fois de saupoudrer les effectifs du gouvernement par quelques nouvelles têtes. Il s’agit parfois de montrer qu’on a promu quelques femmes ou quelques jeunes. Et souvent, on choisit les nouveaux ministres (qui n’ont jamais assumé cette fonction auparavant, ndlr) parmi les walis. D’ailleurs, jamais un gouvernement algérien n’a été composé d’autant d’anciens walis. Ils sont plus de dix anciens walis dans l’actuel gouvernement. La raison ? Depuis quelques années, le gouvernement n’est plus un gouvernement de politiques. C’est un gouvernement qui est fait pour la gestion administrative.
Quelle lecture peut-on faire de ce remaniement ?
Ce remaniement confirme une chose : qu’il y a un statut quo en Algérie et que le pouvoir a perdu l’initiative et qu’il est incapable de renouveau depuis l’élection présidentielle. Les informations qui nous sont parvenues ces six derniers mois faisaient état d’un blocage du remaniement dû au refus du vice-ministre de la Défense nationale (Gaïd Salah) de quitter (le gouvernement). Selon ces informations, il était question que ce même vice-ministre soit remplacé. Je ne sais pas comment il a résisté. Ce qui est sûr, c’est qu’il est encore ministre et qu’il n’y a pas eu donc de remaniement sérieux. C’est pour cela que j’ai parlé d’un scénario qui est à l’étude depuis un moment. Le pouvoir a souvent plusieurs scénarios à l’étude dont fait partie un autre remaniement du gouvernement qui va intervenir vers le mois de novembre ou début décembre. C’est-à-dire avant le renouvellement du tiers présidentiel au Conseil de la Nation. Ils sont en train de réfléchir sur le sort de Sellal. Si on enlève Sellal du gouvernement, il faudrait bien lui trouver un remplaçant.
Cela obéirait à quelle logique ?
C’est très difficile de comprendre la logique du pouvoir parce qu’il n’a pas de logique. Les uns disent que c’est lié aux nombreuses attaques contre M. Bensalah (président du Sénat) par rapport à ses origines et le risque qu’il pourrait y avoir en cas du décès du chef de l’État. D’autres estiment qu’il s’agit plutôt d’une manière d’empêcher Sellal de participer à la course présidentielle à l’avenir. Chacun a son explication. Maintenant, ce n’est pas certain que cela va se passer de cette manière. Ce n’est qu’un scénario qui est à l’étude.
Donc, le pouvoir se prépare à une nouvelle période. Peut-on vraiment parler de statut quo ?
Le pouvoir pense qu’il est en train de se préparer. Pour un gouvernement sérieux, la préparation est d’étudier les problèmes qui se posent au sein de la société et réfléchir aux réformes à apporter. Le choix des hommes vient après cette première étape. Mais les décideurs ne sont pas dans cette logique. À aucun moment, ils n’ont pensé aux réformes à mettre en place et aux personnes qui vont les mener. Ils sont en train de réfléchir à comment éliminer tel acteur du pouvoir et comment préparer un autre.
Pensez-vous qu’il pourrait y avoir des élections présidentielles anticipées ?
Une chose est sûre, une lutte au sommet de l’État est revenue au devant de la scène ces derniers temps. Elle se manifeste à travers un certain nombre d’indices dont ce qui se passe au niveau de certains partis importants pour le pouvoir. On ne sait pas, par exemple, comment va se dérouler le congrès du FLN. En fait, on peut toujours avoir des bribes d’informations sur des scénarios à l’étude mais personne ne peut dire quel scénario va se concrétiser. Quand Saadani dit qu’il va y avoir une révision constitutionnelle durant le premier semestre de 2015, cela veut dire qu’il avait des informations là-dessus mais ils ont changé de scénario. Même chose pour le remaniement d’ailleurs. Le pouvoir a toujours fonctionné de cette manière. Et parfois, le pouvoir fait sortir ce genre d’informations pour voir comment elles sont perçues par l’opinion.
Quelle importance revêt ce Congrès du FLN pour le pouvoir ?
D’abord, pour nous, il n’a aucune importance. En tant que président du RCD, je suis content quand ça ne marche pas bien au niveau du FLN parce que je suis de ceux qui militent pour que le FLN soit mis au musée. Ensuite, selon que M. Saadani soit reconduit comme secrétaire général ou que quelqu’un d’autre arrive à la tête du parti, ce congrès va donner des indices des rapports de force à l’intérieur du régime. Pas plus !
Des procès liés à de grandes affaires de corruption ont été enfin programmés…
Au RCD, on a toujours dit qu’il n’était pas normal qu’aucun procès n’ait abouti au niveau de tribunaux depuis plus de quinze ans. Mais on a toujours ajouté aussi qu’il était important de voir qui était convoqué devant le tribunal. Et comme on l’a prédit, un certain nombre d’acteurs impliqués dans ces affaires n’ont pas été convoqués pour être écoutés. On ne peut pas traiter du dossier de l’autoroute Est-ouest par exemple sans écouter le ministre qui était en charge du secteur durant la période où il y a eu le scandale. On ne peut pas traiter du scandale Sonatrach I et II sans convoquer le ministre qui était en charge du secteur. Pour cette raison, on a l’impression qu’il s’agit de procès dont les décisions à annoncer ont été prises à l’avance. Et on n’est pas les seuls à le dire. Tout le monde est en train de parler de deals.
Commentaire