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Bucarest: impressions en vrac

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    Bucarest: impressions en vrac


    par Kamel Daoud


    Le ciel roumain est pur à cause de l'été précoce. Sur terre, les traces du communisme et ses esthétiques : immeubles en ruches serrées et ternes, tristes façades, gigantismes des édifices publics (tentation de tout dictateur, jusqu'à notre « plus grande mosquée d'Afrique »). Etrange : le socialisme a imposé des rites : la porte capitonnée du « responsable », l'inévitable « Palais du peuple », le souvenir (qui fait sourire les Roumains) des pénuries et des rites des douaniers véreux : déodorant Axa, savon Fa et cigarettes pour faire passer des revues « occidentales » ou des produits rationnés. Dans la ville de Ploesti, (40 mn de trajet), dans un restaurant, le chroniqueur algérien parle aux Roumains du même pays « socialiste » : des heures «rationnées » de la télévision, du discours du parti unique, des « Services » et leurs terrorismes au nom de la Sécurité, de la tristesse, des peurs et des ruses pour survivre à bureaucratie, la délation, les autorisations de sortie...etc. Cela fait rire. Mais avec des différences entre la Roumanie et la post-Algérie : l'épisode Nicolae Ceaucescu est enseigné dans les manuels scolaires, octobre 88 est encore nié chez nous. Après la chute du dictateur, le pays s'est libéralisé, dans le désordre, mais sans le sinistre. Chez nous, on a rappelé la dictature, on l'a restaurée et elle se porte mieux en se portant assise. Avec un autre détail : on est passé de la pensée unique, comme a dit une amie, à la « non-pensée unique ».

    Retour à Bucarest : on y voit l'architecture du vieux royaume avec de si belles maisons, et les hideurs socialistes avec le souvenir gris de leur gloire qui a mal fini. Le pays est calme, ne sent pas la rancune et va doucement entre la chute du régime et le ravalement des façades des beaux édifices. Consumérisme et restauration. La nostalgie ? « Oui, chez les anciens » explique une universitaire. Etrange maladie du présent : des Roumains regrettent parfois le dictateur à cause de ce qui fait notre malheur chez nous : le « gratuit », le « syndicat », le « logement aidé », l'emploi fictif et le discours unanime.

    Michel Tournier, l'écrivain Français, disait que dans une prison certains voient les barreaux, d'autres admirent le toit.

    Des Roumains parlent à leurs enfants d'une époque bénie imaginaire où le dictateur-père assurait un monde de sécurité et de gratuité.

    L'image fantasmée se transmet par « la famille » et les anciens face aux difficultés des temps présents. Cela divise le temps en « avant » et après. Mais en Algérie, étrange calendrier : le « avant » est revenu pour piéger le « après » : d'Octobre 88, on a débouché dans l'Algérie 90 pour remonter avec l'actuel président à l'Algérie 70. Le temps est une corde tordue, un serpent sans dents, une eau sans tête. L'Algérie est une spirale, la Roumanie une ligne droite un peu courbée mais qui se redresse. Passons : le pays est beau, il n'a pas cette agressivité des pays tristes et en colère contre soi-même ; il accueille mais dans une sorte de belle indolence. La ville est propre, le « Parti unique » est devenu chambre de commerce. Pourquoi cela n'a pas réussi chez nous la fin du régime et une transition sans grandes catastrophes ? Vaste question avec interdiction de nager dedans.

    Les Roumains parlent de révolution mais avec un sourire au coin. La théorie de la révolution « provoquée » et manipulée et donc de la « fausse révolution » a ses partisans : la chute du dictateur a été préparée et des indices le laissent penser, dit-on. Cela fait partie du folklore ou de la spéculation. L'essentiel est ailleurs. Sensation étrange d'être un homme préhistorique dans un monde post-historique : la Roumanie qui était comme nous a « fait quelque chose ». L'Algérie non : on est sortie du socialisme pour tomber dans la guerre, puis l'islamisme ambiant d'aujourd'hui et l'économie du butin. Tournant en rond puis en vrac : ni démocratie, ni dictature, ni califat, ni socialisme, ni libéralisme, ni rien. Un mélange détestable et sans tête, incapable d'être une idéologie d'Etat ou un régime fort. Un président absent avec un ministre de l'Enseignement supérieur fervent des jupes longues et défenseur d'un agent de sécurité talibanisé. Un détail ? Non : un indice majeur. En Roumanie, la jupe courte ne provoque ni séismes, ni polémique, ni fixations honteuses sur les jambes de la nation. Obsédante cette histoire d'un ministre contre les jupes courtes en Algérie. Elle résume tout.

    Bucarest. Ville aimable. Pays sans rancune vers son passé ou son présent.


    par Kamel Daoud

    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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