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Les déportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie et la culture du palmier-dattier

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  • Les déportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie et la culture du palmier-dattier

    Née à Paris, Mélica Ouennoughi est docteur en anthropologie historique (Univeristé Paris VIII / I.R.D. / Commune de Bourail en Nouvelle Calédonie). Spécialiste sur les migrations maghrébines et subsahariennes dans le Pacifique, elle a consacré de nombreuses publications sur la question des Calédoniens maghrébins en Nouvelle Calédonie.
    Les déportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie et la culture du palmier-dattier, de Mélica Ouennoughi (Ed. L’Harmattan, 374 pages)
    L’arbre symbole
    Bien que la mémoire de la période calédonienne soit un fait historique à part entière, elle a été rarement au centre des débats publics sur la colonisation en Algérie.
    Dissuadés probablement par le contexte mondial, en ces temps de résurgence du racisme et de crises, peu d’historiens s’étaient intéressés à la déportation en Nouvelle-Calédonie et en Guyane des Maghrébins impliqués dans les insurrections qui eurent lieu en Algérie, en Kabylie et au Sud tunisien de 1864 à 1895.
    C’est aujourd’hui chose faite grâce à l’admirable travail que nous livre Mélica Ouennoughi dans son livre Les déportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie et la culture du palmier dattier, qui vient de paraître aux Editions L’Harmattan. Le voile du silence est désormais déchiré. Paradoxalement, on le doit non pas à un historien, mais à une anthropologue originaire d’une tribu dont les chefs avaient été exilés en Nouvelle-Calédonie.
    Mélica Ouennoughi est docteur en anthropologie historique, spécialisée dans l’étude des migrations maghrébines et subsahariennes en Nouvelle-Calédonie et en Guyane. Son ouvrage, objet d’une thèse soutenue en 2004, tranche par sa technique narrative et ce lien étroit qui court en filigrane entre la religion et le palmier-dattier. En associant adroitement l’étude sociologique et anthropologique à l’apparition du palmier dattier dans le Pacifique, l’ouvrage s’attache à établir ce qu’a été la véritable histoire des déportés maghrébins dans cette partie du monde.
    Le palmier-dattier, souvenir du pays d’origine
    Mais que l’on ne s’y méprenne pas : même si l’auteur remonte jusqu’aux origines de la colonisation française en Algérie et en Nouvelle-Calédonie, ce livre ne se veut pas acte d’accusation. C’est un travail scientifique de longue haleine, illustré de nombreuses photographies, de cartes, de photocopies d’archives, de concessions ; bref, une minutieuse enquête menée sur le terrain (y compris dans l’oasis tunisienne de Deggache) pendant plus de cinq ans, et dont le thème central reste le palmier-dattier.
    Bénéficiant d’une grande longévité, aussi emblématique que l’olivier, cet arbre fut un symbole de fertilité pour les Egyptiens. Introduit en Afrique méditerranéenne par les Phéniciens, puis plus tard, par les caravaniers arabes qui sillonnèrent le Sahara, il a été bien souvent à l’origine des lieux-dits. Sa culture, pratiquée depuis l’Antiquité, s’est, en effet, propagée selon une dynamique typologique propre à la sociologie des mutationsdont parle J. Berqueque Mélica Ouennoughi cite fort à propos : « Le dynamisme qui anime l’appropriation d’un lieu par le travail tout autant que sur la base des croyances mêlant le monothéisme de l’Islam aux rituels berbères. » (p.35)
    Au-delà du domaine purement agronomique, comme l’enseignement de la culture du dattier ou les descriptions du savoir-faire et des outils, c’est l’influence de faits sociaux et historiques sur la propagation du palmier-dattier dont il s’agit ici. C’est grâce à « la connaissance de l’arboriculture et de la phoeniciculture », écrit Mélica Ouennoughi, qu’il fut permis aux déportés « d’intérioriser le phénomène culturel et de construire un mouvement de résistance solidaire. » (p.251)
    Témoin de celui qui l’a planté, mais aussi souvenir du pays d’origine, symbole de fixité et de fraternité par excellence, cet arbre mythique serait bel et bien à l’origine de la propagation géographique des mLes déportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie et la culture du palmier-dattier, de Mélica Ouennoughi (Ed. L’Harmattan)arabouts dans le Sud algérien et, partant, dans les profondes vallées de la Nouvelle-Calédonie. Un long périple, donc, à partir des oasis algériennes et tunisiennes jusqu’au milieu du Pacifique.
    Dans le Pacifique, la solidarité berbère en vase clos
    Enfermés dans un vase clos, en particulier ceux de la commune de Bourail et de Nessadiou en Nouvelle-Calédonie, désireux de sauvegarder leur identité, les déportés maghrébins tissèrent de nombreux liens affectifs d’identification comme la culture du palmier-dattier, les mets traditionnels, l’architecture des mausolées ou encore les cimetières musulmans. Ils étaient aidés en cela par les “Chioukh”, les Sages de la communauté musulmane qui, « livrés à leur propre destin », avaient pour but de « transmettre une tradition millénaire : la solidarité berbère (touiza) » p.179. Ces Sages étaient pour la plupart des chefs kabyles respectés, comme Al Mokrani, ou des marabouts vénérés comme Ahmed Ben Aïech, condamnés à la déportation à la suite de l’insurrection en 1876 du clan Bouzyd dans l’oasis d’El Amri, près de Biskra.
    En réunissant toutes les familles du clan, les “Chioukh” et la zaouïa de l’exil recomposent d’une manière subjective, le arch qui, à son tour, favorise l’émergence de rites traditionnels et d’actes coutumiers, comme la ziyara, la zerda ou encore la saddaka. Grâce à ces divers liens collectifs et familiaux liant les déportés de la Nouvelle-Calédonie, la reconduction du droit berbère coutumier s’opéra d’elle-même.
    Mais la résistance des déportés et de leurs descendants à l’acculturation se faisait aussi à l’intérieur de la famille. Jusqu’en 1936, l’administration coloniale refusait d’enregistrer des prénoms algériens. Pour contrer cette mesure, ils développèrent peu à peu une contre-acculturation en contractant des mariages avec les femmes canaques ou des communardes de Paris, condamnées, comme la célèbre Louise Michel, à la déportation en 1871. Ainsi pendant trois ou quatre générations, ils donnèrent à leurs enfants deux prénoms, l’un musulman et l’autre chrétien.
    Sans verser dans une subjectivité débridée, mais rejetant le ton froid de l’historien, Mélica Ouennoughi lève adroitement le voile sur une période cruciale de l’histoire maghrébine, qui ne mérite pas d’être occultée. Ouvrage donc à lire et à relire.
    Avec son aimable autorisation,
    Rafik DARRAGI
    dz(0000/1111)dz
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