Ils vivent cachés, poursuivis par les cauchemars de leurs traumatismes et la hantise de bouleversements qui viendraient remettre en cause les rudiments de vie qu’ils se sont constitués en Algérie.
En Algérie, des milliers d’enfants vivent cachés, reclus. Noyés dans la masse que l’on nomme «les migrants», il n’est pas aisé de savoir combien ils sont à vivre dans la clandestinité et la précarité, privés de leurs droits les plus élémentaires. Des principes qui sont pourtant célébrés en fanfare aujourd’hui, Journée internationale de l’enfance, et seront réitérés dans quelques jours à l’occasion de la Journée Internationale du migrant.
Immobile sur le seuil de la porte de chez lui, Nacer, 5 ans, tend l’oreille. «Mes amis sont dehors, je vais jouer !» s’exclame-t-il à l’adresse de sa mère, Thérèse, assise à l’intérieur. Indécis, le garçon aux grands yeux bruns et au sourire désarmant de malice ne bouge pas, scrutant les alentours de sa «maison», le squat de Bouchbouk, à Dély Ibrahim. Thèrèse, dont le garçon a hérité le sourire, ne le quitte pas du regard, tout en rangeant son intérieur. Une table basse, quelques chaises, une télévision et un réfrigérateur.
L’on devine la présence d’une salle d’eau de l’autre côté. La pièce, dont les panneaux de séparation sont peints en bleu électrique, est certes exiguë, mais propre. L’enfant y déboule comme une tornade et en ressort aussitôt en courant. «Ne cours pas dans les escaliers Nacer, fais attention !», crie, affolée, sa mère. Et à raison. Les marches, nues, sont en colimaçon et donnent directement sur le vide. «Il y a souvent des accidents, des chutes. Mon fils est d’ailleurs tombé plusieurs fois, mais heureusement ça n’a jamais été trop grave», relate-t-elle. Des rires d’enfants qui jouent se font entendre. Le quartier résidentiel, où les villas imposantes côtoient les chantiers, est calme.
Difficile d’imaginer que toute une vie communautaire parallèle croît, entre précarités et bonheurs, entre ennuis pour les plus jeunes et joie de vivre enfantine. Dans ce squat, une carcasse de villa inachevée, ils sont ainsi, entre allées et venues, quelque 400 à s’entasser et à se croiser dans les petits espaces des trois étages. Parmi eux, des dizaines d’enfants grandissent, sans se départir de leur insouciance. A l’échelle nationale, ils sont des milliers de mineurs, victimes impuissantes de la folie et de la haine des «grands», ou involontairement otages des aspirations de leurs parents à une «vie meilleure». Noyés dans la masse que l’on nomme «les migrants», il n’est pas aisé de savoir combien vivent dans la clandestinité sur le sol algérien, privés de leurs droits les plus élémentaires.
«Le droit à la protection contre les mauvais traitement»
Dans les locaux du service social intercontinental Rencontre et Développement, l’on reçoit une moyenne de 15 à 20 migrants par jour. En 2013 par exemple, ce réseau a dû prendre en charge quelque 870 migrants subsahariens, issus de 25 nationalités différentes. Parmi eux, plus de 200 étaient mineurs à leur arrivée en Algérie, dont une quarantaine, en général des demandeurs d’asile, étaient des enfants seuls. Contrairement aux réfugiés, le statut de ces enfants ne leur ouvre le droit à aucune aide ou prise en charge formelle.
Et ce au mépris des conventions internationales relatives à la protection des enfants, ou aux chartes de protection des mineurs victimes de violences. Pourtant, dès leur jeune âge, ils sont confrontés à toutes sortes de violences. La première étant la migration et la traversée en elle-même. «L’on sous-estime les épreuves que ces personnes, et a fortiori les plus jeunes, ont dû traverser avant d’arriver ici», rappelle Imène de Médecins du monde. Les récits font d’ailleurs froid dans le dos.
Ils ont traversé l’enfer du désert et ont composé avec la fourberie et la violence des passeurs, ont pu éviter de tomber ou ont pu réchapper des différent pièges des réseaux de drogue, de prostitution et de traite, se sont établis et ont travaillé quelque temps dans une ville du Sud algérien. Lorsqu’ils arrivent, enfin, à Alger, c’est dans un état de fatigue et de désespoir extrême, et au prix de mille traumatismes et profonds stigmates.
Et les enfants ne sont pas épargnés. «De nombreux cas d’abus ont été signalés, même s’ils sont souvent tus. Il n’est pas rare que l’un d’eux ne préfère pas raconter dans le détail ce qui lui est arrivé», affirme Hamid, de Rencontre et Développement. «Il y a par exemple ce cas d’une migrante et de ses quatre enfants. Un gendarme lui a demandé 10 000 DA pour passer, sans quoi elle devait lui laisser son aînée, une fille de 13 ans», s’indigne-t-il, écœuré. «Il a fallu l’intervention d’un autre Algérien, dégouté, qui lui a donné la somme demandée», poursuit-il.
Mais il y a plus grave. «Même si elle ne le raconte pas, l’on sait qu’une fillette qui avait à peine 11 ans à l’époque, a été enlevée, puis forcée à la prostitution, puis vendue et rachetée, avant d’être ‘libérée’ par l’une de ses compatriotes», confie un travailleur dans l’humanitaire. Et le cycle d’injustices ne fait que commencer pour ces enfants, et ce, même lorsqu’ils naissent sur le sol algérien, comme c’est le cas pour de nombreux petits de Bouchbouk. «Ici, c’est le restaurant ! Bienvenue en Côte d’Ivoire !» lance-t-on à la cantonade.
En fait de restaurant, il s’agit d’une petite pièce aux murs à la peinture défraichie. L’odeur de nourriture et d’épices sature l’air confiné. L’espace, pourtant très réduit, sert de chambre à coucher, de salle de séjour et de cuisine-restaurant, comme en attestent les réchauds et les grosses marmites autour desquels s’affaire une dame en tablier.
A Suivre....
En Algérie, des milliers d’enfants vivent cachés, reclus. Noyés dans la masse que l’on nomme «les migrants», il n’est pas aisé de savoir combien ils sont à vivre dans la clandestinité et la précarité, privés de leurs droits les plus élémentaires. Des principes qui sont pourtant célébrés en fanfare aujourd’hui, Journée internationale de l’enfance, et seront réitérés dans quelques jours à l’occasion de la Journée Internationale du migrant.
Immobile sur le seuil de la porte de chez lui, Nacer, 5 ans, tend l’oreille. «Mes amis sont dehors, je vais jouer !» s’exclame-t-il à l’adresse de sa mère, Thérèse, assise à l’intérieur. Indécis, le garçon aux grands yeux bruns et au sourire désarmant de malice ne bouge pas, scrutant les alentours de sa «maison», le squat de Bouchbouk, à Dély Ibrahim. Thèrèse, dont le garçon a hérité le sourire, ne le quitte pas du regard, tout en rangeant son intérieur. Une table basse, quelques chaises, une télévision et un réfrigérateur.
L’on devine la présence d’une salle d’eau de l’autre côté. La pièce, dont les panneaux de séparation sont peints en bleu électrique, est certes exiguë, mais propre. L’enfant y déboule comme une tornade et en ressort aussitôt en courant. «Ne cours pas dans les escaliers Nacer, fais attention !», crie, affolée, sa mère. Et à raison. Les marches, nues, sont en colimaçon et donnent directement sur le vide. «Il y a souvent des accidents, des chutes. Mon fils est d’ailleurs tombé plusieurs fois, mais heureusement ça n’a jamais été trop grave», relate-t-elle. Des rires d’enfants qui jouent se font entendre. Le quartier résidentiel, où les villas imposantes côtoient les chantiers, est calme.
Difficile d’imaginer que toute une vie communautaire parallèle croît, entre précarités et bonheurs, entre ennuis pour les plus jeunes et joie de vivre enfantine. Dans ce squat, une carcasse de villa inachevée, ils sont ainsi, entre allées et venues, quelque 400 à s’entasser et à se croiser dans les petits espaces des trois étages. Parmi eux, des dizaines d’enfants grandissent, sans se départir de leur insouciance. A l’échelle nationale, ils sont des milliers de mineurs, victimes impuissantes de la folie et de la haine des «grands», ou involontairement otages des aspirations de leurs parents à une «vie meilleure». Noyés dans la masse que l’on nomme «les migrants», il n’est pas aisé de savoir combien vivent dans la clandestinité sur le sol algérien, privés de leurs droits les plus élémentaires.
«Le droit à la protection contre les mauvais traitement»
Dans les locaux du service social intercontinental Rencontre et Développement, l’on reçoit une moyenne de 15 à 20 migrants par jour. En 2013 par exemple, ce réseau a dû prendre en charge quelque 870 migrants subsahariens, issus de 25 nationalités différentes. Parmi eux, plus de 200 étaient mineurs à leur arrivée en Algérie, dont une quarantaine, en général des demandeurs d’asile, étaient des enfants seuls. Contrairement aux réfugiés, le statut de ces enfants ne leur ouvre le droit à aucune aide ou prise en charge formelle.
Et ce au mépris des conventions internationales relatives à la protection des enfants, ou aux chartes de protection des mineurs victimes de violences. Pourtant, dès leur jeune âge, ils sont confrontés à toutes sortes de violences. La première étant la migration et la traversée en elle-même. «L’on sous-estime les épreuves que ces personnes, et a fortiori les plus jeunes, ont dû traverser avant d’arriver ici», rappelle Imène de Médecins du monde. Les récits font d’ailleurs froid dans le dos.
Ils ont traversé l’enfer du désert et ont composé avec la fourberie et la violence des passeurs, ont pu éviter de tomber ou ont pu réchapper des différent pièges des réseaux de drogue, de prostitution et de traite, se sont établis et ont travaillé quelque temps dans une ville du Sud algérien. Lorsqu’ils arrivent, enfin, à Alger, c’est dans un état de fatigue et de désespoir extrême, et au prix de mille traumatismes et profonds stigmates.
Et les enfants ne sont pas épargnés. «De nombreux cas d’abus ont été signalés, même s’ils sont souvent tus. Il n’est pas rare que l’un d’eux ne préfère pas raconter dans le détail ce qui lui est arrivé», affirme Hamid, de Rencontre et Développement. «Il y a par exemple ce cas d’une migrante et de ses quatre enfants. Un gendarme lui a demandé 10 000 DA pour passer, sans quoi elle devait lui laisser son aînée, une fille de 13 ans», s’indigne-t-il, écœuré. «Il a fallu l’intervention d’un autre Algérien, dégouté, qui lui a donné la somme demandée», poursuit-il.
Mais il y a plus grave. «Même si elle ne le raconte pas, l’on sait qu’une fillette qui avait à peine 11 ans à l’époque, a été enlevée, puis forcée à la prostitution, puis vendue et rachetée, avant d’être ‘libérée’ par l’une de ses compatriotes», confie un travailleur dans l’humanitaire. Et le cycle d’injustices ne fait que commencer pour ces enfants, et ce, même lorsqu’ils naissent sur le sol algérien, comme c’est le cas pour de nombreux petits de Bouchbouk. «Ici, c’est le restaurant ! Bienvenue en Côte d’Ivoire !» lance-t-on à la cantonade.
En fait de restaurant, il s’agit d’une petite pièce aux murs à la peinture défraichie. L’odeur de nourriture et d’épices sature l’air confiné. L’espace, pourtant très réduit, sert de chambre à coucher, de salle de séjour et de cuisine-restaurant, comme en attestent les réchauds et les grosses marmites autour desquels s’affaire une dame en tablier.
A Suivre....
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