Cela risque d'être un véritable casse-tête. La coalition internationale, formée par les États-Unis pour contrer l'offensive des jihadistes de l'Etat islamique (EI), se retrouve ce mardi 2 juin à Paris. Co-présidée par le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, et le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, la réunion rassemblera une vingtaine de ministres ou représentants d'organisations internationales. John Kerry, qui devait également co-présider la rencontre, absent pour cause de fracture au fémur, devrait suivre la rencontre par téléphone. But de l'opération: revoir la stratégie de la coalition face à l'Etat islamique.
Car ces dernières semaines, le groupe terroriste a engrangé les victoires. Et, même défaits à Tikrit début avril, les jihadistes, présents sur plusieurs fronts, ont rappelé qu'ils étaient loin d'être affaiblis. Pour preuve: la chute de Ramadi en Irak, la prise de Palmyre en Syrie, ainsi que la prise du dernier poste-frontière entre les deux pays aux mains du régime syrien. Autant de revers qui interrogent sur l'efficacité de la coalition internationale et sa difficulté à faire reculer les jihadistes de Daech (acronyme arabe de l'Etat islamique).
Un "assemblage hétéroclite" plutôt qu'une coalition unie
Selon Myriam Benraad, chercheuse spécialiste de l'Irak, affiliée au Centre de recherches internationales de Science Po (*), la première raison de l'absence de résultat est la nature même de la coalition. "Aujourd'hui, la coalition internationale est un assemblage hétéroclite d'Etats, aux ambitions stratégiques qui divergent parfois fondamentalement, et dont les résultats jusqu'ici sont plus que mitigés", souligne-t-elle précisant que "la question à débattre, c'est comment être plus efficaces sur le terrain".
Un constat partagé par le général Vincent Desportes interrogé par Le Figaro. "Aujourd'hui, les États-Unis et leurs alliés, avec leurs outils militaires, si puissants soient-ils, ne peuvent pas venir à bout de Daech. Il manque à la coalition une stratégie, une vision", analyse-t-il.
Autre critique adressée à la coalition, le fait de détacher le dossier irakien du dossier syrien. Si le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Romain Nadal, a indiqué que la Syrie serait "évoquée", il a rappelé que "le cœur de la réunion, c'est l'Irak". Une façon de faire contre-productive pour certains observateurs. "Pourquoi s’entêter à vouloir détacher à ce point les cas syrien et irakien? L’Etat islamique est né à cheval entre ces deux pays. Il trouve son origine dans l’invasion américaine de l’Irak et a été alimenté par le pourrissement de la révolution en Syrie. [...] Certes, il y a des différences entre les deux pays, mais une grille de lecture globale s’applique", écrit par exemple, Nicolas Hénin, journaliste, ex-otage en Syrie, dans une tribune au Monde.
Le problème des relais au sol
Lancée à l'été 2014, la coalition internationale mène la guerre contre l'Etat islamique par le biais de frappes aériennes (4000 en dix mois selon les chiffres de l'AFP). Le président américain Barack Obama, qui avait fait du retrait des troupes américaines de l'Irak un de ses principaux engagements, refuse en effet toute intervention au sol. Or, ces frappes aériennes n'ont démontré leur efficacité uniquement quand elles étaient épaulées par des combats à terre. Ce fut par exemple le cas à Kobané, en Syrie, où les Peshmergas, des combattants kurdes, ont prolongé les actions aériennes en affrontant les jihadistes.
Le problème, c'est qu'il est difficile pour la coalition de compter sur des relais au sol. En Syrie, il est impensable de mener le combat avec les hommes du régime de Bachar al-Assad. En Irak, l'armée régulière, n'est qu'un "mirage" selon Myriam Benraad. Depuis son démantèlement après l'invasion américaine de 2003, l'entité militaire irakienne n'a jamais réussi à se reconstruire. À plusieurs reprises, comme ce fut le cas à Ramadi, les soldats ont été mis en déroute, ce qui a valu au gouvernement irakien de vives critiques de la part des États-Unis. "L'armée irakienne est tout au plus un embryon d'institution qui n'a jamais réussi à s'imposer militairement. Les victoires revendiquées par l'Etat irakien face aux jihadistes ont principalement été le fait de l'engagement des milices chiites adossées à l'Iran dans le combat, les fameuses 'unités de mobilisation populaire'", souligne Myriam Benraad.
Une dimension communautaire incontournable
L'implication des milices chiites dans le conflit, ainsi que celle des tribus sunnites, illustre par ailleurs en creux la dimension communautaire de ce conflit. Myriam Benraad estime que "la question de l'Iran va devoir être posée" par la coalition. "Les milices chiites irakiennes, soutenues par l'Iran, sont en effet les premières forces à combattre l'Etat islamique. C'est une réalité de terrain que la coalition ne reconnaît pas. Certes, leur agenda confessionnel alimente le conflit et le discours de l'Etat islamique, ses représailles, mais leur présence devenue écrasante ne peut être ignorée. Tant qu'il n'y aura pas de vraies discussions au sujet de cette réalité, la coalition aura du mal à s'orienter et à obtenir des résultats", commente-t-elle.
Une nécessité d'être clair stratégiquement qui vaut aussi pour la communauté sunnite. "La coalition doit aussi se demander si elle est prête à armer les tribus sunnites contre l'Etat islamique. Cette question est sur la table des négociations depuis déjà plusieurs mois. John Allen, ancien général américain nommé pour coordonner la stratégie et les opérations anti-jihadistes, est pour cette option. Mais les tribus se plaignent de n'avoir reçu aucun armement de Bagdad. Si les Etats-Unis sont prêts à infléchir leur politique pour aller dans ce sens, ils devront cependant composer avec le gouvernement irakien, qui lui y est hostile", rappelle la chercheuse. La réunion à Paris, qui insistera "sur la nécessité de parvenir à des solutions politiques durables", vise d'ailleurs à faire pression sur le gouvernement irakien, afin qu'il fasse plus de place aux sunnites dans le combat contre l'EI.
"La stratégie occidentale est otage des divisions irakiennes, qu'elle a d'ailleurs elle-même contribué à alimenter. De ce point de vue, elle paye ses erreurs passées. Il ne faut pas oublier que ce sont les États-Unis qui, au premier plan, ont nourri les replis communautaires". Et la chercheuse de conclure: "Cette question dépasse aujourd'hui les Américains qui pensaient que le chaos engendré par leur invasion de 2003 resterait maîtrisable. Or, ce n'est plus le cas".
(*) Myriam Benraad est également auteur de deux ouvrages sur l'Irak, "Irak, la revanche de l'Histoire. De l'occupation étrangère à l'Etat islamique (Vendémiaire)" et "Irak: de Babylone à l'Etat islamique. Idées reçues sur une nation complexe (Le Cavalier Bleu)".
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Car ces dernières semaines, le groupe terroriste a engrangé les victoires. Et, même défaits à Tikrit début avril, les jihadistes, présents sur plusieurs fronts, ont rappelé qu'ils étaient loin d'être affaiblis. Pour preuve: la chute de Ramadi en Irak, la prise de Palmyre en Syrie, ainsi que la prise du dernier poste-frontière entre les deux pays aux mains du régime syrien. Autant de revers qui interrogent sur l'efficacité de la coalition internationale et sa difficulté à faire reculer les jihadistes de Daech (acronyme arabe de l'Etat islamique).
Un "assemblage hétéroclite" plutôt qu'une coalition unie
Selon Myriam Benraad, chercheuse spécialiste de l'Irak, affiliée au Centre de recherches internationales de Science Po (*), la première raison de l'absence de résultat est la nature même de la coalition. "Aujourd'hui, la coalition internationale est un assemblage hétéroclite d'Etats, aux ambitions stratégiques qui divergent parfois fondamentalement, et dont les résultats jusqu'ici sont plus que mitigés", souligne-t-elle précisant que "la question à débattre, c'est comment être plus efficaces sur le terrain".
Un constat partagé par le général Vincent Desportes interrogé par Le Figaro. "Aujourd'hui, les États-Unis et leurs alliés, avec leurs outils militaires, si puissants soient-ils, ne peuvent pas venir à bout de Daech. Il manque à la coalition une stratégie, une vision", analyse-t-il.
Autre critique adressée à la coalition, le fait de détacher le dossier irakien du dossier syrien. Si le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Romain Nadal, a indiqué que la Syrie serait "évoquée", il a rappelé que "le cœur de la réunion, c'est l'Irak". Une façon de faire contre-productive pour certains observateurs. "Pourquoi s’entêter à vouloir détacher à ce point les cas syrien et irakien? L’Etat islamique est né à cheval entre ces deux pays. Il trouve son origine dans l’invasion américaine de l’Irak et a été alimenté par le pourrissement de la révolution en Syrie. [...] Certes, il y a des différences entre les deux pays, mais une grille de lecture globale s’applique", écrit par exemple, Nicolas Hénin, journaliste, ex-otage en Syrie, dans une tribune au Monde.
Le problème des relais au sol
Lancée à l'été 2014, la coalition internationale mène la guerre contre l'Etat islamique par le biais de frappes aériennes (4000 en dix mois selon les chiffres de l'AFP). Le président américain Barack Obama, qui avait fait du retrait des troupes américaines de l'Irak un de ses principaux engagements, refuse en effet toute intervention au sol. Or, ces frappes aériennes n'ont démontré leur efficacité uniquement quand elles étaient épaulées par des combats à terre. Ce fut par exemple le cas à Kobané, en Syrie, où les Peshmergas, des combattants kurdes, ont prolongé les actions aériennes en affrontant les jihadistes.
Le problème, c'est qu'il est difficile pour la coalition de compter sur des relais au sol. En Syrie, il est impensable de mener le combat avec les hommes du régime de Bachar al-Assad. En Irak, l'armée régulière, n'est qu'un "mirage" selon Myriam Benraad. Depuis son démantèlement après l'invasion américaine de 2003, l'entité militaire irakienne n'a jamais réussi à se reconstruire. À plusieurs reprises, comme ce fut le cas à Ramadi, les soldats ont été mis en déroute, ce qui a valu au gouvernement irakien de vives critiques de la part des États-Unis. "L'armée irakienne est tout au plus un embryon d'institution qui n'a jamais réussi à s'imposer militairement. Les victoires revendiquées par l'Etat irakien face aux jihadistes ont principalement été le fait de l'engagement des milices chiites adossées à l'Iran dans le combat, les fameuses 'unités de mobilisation populaire'", souligne Myriam Benraad.
Une dimension communautaire incontournable
L'implication des milices chiites dans le conflit, ainsi que celle des tribus sunnites, illustre par ailleurs en creux la dimension communautaire de ce conflit. Myriam Benraad estime que "la question de l'Iran va devoir être posée" par la coalition. "Les milices chiites irakiennes, soutenues par l'Iran, sont en effet les premières forces à combattre l'Etat islamique. C'est une réalité de terrain que la coalition ne reconnaît pas. Certes, leur agenda confessionnel alimente le conflit et le discours de l'Etat islamique, ses représailles, mais leur présence devenue écrasante ne peut être ignorée. Tant qu'il n'y aura pas de vraies discussions au sujet de cette réalité, la coalition aura du mal à s'orienter et à obtenir des résultats", commente-t-elle.
Une nécessité d'être clair stratégiquement qui vaut aussi pour la communauté sunnite. "La coalition doit aussi se demander si elle est prête à armer les tribus sunnites contre l'Etat islamique. Cette question est sur la table des négociations depuis déjà plusieurs mois. John Allen, ancien général américain nommé pour coordonner la stratégie et les opérations anti-jihadistes, est pour cette option. Mais les tribus se plaignent de n'avoir reçu aucun armement de Bagdad. Si les Etats-Unis sont prêts à infléchir leur politique pour aller dans ce sens, ils devront cependant composer avec le gouvernement irakien, qui lui y est hostile", rappelle la chercheuse. La réunion à Paris, qui insistera "sur la nécessité de parvenir à des solutions politiques durables", vise d'ailleurs à faire pression sur le gouvernement irakien, afin qu'il fasse plus de place aux sunnites dans le combat contre l'EI.
"La stratégie occidentale est otage des divisions irakiennes, qu'elle a d'ailleurs elle-même contribué à alimenter. De ce point de vue, elle paye ses erreurs passées. Il ne faut pas oublier que ce sont les États-Unis qui, au premier plan, ont nourri les replis communautaires". Et la chercheuse de conclure: "Cette question dépasse aujourd'hui les Américains qui pensaient que le chaos engendré par leur invasion de 2003 resterait maîtrisable. Or, ce n'est plus le cas".
(*) Myriam Benraad est également auteur de deux ouvrages sur l'Irak, "Irak, la revanche de l'Histoire. De l'occupation étrangère à l'Etat islamique (Vendémiaire)" et "Irak: de Babylone à l'Etat islamique. Idées reçues sur une nation complexe (Le Cavalier Bleu)".
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