rançois Hollande de retour en Algérie la mi-juin prochain (le 15 ?) pour y faire quoi, avec quel programme ? Si, d’un côté comme de l’autre des deux autorités, l’on confirme que le chef de l’Etat effectuera bien une visite, l’une comme l’autre se gardent bien de qualifier le statut de cette visite (d’Etat ? Officielle ? D’amitié ?).
En tout cas, le Président français ne fait certainement pas une visite d’agrément et ne répond pas, non plus, à l’invitation que lui lançait le Premier ministre Sellal, qui lui demandait, à partir de Paris, de venir constater de visu que son frère Bouteflika se portait bien. La date choisie comme le secret qui entoure les préparatifs de ce déplacement interrogent et prêtent à moult lectures.
Hollande et ceux qui le reçoivent ne peuvent avoir choisi cette date de la mi-juin inopportunément, comme cela, parce que ce créneau est libre dans leur agenda. La mi-juin correspond à une conjoncture politique et économique très particulière dans notre pays. La mi-juin est l’aboutissement d’un grand nettoyage de printemps opéré par les cercles de décision et qui a abouti à une OPA sans pareil par le cercle présidentiel sur les institutions politiques et économiques.
D’abord au niveau du FLN. Bien que toujours soumis aux détenteurs du pouvoir du moment, le FLN a vu cette fois-ci, depuis le 10e congrès, son allégeance totale et entière au clan présidentiel et à son patron qui en devient le chef incontesté. De plus, les membres du gouvernement présentés jusque-là comme technocrates n’ayant pas dans leur majorité d’affiliation partisane, ont été quasiment tous intégrés à l’organe de décision du FLN nouveau look. De ce point de vue donc, aucune contestation à l’avenir au sein du parti FLN et ceux qui en dénonçaient les dérives sont exclus avec l’espoir de ne plus les entendre et de taire à jamais leurs divergences.
L’offre publique d’achat, OPA, sur le FLN est aujourd’hui en phase d’exécution sur un autre parti et non des moindres : le RND vit ses derniers jours (jusqu’au 6 juin) sous l’autorité de Bensalah. A ce dernier, les clans au pouvoir ont demandé de quitter le bateau et de laisser le gouvernail à… Ouyahia qui se verra, très probablement, revenir dans les tout prochains jours et plébiscité au conseil national, comme l’a été Bouteflika au FLN. Le ménage est d’ores et déjà opéré là aussi et ne restent plus alors que les petits partis complétant l’alliance au pouvoir. Ceux-là ne peuvent avoir que peu d’impact sur les échéances à venir et semblent acquis à tous les vents à venir.
Quant à l’opposition, rassemblée au sein de la Coordination pour les libertés et la transition démocratique, le pouvoir, rompu aux pratiques antidémocratiques, a déployé son moyen le plus sûr de voiler sa voix : par le refus systématique d’autorisation de rencontres qui pourraient en dévoiler les forces qui l’appuient. Au plan économique, les ficelles sont les mêmes : en sus d’avoir travaillé de sorte que le patronat des entreprises privées soit dirigé par un patron complètement acquis aux détenteurs du pouvoir, ces derniers ont élargi ses prérogatives et en ont fait un bradeur du secteur économique et une autorité diplomatique parallèle sans qu’aucune voix officielle s’offusque de cette usurpation de prérogatives.
Plus grave encore, les décisions, décrets et autres nouveaux dispositifs se prennent et s’effacent tout aussi vite, selon les humeurs du patron des patrons qui ne cache plus les objectifs de son organisation : privatiser toutes les entreprises nationales et ne plus hésiter à amener des entreprises étrangères à qui on n’exigera pas systématiquement la règle du 51/49%. Le terrain est donc ainsi balisé, bien préparé, à un François Hollande qui pourrait venir dans une Algérie «revigorée» et dont le chef d’Etat est plus fort (moralement et certainement pas physiquement) qu’il ne paraissait lors de la dernière visite de Hollande à Alger.
Il y aura très probablement deux temps lors de cette visite, deux types de sujets à l’examen : l’un affiché officiellement (à quelques jours de la visite ou lors de celle-ci) et d’autres sujets, ceuxlà non déclarés, et qui pourraient constituer le point nodal de cette énigmatique rencontre. Les sujets qui seront rendus publics sont naturellement ceux liés aux projets économiques. Sur ce plan, lors de la visite à Alger et Annaba le 12 mai dernier du ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius (la 6e depuis son installation), le chef de la diplomatie française n’a pas caché son bonheur de voir que le partenariat d’exception engagé avec l’Algérie, lors de la visite de Hollande en 2012, ne cesse de porter ses fruits.
Cela va de soi, est-on tenté de dire pour l’industrie française avec le projet Asthom à Annaba et celui de Renault à l’Ouest. Mais il fallait plus à la France, et elle l’a obtenu. Sitôt le Premier ministre reparti, l’on a vu des commandes massives de l’Etat pour équiper ses institutions de véhicules de cette marque dont le taux d’intégration très faible pour ne pas dire insignifiant et les prix très élevés questionnent sur l’intérêt d’un tel projet pour notre pays.
Les concessions faites sur ce projet par l’Algérie sont si importantes qu’on murmure que Hollande envisage gaiement de faire une virée sur le site de cette marque sauvée par nos décideurs. Sur le reste des projets économiques, les affaires vont bon train et les va-et-vient incessants de ministres français et les points d’étapes qui ont déjà eu lieu (le dernier le 12 mai) du Comité mixte économique francoalgérien (Comefa) mis en place le 28 mai 2013 veillent au grain du côté français, notamment pour arracher encore des contrats de co-localisation, l’heure étant à l’ouverture tous azimuts, notamment en direction de la France. Là sont les points économiques connus.
Ceux qui le sont moins sont liés au secteur énergétique et notamment au gaz de schiste. Si la contestation par la population du Sud s’est quelque peu amoindrie, même si des associations continuent malgré tout à s’opposer à cette exploitation, les deux pays poursuivent leurs négociations en toute discrétion et il semble même que Total, forte de contrats déjà signés avec notre pays mais qui, officiellement, le nie, évoque actuellement des contrats gaziers en n’ayant pas recours à cette appellation mais dont l’objet est toujours l’exploitation des gaz dans le sous-sol, par fracturation hydraulique.
Rappelons que lors de sa dernière visite à Alger, Laurent Fabius annonçait : «Dans la région sud, nous travaillons sur beaucoup de projets et ces projets nous veillons à ce qu’ils puissent se concrétiser sur l’ensemble du territoire algérien.» Hollande évoquera, naturellement en toute discrétion, le gaz de schiste, quelle que soit sa nouvelle appellation. Le terrain est, là aussi, préparé. Outre les aspects économiques, Hollande fera ce qu’il est, pour une fois, attendu de lui, à savoir évoquer le haut degré atteint dans les relations bilatérales et «l’excellent travail de l’Algérie» dans la résolution en cours du conflit malien.
Là n’est, cependant, pas l’essentiel. La visite de Hollande, dont la date a certainement été fixée depuis de longue date et les travaux de balisage identifiés et programmés en commun, permettra au Président français de se voir exposer le programme politique qu’ont fixé les décideurs pour les mois à venir. Ce sera là le non-dit et le non-affiché de la visite. Comment envisagent les décideurs la suite de l’embrigadement opéré ? Quel contenu à la nouvelle Constitution et par quel moyen sera-t-elle approuvée ? Quelle forme prendra la nouvelle configuration politique opérée et comment envisage-t-on l’éventualité d’une vacance de pouvoir précipitée ? De tout cela il sera sûrement question avec Bouteflika, ses clans autour, mais pas seulement.
Les véritables décideurs, dont nul ne connaît l’identité précise, seront de la partie. Mais il ne faut pas être naïf. Hollande ne vient pas seulement entendre des interlocuteurs. Il vient aussi montrer le chemin pour sauver un pouvoir qui a fait montre de panique certaine, lui qui a mis des verrous à tous les échelons.
Khedidja Baba-Ahmed
In Le Soir
En tout cas, le Président français ne fait certainement pas une visite d’agrément et ne répond pas, non plus, à l’invitation que lui lançait le Premier ministre Sellal, qui lui demandait, à partir de Paris, de venir constater de visu que son frère Bouteflika se portait bien. La date choisie comme le secret qui entoure les préparatifs de ce déplacement interrogent et prêtent à moult lectures.
Hollande et ceux qui le reçoivent ne peuvent avoir choisi cette date de la mi-juin inopportunément, comme cela, parce que ce créneau est libre dans leur agenda. La mi-juin correspond à une conjoncture politique et économique très particulière dans notre pays. La mi-juin est l’aboutissement d’un grand nettoyage de printemps opéré par les cercles de décision et qui a abouti à une OPA sans pareil par le cercle présidentiel sur les institutions politiques et économiques.
D’abord au niveau du FLN. Bien que toujours soumis aux détenteurs du pouvoir du moment, le FLN a vu cette fois-ci, depuis le 10e congrès, son allégeance totale et entière au clan présidentiel et à son patron qui en devient le chef incontesté. De plus, les membres du gouvernement présentés jusque-là comme technocrates n’ayant pas dans leur majorité d’affiliation partisane, ont été quasiment tous intégrés à l’organe de décision du FLN nouveau look. De ce point de vue donc, aucune contestation à l’avenir au sein du parti FLN et ceux qui en dénonçaient les dérives sont exclus avec l’espoir de ne plus les entendre et de taire à jamais leurs divergences.
L’offre publique d’achat, OPA, sur le FLN est aujourd’hui en phase d’exécution sur un autre parti et non des moindres : le RND vit ses derniers jours (jusqu’au 6 juin) sous l’autorité de Bensalah. A ce dernier, les clans au pouvoir ont demandé de quitter le bateau et de laisser le gouvernail à… Ouyahia qui se verra, très probablement, revenir dans les tout prochains jours et plébiscité au conseil national, comme l’a été Bouteflika au FLN. Le ménage est d’ores et déjà opéré là aussi et ne restent plus alors que les petits partis complétant l’alliance au pouvoir. Ceux-là ne peuvent avoir que peu d’impact sur les échéances à venir et semblent acquis à tous les vents à venir.
Quant à l’opposition, rassemblée au sein de la Coordination pour les libertés et la transition démocratique, le pouvoir, rompu aux pratiques antidémocratiques, a déployé son moyen le plus sûr de voiler sa voix : par le refus systématique d’autorisation de rencontres qui pourraient en dévoiler les forces qui l’appuient. Au plan économique, les ficelles sont les mêmes : en sus d’avoir travaillé de sorte que le patronat des entreprises privées soit dirigé par un patron complètement acquis aux détenteurs du pouvoir, ces derniers ont élargi ses prérogatives et en ont fait un bradeur du secteur économique et une autorité diplomatique parallèle sans qu’aucune voix officielle s’offusque de cette usurpation de prérogatives.
Plus grave encore, les décisions, décrets et autres nouveaux dispositifs se prennent et s’effacent tout aussi vite, selon les humeurs du patron des patrons qui ne cache plus les objectifs de son organisation : privatiser toutes les entreprises nationales et ne plus hésiter à amener des entreprises étrangères à qui on n’exigera pas systématiquement la règle du 51/49%. Le terrain est donc ainsi balisé, bien préparé, à un François Hollande qui pourrait venir dans une Algérie «revigorée» et dont le chef d’Etat est plus fort (moralement et certainement pas physiquement) qu’il ne paraissait lors de la dernière visite de Hollande à Alger.
Il y aura très probablement deux temps lors de cette visite, deux types de sujets à l’examen : l’un affiché officiellement (à quelques jours de la visite ou lors de celle-ci) et d’autres sujets, ceuxlà non déclarés, et qui pourraient constituer le point nodal de cette énigmatique rencontre. Les sujets qui seront rendus publics sont naturellement ceux liés aux projets économiques. Sur ce plan, lors de la visite à Alger et Annaba le 12 mai dernier du ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius (la 6e depuis son installation), le chef de la diplomatie française n’a pas caché son bonheur de voir que le partenariat d’exception engagé avec l’Algérie, lors de la visite de Hollande en 2012, ne cesse de porter ses fruits.
Cela va de soi, est-on tenté de dire pour l’industrie française avec le projet Asthom à Annaba et celui de Renault à l’Ouest. Mais il fallait plus à la France, et elle l’a obtenu. Sitôt le Premier ministre reparti, l’on a vu des commandes massives de l’Etat pour équiper ses institutions de véhicules de cette marque dont le taux d’intégration très faible pour ne pas dire insignifiant et les prix très élevés questionnent sur l’intérêt d’un tel projet pour notre pays.
Les concessions faites sur ce projet par l’Algérie sont si importantes qu’on murmure que Hollande envisage gaiement de faire une virée sur le site de cette marque sauvée par nos décideurs. Sur le reste des projets économiques, les affaires vont bon train et les va-et-vient incessants de ministres français et les points d’étapes qui ont déjà eu lieu (le dernier le 12 mai) du Comité mixte économique francoalgérien (Comefa) mis en place le 28 mai 2013 veillent au grain du côté français, notamment pour arracher encore des contrats de co-localisation, l’heure étant à l’ouverture tous azimuts, notamment en direction de la France. Là sont les points économiques connus.
Ceux qui le sont moins sont liés au secteur énergétique et notamment au gaz de schiste. Si la contestation par la population du Sud s’est quelque peu amoindrie, même si des associations continuent malgré tout à s’opposer à cette exploitation, les deux pays poursuivent leurs négociations en toute discrétion et il semble même que Total, forte de contrats déjà signés avec notre pays mais qui, officiellement, le nie, évoque actuellement des contrats gaziers en n’ayant pas recours à cette appellation mais dont l’objet est toujours l’exploitation des gaz dans le sous-sol, par fracturation hydraulique.
Rappelons que lors de sa dernière visite à Alger, Laurent Fabius annonçait : «Dans la région sud, nous travaillons sur beaucoup de projets et ces projets nous veillons à ce qu’ils puissent se concrétiser sur l’ensemble du territoire algérien.» Hollande évoquera, naturellement en toute discrétion, le gaz de schiste, quelle que soit sa nouvelle appellation. Le terrain est, là aussi, préparé. Outre les aspects économiques, Hollande fera ce qu’il est, pour une fois, attendu de lui, à savoir évoquer le haut degré atteint dans les relations bilatérales et «l’excellent travail de l’Algérie» dans la résolution en cours du conflit malien.
Là n’est, cependant, pas l’essentiel. La visite de Hollande, dont la date a certainement été fixée depuis de longue date et les travaux de balisage identifiés et programmés en commun, permettra au Président français de se voir exposer le programme politique qu’ont fixé les décideurs pour les mois à venir. Ce sera là le non-dit et le non-affiché de la visite. Comment envisagent les décideurs la suite de l’embrigadement opéré ? Quel contenu à la nouvelle Constitution et par quel moyen sera-t-elle approuvée ? Quelle forme prendra la nouvelle configuration politique opérée et comment envisage-t-on l’éventualité d’une vacance de pouvoir précipitée ? De tout cela il sera sûrement question avec Bouteflika, ses clans autour, mais pas seulement.
Les véritables décideurs, dont nul ne connaît l’identité précise, seront de la partie. Mais il ne faut pas être naïf. Hollande ne vient pas seulement entendre des interlocuteurs. Il vient aussi montrer le chemin pour sauver un pouvoir qui a fait montre de panique certaine, lui qui a mis des verrous à tous les échelons.
Khedidja Baba-Ahmed
In Le Soir
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