Tweet
GenèveAncien conseiller de Barack Obama, Ezekiel Emanuel veut vivre tant que l’existence a un sens.
Il espère mourir à 75 ans. Car au-delà, la vie n’apporte plus grand-chose de bon. Ezekiel Emanuel, médecin et éthicien, exposera mardi soir les raisons de son choix lors d’une conférence à l’Université de Genève*. Un choix personnel, mais qui représente un peu plus que cela, venant de l’ancien conseiller du président Obama en matière de santé.
Joint lundi par téléphone, Ezekiel Emanuel revient sur son article «Why I hope to Die at 75», publié sur son site en octobre 2014. L’argument principal est le suivant: l’espérance de vie a beau s’allonger dans nos sociétés, la qualité de vie, elle, décline. La maladie d’Alzheimer touche cinq millions d’Américains de plus de 65 ans et un tiers des plus de 85 ans. Même sans démence, nos fonctions mentales se détériorent en vieillissant, les idées originales se font rares, la créativité s’étiole. Malgré de nombreuses exceptions et même si retenir l’âge de 75 ans est arbitraire - il l’admet - le déclin est inéluctable.
Laisser faire la nature
L’auteur, qui est dans sa 58e année et jouit d’une excellente santé, estime qu’à 75 ans, il aura vécu une vie complète. Il aura aimé, été aimé et mené ses projets à bien. Le temps sera venu de prendre congé des siens, afin de ne pas représenter un fardeau pour eux et ne pas leur laisser le souvenir de quelqu’un de lent, de sourd, qui oublie tout et se répète sans arrêt. «Mourir à 75 ans ne sera pas une tragédie», dit-il, tout en précisant qu’il ne souhaite recourir ni au suicide ni à l’euthanasie, à laquelle il s’oppose.
Nuance, donc: Ezekiel Emanuel aimerait mourir à 75 ans, mais il consentira à prolonger son existence. Mais alors, comment mourir plus tôt? En laissant faire la nature. L’âge venu, il ne prendra plus de médicaments, ne se rendra plus chez le médecin et arrêtera les dépistages (dès 65 ans). «Je mourrai de la première chose qui m’emportera.»
Certes, mais si l’infarctus ou l’attaque cérébrale qu’il n’aura rien fait pour prévenir surviennent et, sans le tuer, lui laissent de lourdes séquelles? Ne vieillira-t-il pas dans des conditions bien plus défavorables que s’il avait pris soin de sa santé? «C’est un risque, mais prendre soin de sa santé n’est pas une garantie», répond-il.
La lecture de l’article laisse le sentiment étrange qu’une fois que l’on a cessé d’être productif, inventif et en bonne santé, la vie ne mérite plus d’être vécue. L’auteur ne dément pas vraiment. «Pour moi, il y a trois parties dans la vie: le travail, les relations et ce que j’appelle le jeu, le divertissement, les voyages. Une vie qui a du sens repose sur un travail et des relations qui ont du sens. Avec l’âge, la part du travail diminue. Et pour entretenir des relations, vous avez besoin d’une certaine santé. Lorsque tout cela décline, la vie devient vide de sens. Une existence dominée par le seul jeu n’a pas de sens.»
Changera-t-il d’avis?
La valeur de la vie se mesure-t-elle ainsi ? L’auteur précise: «Au fond, la question fondamentale est de se demander ce qui fait une vie bonne. J’appelle les gens à se poser ce genre de questions, à se demander ce qui a du sens. Regardez ces banquiers suisses venus aux Etats-Unis convaincre des gens de frauder le fisc. Quel est le sens de ce genre de carrière? Ma position force les gens à se demander ce que sont un travail et une vie qui ont du sens.»
Ezekiel Emanuel, qui a conseillé le président américain Obama sur les questions de santé, prône-t-il une politique à large échelle? Si l’éthicien s’en défend, assurant qu’il livre un avis personnel, il pense que nos sociétés de papy boomers n’ont pas fini de discuter de ces questions.
Au-delà du choix de chacun, il dégage quelques pistes de réflexion. Il faudrait, selon lui, consacrer plus de ressources à la santé des enfants, dont le taux de mortalité reste «terrible» aux Etats-Unis, prévenir le suicide, développer les soins palliatifs et s’intéresser à tous ceux qui n’atteignent pas les 75 ans, relevant que l’espérance de vie des hommes noirs atteint 72,1 ans, «ce qui est affreux». Le médecin appelle aussi à développer la recherche sur Alzheimer et les maladies du grand âge.
Que se passera-t-il en 2032 lorsque notre interlocuteur aura 75 ans? «Mes trois filles et mes amis continueront d’essayer de me convaincre que j’ai tort. Je me réserve le droit de changer d’avis et de produire une défense vigoureuse et raisonnée d’une vie aussi longue que possible. Cela signifiera, après tout, que je suis resté créatif.»
Tribune de Genève
Il espère mourir à 75 ans. Car au-delà, la vie n’apporte plus grand-chose de bon. Ezekiel Emanuel, médecin et éthicien, exposera mardi soir les raisons de son choix lors d’une conférence à l’Université de Genève*. Un choix personnel, mais qui représente un peu plus que cela, venant de l’ancien conseiller du président Obama en matière de santé.
Joint lundi par téléphone, Ezekiel Emanuel revient sur son article «Why I hope to Die at 75», publié sur son site en octobre 2014. L’argument principal est le suivant: l’espérance de vie a beau s’allonger dans nos sociétés, la qualité de vie, elle, décline. La maladie d’Alzheimer touche cinq millions d’Américains de plus de 65 ans et un tiers des plus de 85 ans. Même sans démence, nos fonctions mentales se détériorent en vieillissant, les idées originales se font rares, la créativité s’étiole. Malgré de nombreuses exceptions et même si retenir l’âge de 75 ans est arbitraire - il l’admet - le déclin est inéluctable.
Laisser faire la nature
L’auteur, qui est dans sa 58e année et jouit d’une excellente santé, estime qu’à 75 ans, il aura vécu une vie complète. Il aura aimé, été aimé et mené ses projets à bien. Le temps sera venu de prendre congé des siens, afin de ne pas représenter un fardeau pour eux et ne pas leur laisser le souvenir de quelqu’un de lent, de sourd, qui oublie tout et se répète sans arrêt. «Mourir à 75 ans ne sera pas une tragédie», dit-il, tout en précisant qu’il ne souhaite recourir ni au suicide ni à l’euthanasie, à laquelle il s’oppose.
Nuance, donc: Ezekiel Emanuel aimerait mourir à 75 ans, mais il consentira à prolonger son existence. Mais alors, comment mourir plus tôt? En laissant faire la nature. L’âge venu, il ne prendra plus de médicaments, ne se rendra plus chez le médecin et arrêtera les dépistages (dès 65 ans). «Je mourrai de la première chose qui m’emportera.»
Certes, mais si l’infarctus ou l’attaque cérébrale qu’il n’aura rien fait pour prévenir surviennent et, sans le tuer, lui laissent de lourdes séquelles? Ne vieillira-t-il pas dans des conditions bien plus défavorables que s’il avait pris soin de sa santé? «C’est un risque, mais prendre soin de sa santé n’est pas une garantie», répond-il.
La lecture de l’article laisse le sentiment étrange qu’une fois que l’on a cessé d’être productif, inventif et en bonne santé, la vie ne mérite plus d’être vécue. L’auteur ne dément pas vraiment. «Pour moi, il y a trois parties dans la vie: le travail, les relations et ce que j’appelle le jeu, le divertissement, les voyages. Une vie qui a du sens repose sur un travail et des relations qui ont du sens. Avec l’âge, la part du travail diminue. Et pour entretenir des relations, vous avez besoin d’une certaine santé. Lorsque tout cela décline, la vie devient vide de sens. Une existence dominée par le seul jeu n’a pas de sens.»
Changera-t-il d’avis?
La valeur de la vie se mesure-t-elle ainsi ? L’auteur précise: «Au fond, la question fondamentale est de se demander ce qui fait une vie bonne. J’appelle les gens à se poser ce genre de questions, à se demander ce qui a du sens. Regardez ces banquiers suisses venus aux Etats-Unis convaincre des gens de frauder le fisc. Quel est le sens de ce genre de carrière? Ma position force les gens à se demander ce que sont un travail et une vie qui ont du sens.»
Ezekiel Emanuel, qui a conseillé le président américain Obama sur les questions de santé, prône-t-il une politique à large échelle? Si l’éthicien s’en défend, assurant qu’il livre un avis personnel, il pense que nos sociétés de papy boomers n’ont pas fini de discuter de ces questions.
Au-delà du choix de chacun, il dégage quelques pistes de réflexion. Il faudrait, selon lui, consacrer plus de ressources à la santé des enfants, dont le taux de mortalité reste «terrible» aux Etats-Unis, prévenir le suicide, développer les soins palliatifs et s’intéresser à tous ceux qui n’atteignent pas les 75 ans, relevant que l’espérance de vie des hommes noirs atteint 72,1 ans, «ce qui est affreux». Le médecin appelle aussi à développer la recherche sur Alzheimer et les maladies du grand âge.
Que se passera-t-il en 2032 lorsque notre interlocuteur aura 75 ans? «Mes trois filles et mes amis continueront d’essayer de me convaincre que j’ai tort. Je me réserve le droit de changer d’avis et de produire une défense vigoureuse et raisonnée d’une vie aussi longue que possible. Cela signifiera, après tout, que je suis resté créatif.»
Tribune de Genève
Commentaire