Pourquoi le consensus est si non-consensuel
L’idée du consensus politique est si ancienne, aussi veille que l’humanité, qu’il est stupéfiant qu’elle suscite autant d’antagonisme et de révulsion des acteurs politiques en Algérie, pays qui a une vieille tradition de tadjmaat. Il semble particulièrement intéressant d’essayer de comprendre pourquoi cette idée du consensus politique fait si peur, et plus particulièrement dans le contexte particulier que vit ce pays.
La gouvernance dans l’histoire fut principalement marquée par le poids du féodalisme s’appuyant tantôt sur une caste de clientèle dite aristocratique ou tribale, une caste de militaires et la bénédiction du spirituel. Cette tripartite du pouvoir a dominé pendant des millénaires les modèles de gouvernance, avant que ses outrances, ses violences amènent l’élite intellectuelle à penser à d’autres schémas de gouvernance, plus consensuels, plus participatifs. L’Algérie n’est pas en reste de cette tripartite qui pendant l’histoire a vu la prépondérance de l’un ou l’autre de ces composants, selon les régions, les tribus, les vicissitudes des oppositions et des alliances. En effet, les vieilles traditions féodales et militaristes, que l’on peut observer depuis les premiers chefs numides, ont au fil du temps laissé la place à l’arrivée des grandes religions monothéistes, des courants religieux, souvent prétextes de recompositions d’alliances féodales, qui ont rythmé des siècles de royaumes, tribus, confédérations de tribus, sous la menace et la domination d’enjeux géopolitiques externes.
L’Algérie de 2015 a-t-elle fondamentalement changé. Il semble acquis que la construction de l’état nation soit d’abord le résultat d’une prise de conscience de générations et générations d’algériens à la nécessité de s’émanciper de la domination extérieur. Cette contribution modeste ne peut prétendre décortiquer le mouvement national, l’émergence de l’état nation, mais succinctement étioler le rôle avant-gardiste du PPA, puis du MTLD, dans la construction moderne d’un subtil équilibre politique traduisant la diversité sociétale algérienne, avec comme principal objectif de fédérer pour l’émancipation de la nation algérienne. Un équilibre aussi délicat que fragile, tiraillé entre de vieilles ou nouvelles traditions féodales ou spirituelles, une diversité sociale et politique marquante, des ambitions politiques diverses, et la volonté d’une génération marquée par la violence du 8 mai 45, d’y répondre d’une manière aussi définitive que radicale, quel qu’en soit le prix. Que peut valoir les équilibres dans des contextes aussi cruciaux que radicaux, qui a permis aux algériens d’entreprendre une des aventures les plus extraordinaires et périlleuse de son histoire, qui nous a permis d’arracher par le sang et par une glorieuse révolution et le sacrifice incommensurable d’une génération notre indépendance.
Le rêve de cette génération devenait réalité, une réalité aussi attendue qu’inattendue, qui a précipité une génération dans l’idée que tout était possible, que la rupture du subtile équilibre politique qui a amené à l’action armée, l’action militaire, malgré les tentatives de certaine jeunes ambitions politiques de donner une nouvelle couverture politique, un nouvel équilibre politique, pour une révolution guidée par l’enjeux de la victoire, quel qu’en soit le prix, n’a jamais permis à cet équilibre politique de refléter un large consensus entre les algériens, mais un subtil consensus entre conclaves, conciliabules, chapelles, individualités, alliances, pour l’indépendance de l’Algérie. Si bien que l’indépendance du pays, n’a pu engendrer l’émanation d’un large consensus politique entre certains acteurs, avec l’échec retentissant du congrès de Tripoli, mais la prédominance d’une gouvernance militaire, pour établir un ordre que ne pouvait plus produire les schémas de gouvernance traditionnels, tant ils ont été submergés et ravagés par 132 ans de colonialisme et de négation de la tradition algérienne, un schisme inavouable de l’été 54, et 7 ans de guerre féroce et miraculeuse, et des chefs de guerres qui voulaient régner en maitres.
L’Algérie depuis a été incapable de construire un schéma de gouvernance consensuel et moderne, a été incapable de remplacer la tripartite traditionnelle, par une vision moderne de la gouvernance, capable de construire des consensus politiques, fondés sur un apport individuel et collectif participatif de la vie de la cité. Si bien que l’idée même du consensus devient choquante pour certains acteurs, dont la mémoire de rose n’a jamais vu mourir un jardinier, ne comprenant pas que le consensus politique, le contrat politique, comme le contrat social, est le fondement de tout projet national. Ils s’interrogent sur le sens du consensus, dans une démocratie de façade, censé incarner pour eux le consensus issu des urnes. Quelle infamie politique, d’oser affirmer aux algériens que la perpétuation des coups de force depuis 1954, puis 1957, puis 1962, puis 1963 et 1965, puis 1979, puis 1988 , puis 1992, puis 1995, puis 1999, puis 2008… a pu produire en 2015 un parlement qui reflète correctement les ambitions des algériens et leur aspirations, leur projets de société et le produit de leur élites politiques et intellectuelles.
La responsabilité de ce pouvoir autiste, menacé par une contestation interne sans pareil, mais aussi, par la menace extérieur féroce, perpétue ses coups de force. L’idée d’un gouvernement d’union national, capable de répondre dans une phase de crise à l’obligation d’unifier ses efforts pour l’intérêt de la consolidation du front intérieur, pour remettre de l’ordre moderne dans la maison Algérie, est étranger aux tenants du pouvoir qui affirment publiquement qu’ils ne le cèderont pas facilement. Or, c’est quoi ce pouvoir qui affirme qu’il ne cédera pas facilement le flambeau ? le pouvoir issu du coup de force de 1962, celui issu du coup de force de 1992, celui représenté par l’aristocratie révolutionnaire d’une autre génération, et ses descendants, d’intérêts financiers et économiques accumulés dans les jardins du pouvoir, et qui prend conscience que l’amenuisement de la rente, nécessitant des investissements redoublés pour se tailler de bonnes parts dans le gâteau présent et avenir que représente le marché national. Pourquoi le consensus autour d’une feuille blanche, que chacun a la latitude d’initier à remplir, fait peur autant à ce pouvoir là et à ses relais, au sein des autres pouvoirs, notamment dans certains chapelles politiques qui y ont gouté et qui veulent y revenir coute que coute par une autre infraction de l’histoire, et certains agendas intramuros. L’idée que le consensus se reflète dans les 40 millions de voies individuelles, et non pas sur des projets que des conclaves, des conciliabules, des conglomérats, des fronts, peuvent produire est le summum de la grossièreté politique. A ce minimum syndical qui permet l’émergence de règles et pratiques permettant l’expression de la souveraineté populaire, sur le produit de son élite, le pouvoir veut substituer une démonstration de force de ses relais pour la construction d’un pôle sous l’idéologie « pouvoir », « révolutionnaire », « nationaliste », qu’ils veulent indument incarner, face à des pôles qui seront indument nommés aussi « démocrates », et un pôle tout aussi indument nommé « islamiste ». Des lignes de démarcation aussi fictive qu’anti constitutionnelles, car personne n’a le monopole de la révolution, du nationalisme, de l’identité, de la langue ou de la religion. Voilà à quoi est réduite la reconfiguration d’une classe politique, sensée capter l’élite, et qui ne réussira à capter que les ambitions les plus primaires, reflet d’une vie politique algérienne inquiétante.
Il y a dans ce rejet d’un consensus, aussi minimum et syndical soit-il, le symptôme d’une pratique politique, qui ne peut être conçue dans certains esprits autrement que comme des rapports de force de diverses ordres, incapables de mettre en avant l’intérêt national, fondement de tout contrat politique, social et économique.
L’idée du consensus politique est si ancienne, aussi veille que l’humanité, qu’il est stupéfiant qu’elle suscite autant d’antagonisme et de révulsion des acteurs politiques en Algérie, pays qui a une vieille tradition de tadjmaat. Il semble particulièrement intéressant d’essayer de comprendre pourquoi cette idée du consensus politique fait si peur, et plus particulièrement dans le contexte particulier que vit ce pays.
La gouvernance dans l’histoire fut principalement marquée par le poids du féodalisme s’appuyant tantôt sur une caste de clientèle dite aristocratique ou tribale, une caste de militaires et la bénédiction du spirituel. Cette tripartite du pouvoir a dominé pendant des millénaires les modèles de gouvernance, avant que ses outrances, ses violences amènent l’élite intellectuelle à penser à d’autres schémas de gouvernance, plus consensuels, plus participatifs. L’Algérie n’est pas en reste de cette tripartite qui pendant l’histoire a vu la prépondérance de l’un ou l’autre de ces composants, selon les régions, les tribus, les vicissitudes des oppositions et des alliances. En effet, les vieilles traditions féodales et militaristes, que l’on peut observer depuis les premiers chefs numides, ont au fil du temps laissé la place à l’arrivée des grandes religions monothéistes, des courants religieux, souvent prétextes de recompositions d’alliances féodales, qui ont rythmé des siècles de royaumes, tribus, confédérations de tribus, sous la menace et la domination d’enjeux géopolitiques externes.
L’Algérie de 2015 a-t-elle fondamentalement changé. Il semble acquis que la construction de l’état nation soit d’abord le résultat d’une prise de conscience de générations et générations d’algériens à la nécessité de s’émanciper de la domination extérieur. Cette contribution modeste ne peut prétendre décortiquer le mouvement national, l’émergence de l’état nation, mais succinctement étioler le rôle avant-gardiste du PPA, puis du MTLD, dans la construction moderne d’un subtil équilibre politique traduisant la diversité sociétale algérienne, avec comme principal objectif de fédérer pour l’émancipation de la nation algérienne. Un équilibre aussi délicat que fragile, tiraillé entre de vieilles ou nouvelles traditions féodales ou spirituelles, une diversité sociale et politique marquante, des ambitions politiques diverses, et la volonté d’une génération marquée par la violence du 8 mai 45, d’y répondre d’une manière aussi définitive que radicale, quel qu’en soit le prix. Que peut valoir les équilibres dans des contextes aussi cruciaux que radicaux, qui a permis aux algériens d’entreprendre une des aventures les plus extraordinaires et périlleuse de son histoire, qui nous a permis d’arracher par le sang et par une glorieuse révolution et le sacrifice incommensurable d’une génération notre indépendance.
Le rêve de cette génération devenait réalité, une réalité aussi attendue qu’inattendue, qui a précipité une génération dans l’idée que tout était possible, que la rupture du subtile équilibre politique qui a amené à l’action armée, l’action militaire, malgré les tentatives de certaine jeunes ambitions politiques de donner une nouvelle couverture politique, un nouvel équilibre politique, pour une révolution guidée par l’enjeux de la victoire, quel qu’en soit le prix, n’a jamais permis à cet équilibre politique de refléter un large consensus entre les algériens, mais un subtil consensus entre conclaves, conciliabules, chapelles, individualités, alliances, pour l’indépendance de l’Algérie. Si bien que l’indépendance du pays, n’a pu engendrer l’émanation d’un large consensus politique entre certains acteurs, avec l’échec retentissant du congrès de Tripoli, mais la prédominance d’une gouvernance militaire, pour établir un ordre que ne pouvait plus produire les schémas de gouvernance traditionnels, tant ils ont été submergés et ravagés par 132 ans de colonialisme et de négation de la tradition algérienne, un schisme inavouable de l’été 54, et 7 ans de guerre féroce et miraculeuse, et des chefs de guerres qui voulaient régner en maitres.
L’Algérie depuis a été incapable de construire un schéma de gouvernance consensuel et moderne, a été incapable de remplacer la tripartite traditionnelle, par une vision moderne de la gouvernance, capable de construire des consensus politiques, fondés sur un apport individuel et collectif participatif de la vie de la cité. Si bien que l’idée même du consensus devient choquante pour certains acteurs, dont la mémoire de rose n’a jamais vu mourir un jardinier, ne comprenant pas que le consensus politique, le contrat politique, comme le contrat social, est le fondement de tout projet national. Ils s’interrogent sur le sens du consensus, dans une démocratie de façade, censé incarner pour eux le consensus issu des urnes. Quelle infamie politique, d’oser affirmer aux algériens que la perpétuation des coups de force depuis 1954, puis 1957, puis 1962, puis 1963 et 1965, puis 1979, puis 1988 , puis 1992, puis 1995, puis 1999, puis 2008… a pu produire en 2015 un parlement qui reflète correctement les ambitions des algériens et leur aspirations, leur projets de société et le produit de leur élites politiques et intellectuelles.
La responsabilité de ce pouvoir autiste, menacé par une contestation interne sans pareil, mais aussi, par la menace extérieur féroce, perpétue ses coups de force. L’idée d’un gouvernement d’union national, capable de répondre dans une phase de crise à l’obligation d’unifier ses efforts pour l’intérêt de la consolidation du front intérieur, pour remettre de l’ordre moderne dans la maison Algérie, est étranger aux tenants du pouvoir qui affirment publiquement qu’ils ne le cèderont pas facilement. Or, c’est quoi ce pouvoir qui affirme qu’il ne cédera pas facilement le flambeau ? le pouvoir issu du coup de force de 1962, celui issu du coup de force de 1992, celui représenté par l’aristocratie révolutionnaire d’une autre génération, et ses descendants, d’intérêts financiers et économiques accumulés dans les jardins du pouvoir, et qui prend conscience que l’amenuisement de la rente, nécessitant des investissements redoublés pour se tailler de bonnes parts dans le gâteau présent et avenir que représente le marché national. Pourquoi le consensus autour d’une feuille blanche, que chacun a la latitude d’initier à remplir, fait peur autant à ce pouvoir là et à ses relais, au sein des autres pouvoirs, notamment dans certains chapelles politiques qui y ont gouté et qui veulent y revenir coute que coute par une autre infraction de l’histoire, et certains agendas intramuros. L’idée que le consensus se reflète dans les 40 millions de voies individuelles, et non pas sur des projets que des conclaves, des conciliabules, des conglomérats, des fronts, peuvent produire est le summum de la grossièreté politique. A ce minimum syndical qui permet l’émergence de règles et pratiques permettant l’expression de la souveraineté populaire, sur le produit de son élite, le pouvoir veut substituer une démonstration de force de ses relais pour la construction d’un pôle sous l’idéologie « pouvoir », « révolutionnaire », « nationaliste », qu’ils veulent indument incarner, face à des pôles qui seront indument nommés aussi « démocrates », et un pôle tout aussi indument nommé « islamiste ». Des lignes de démarcation aussi fictive qu’anti constitutionnelles, car personne n’a le monopole de la révolution, du nationalisme, de l’identité, de la langue ou de la religion. Voilà à quoi est réduite la reconfiguration d’une classe politique, sensée capter l’élite, et qui ne réussira à capter que les ambitions les plus primaires, reflet d’une vie politique algérienne inquiétante.
Il y a dans ce rejet d’un consensus, aussi minimum et syndical soit-il, le symptôme d’une pratique politique, qui ne peut être conçue dans certains esprits autrement que comme des rapports de force de diverses ordres, incapables de mettre en avant l’intérêt national, fondement de tout contrat politique, social et économique.
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