Depuis la fin mai, les milices chiites et les forces gouvernementales irakiennes s'amassent autour de Ramadi, la ville tombée entre les mains de l’État islamique au début du mois. Une campagne aussi rondement menée sur un plan publicitaire que piètrement organisée d'un point de vue stratégique.
Selon des responsables militaires américains, cela faisait des semaines que les djihadistes préméditaient leur conquête de Ramadi, en infiltrant des combattants dans la ville afin d'encercler des bâtiments gouvernementaux et d'assiéger ainsi les forces irakiennes. Ils allaient aussi s'emparer de positions stratégiques à l'aide de plusieurs dizaines de blindés et de bulldozers volés à l'armée et bardés d'explosifs –dix d'entre eux suffisant à recréer une explosion comparable à celle de l'attentat d'Oklahoma City en 1995. Croulant sous les blessés et les morts, les forces irakiennes démoralisées et épuisées reçurent l'ordre de battre en retraite et laissèrent sur place un grand nombre de véhicules, de tanks et autres éléments d'artillerie.
Du côté des politiques américains, les critiques n'ont pas tardé à fuser pour accuser les Irakiens d'avoir tout simplement abandonné la ville aux mains des djihadistes. L'armée irakienne n'a pas été «forcée hors de Ramadi» a ainsi déclaré Martin Dempsey, chef d'état-major des armées des États-Unis, lors d'un sommet de l'Otan à Bruxelles, mi-mai. Pour Ashton Carter, secrétaire de la Défense, les Irakiens sont même tout simplement «partis de Ramadi», tant il leur manque la «volonté de combattre». Si la Maison Blanche s'est précipitée pour modérer de tels propos, il ne fait aucun doute que beaucoup partagent l'opinion de Carter au sein du Pentagone.
Autant de commentaires qui soulèvent l'une des plus grosses questions relative non seulement à la prise de Ramadi, mais, plus généralement, à toute la contre-offensive lancée par les forces irakiennes contre l’État islamique: Bagdad est-elle en mesure de gagner cette guerre si ses généraux s'avèrent continuellement dépassés, d'un point de vue technique comme tactique, par leurs homologues du groupe djihadiste?
Cocktails de défaillances
Généraux irakiens dépassés, d'un point de vue technique comme tactique
Comme toujours, la victoire et la défaite sont des termes complexes à définir en temps de guerre. En ce qui concerne Ramadi, la chute de la ville ne peut être imputée qu'à un seul défaut de commandement. Ici, l'armée et la police irakiennes se battaient quasiment seules et quasi sans relâche depuis dix-huit mois et quasiment sans le moindre soutien de Bagdad, si l’on en croit Michael Knights, chercheur au sein du Washington Institute et spécialiste de l'armée irakienne. À Ramadi, les Irakiens n'avaient «aucun endroit sûr où se replier, aucun repos, aucune récupération et aucune échappatoire possibles».
Pour autant, il est aussi assez évident que la lutte contre l’État islamique n'est pas aidée par des commandants de seconde zone, incapables de prédire les actions de leurs ennemis ou manquant de compétences militaires pour être en mesure d'y réagir de manière adéquate.
En juin 2014, deux divisions irakiennes allaient être acheminées dans les environs de Mossoul, après que leurs commandants avaient abandonné leurs unités face à l'avancée des djihadistes et, pendant près d'un an, les bombardements de l'armée irakienne sur Falloujah ont été aussi incohérents qu'inefficaces pour en déloger l’État islamique.
Durant toute l'année dernière, un grand nombre d'avant-postes de l'armée irakienne ont ainsi été systématiquement débordés, selon un phénomène ressemblant fort à un cocktail de défaillances, que ce soit en termes de soutien, de leadership, ou même de ravitaillement en armes et en munitions.
L'une des causes du déséquilibre est à chercher du côté des compétences militaires et de la motivation à combattre: les forces de sécurité irakiennes déployées sur le terrain doivent faire face à des officiers aguerris, formés sous Saddam Hussein et qui, ces douze dernières années, n'ont cessé d'avancer leurs pions dans la province d'Al-Anbar et de se mesurer à la fois aux Américains et aux forces irakiennes à commandement chiite.
Les forces de sécurité irakiennes déployées sur le terrain doivent faire face à des officiers aguerris
D'anciens officiers qui ont eu les coudées relativement franches au sein de l’État islamique, avec un Abou Bakr al-Baghdadi déléguant ses responsabilités aux commandants locaux, selon ce qu'explique Ahmed Ali, chercheur au sein d'Education for Peace in Iraq Center, une ONG installée à Washington et développant des programmes d'assistance pour la jeunesse irakienne. En ayant grandi au cœur de l'Irak sunnite, ces chefs connaissent parfaitement le terrain «et leurs compétences en matière de renseignement sont en prise directe avec les directives baathistes. Très précises et très personnelles», ajoute Ali.
Toujours selon Ali, les commandants de l’État islamique connaissent aussi très bien les tribus de la province et leurs structures sociales, ce qui permet au groupe de savoir quel clan est susceptible de le rejoindre et lequel devra au contraire être combattu.
Expertise militaire sunnite
Ces avantages dont peut se targuer l’État islamique relèvent d'une conséquence involontaire du démantèlement de l'armée irakienne, décision prise par les États-Unis en 2003 à la suite de l'effondrement du régime de Saddam Hussein. Fondamentalement, c'est une génération d'expertise militaire sunnite qui s'est retrouvée livrée à elle-même et que l'insurrection a eu tout loisir de récupérer.
La situation s'est encore aggravée ces dernières années lorsque le Premier ministre irakien de l'époque, Nouri al-Maliki, et son gouvernement chiite, ont purgé l'état-major des forces de sécurité irakiennes de leurs commandants sunnites les plus expérimentés pour les remplacer par des officiers et des généraux chiites bien moins compétents.
Forces de sécurité irakiennes purgées des commandants sunnites les plus expérimentés
Pendant des années, les agissements de l'armée et de la police chiite de Maliki ont été ceux d'une milice confessionnelle, soumettant le leadership sunnite à une répression brutale et obéissant aux ordres directs de Maliki, qui allait donner des galons à ses fidèles et étayer de son bureau l'ensemble de l'appareil de décision militaire. Bon nombre de sunnites, exaspérés par un tel traitement, se sont ensuite progressivement rapprochés de milices tribales et de groupes djihadistes, une coalition qui allait donner naissance à l’État islamique.
Selon des responsables militaires américains, cela faisait des semaines que les djihadistes préméditaient leur conquête de Ramadi, en infiltrant des combattants dans la ville afin d'encercler des bâtiments gouvernementaux et d'assiéger ainsi les forces irakiennes. Ils allaient aussi s'emparer de positions stratégiques à l'aide de plusieurs dizaines de blindés et de bulldozers volés à l'armée et bardés d'explosifs –dix d'entre eux suffisant à recréer une explosion comparable à celle de l'attentat d'Oklahoma City en 1995. Croulant sous les blessés et les morts, les forces irakiennes démoralisées et épuisées reçurent l'ordre de battre en retraite et laissèrent sur place un grand nombre de véhicules, de tanks et autres éléments d'artillerie.
Du côté des politiques américains, les critiques n'ont pas tardé à fuser pour accuser les Irakiens d'avoir tout simplement abandonné la ville aux mains des djihadistes. L'armée irakienne n'a pas été «forcée hors de Ramadi» a ainsi déclaré Martin Dempsey, chef d'état-major des armées des États-Unis, lors d'un sommet de l'Otan à Bruxelles, mi-mai. Pour Ashton Carter, secrétaire de la Défense, les Irakiens sont même tout simplement «partis de Ramadi», tant il leur manque la «volonté de combattre». Si la Maison Blanche s'est précipitée pour modérer de tels propos, il ne fait aucun doute que beaucoup partagent l'opinion de Carter au sein du Pentagone.
Autant de commentaires qui soulèvent l'une des plus grosses questions relative non seulement à la prise de Ramadi, mais, plus généralement, à toute la contre-offensive lancée par les forces irakiennes contre l’État islamique: Bagdad est-elle en mesure de gagner cette guerre si ses généraux s'avèrent continuellement dépassés, d'un point de vue technique comme tactique, par leurs homologues du groupe djihadiste?
Cocktails de défaillances
Généraux irakiens dépassés, d'un point de vue technique comme tactique
Comme toujours, la victoire et la défaite sont des termes complexes à définir en temps de guerre. En ce qui concerne Ramadi, la chute de la ville ne peut être imputée qu'à un seul défaut de commandement. Ici, l'armée et la police irakiennes se battaient quasiment seules et quasi sans relâche depuis dix-huit mois et quasiment sans le moindre soutien de Bagdad, si l’on en croit Michael Knights, chercheur au sein du Washington Institute et spécialiste de l'armée irakienne. À Ramadi, les Irakiens n'avaient «aucun endroit sûr où se replier, aucun repos, aucune récupération et aucune échappatoire possibles».
Pour autant, il est aussi assez évident que la lutte contre l’État islamique n'est pas aidée par des commandants de seconde zone, incapables de prédire les actions de leurs ennemis ou manquant de compétences militaires pour être en mesure d'y réagir de manière adéquate.
En juin 2014, deux divisions irakiennes allaient être acheminées dans les environs de Mossoul, après que leurs commandants avaient abandonné leurs unités face à l'avancée des djihadistes et, pendant près d'un an, les bombardements de l'armée irakienne sur Falloujah ont été aussi incohérents qu'inefficaces pour en déloger l’État islamique.
Durant toute l'année dernière, un grand nombre d'avant-postes de l'armée irakienne ont ainsi été systématiquement débordés, selon un phénomène ressemblant fort à un cocktail de défaillances, que ce soit en termes de soutien, de leadership, ou même de ravitaillement en armes et en munitions.
L'une des causes du déséquilibre est à chercher du côté des compétences militaires et de la motivation à combattre: les forces de sécurité irakiennes déployées sur le terrain doivent faire face à des officiers aguerris, formés sous Saddam Hussein et qui, ces douze dernières années, n'ont cessé d'avancer leurs pions dans la province d'Al-Anbar et de se mesurer à la fois aux Américains et aux forces irakiennes à commandement chiite.
Les forces de sécurité irakiennes déployées sur le terrain doivent faire face à des officiers aguerris
D'anciens officiers qui ont eu les coudées relativement franches au sein de l’État islamique, avec un Abou Bakr al-Baghdadi déléguant ses responsabilités aux commandants locaux, selon ce qu'explique Ahmed Ali, chercheur au sein d'Education for Peace in Iraq Center, une ONG installée à Washington et développant des programmes d'assistance pour la jeunesse irakienne. En ayant grandi au cœur de l'Irak sunnite, ces chefs connaissent parfaitement le terrain «et leurs compétences en matière de renseignement sont en prise directe avec les directives baathistes. Très précises et très personnelles», ajoute Ali.
Toujours selon Ali, les commandants de l’État islamique connaissent aussi très bien les tribus de la province et leurs structures sociales, ce qui permet au groupe de savoir quel clan est susceptible de le rejoindre et lequel devra au contraire être combattu.
Expertise militaire sunnite
Ces avantages dont peut se targuer l’État islamique relèvent d'une conséquence involontaire du démantèlement de l'armée irakienne, décision prise par les États-Unis en 2003 à la suite de l'effondrement du régime de Saddam Hussein. Fondamentalement, c'est une génération d'expertise militaire sunnite qui s'est retrouvée livrée à elle-même et que l'insurrection a eu tout loisir de récupérer.
La situation s'est encore aggravée ces dernières années lorsque le Premier ministre irakien de l'époque, Nouri al-Maliki, et son gouvernement chiite, ont purgé l'état-major des forces de sécurité irakiennes de leurs commandants sunnites les plus expérimentés pour les remplacer par des officiers et des généraux chiites bien moins compétents.
Forces de sécurité irakiennes purgées des commandants sunnites les plus expérimentés
Pendant des années, les agissements de l'armée et de la police chiite de Maliki ont été ceux d'une milice confessionnelle, soumettant le leadership sunnite à une répression brutale et obéissant aux ordres directs de Maliki, qui allait donner des galons à ses fidèles et étayer de son bureau l'ensemble de l'appareil de décision militaire. Bon nombre de sunnites, exaspérés par un tel traitement, se sont ensuite progressivement rapprochés de milices tribales et de groupes djihadistes, une coalition qui allait donner naissance à l’État islamique.
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