Entretien avec René Naba
René NABA : "La Syrie et l'Algérie sont les derniers Bastions du Refus"
Entretien de René Naba, journaliste et essayiste d’origine libanaise avec la journaliste Hassina Mechaï (Interview réalisée le 5 mars 2012 pour la chaîne Al Qarra)
Hassina Mechaï : Bonjour à tous. Aujourd’hui nous recevons Monsieur René NABA, journaliste, essayiste, écrivain libanais et surtout très bon analyste du Monde Arabo-musulman. Monsieur Naba, bonjour.
René Naba : Je suis très honoré de figurer sur un plateau qui est celui d’un continent qui m’est très cher : l’Afrique.
H.Mechaï : Nous sommes honorés également de vous recevoir. Nous sommes à un an grosso modo du déclenchement des révolutions arabes. Un an après, quel regard portez-vous sur ces événements et quel bilan en faites-vous ?
R. Naba : J’étais au départ très, très concerné et au final très consterné. On est parti d’un soulèvement populaire libératoire et puis d’un hiver le plus glacial de la décennie. Les Arabes ont réussi à créer, forger un printemps. Il se termine dans une glaciation réfrigérante et consternante par le cours des événements.
H.Mechaï : Vous avez parlé d’une véritable cécité pour expliquer le fait que les pays occidentaux n’ont pas vu venir ces événements. Comment expliquez-vous cette cécité, cet aveuglement ?
R. Naba : Il y a deux raisons majeures : il y a d’abord cette diplomatie parasitaire qui fait qu’au moment en plein soulèvement arabe en Tunisie, au Maroc et en Égypte : il y avait cinquante personnalités de premier plan qui étaient en vacances à titre gracieux auprès des autres Arabes. Et puis, il y a cinq siècles de rôle prescripteur de l’Occident, de domination absolue sur le reste de la planète de sorte qu’ils décrètent. Ils ne perçoivent pas les pulsions du Monde Arabe. Ils les prescrivent : « Toi, tu es démocrate. Toi, tu es terroriste. » selon les intérêts.
H.Mechaï : Donc une espèce de condescendance, aussi, peut-être du paternalisme.
R. Naba : Un péché d’orgueil qui va leur coûter très cher parce qu’on est en phase déjà de relégation de l’Europe en crise systémique (1) et de l’Amérique du Sud. Ce qui fait qu’elle implique ultérieurement la prise en charge par les États Arabes de la répression des révolutions par les pétromonarchies.
H.Mechaï : Pourquoi parlez-vous d’un hiver réfrigérant ? Vous semblez vraiment presque désappointé par la tournure qu’ont prise ces printemps arabes ?
R. Naba : Parce que curieusement toutes les révolutions ont eu lieu sur la rive républicaine et méditerranéenne du Monde Arabe et il y a un destin – Est-ce que c’est le Bon Dieu qui le veut ? - Parce que c’est des pétromonarchies hyper-religieuses, les flammes se sont arrêtées sur le pourtour du golfe pétromonarchique ? Comme si la zone pétrolière n’est pas inflammable !
H.Mechaï : Comme si ces flammes avaient été arrêtées volontairement.
R. Naba : Les Occidentaux ont été pris de cours par les soulèvements d’Égypte. En fait, ils n’auraient pas dû l’être parce qu’entre 2005 et 2010 : il y a eu 5000 grèves-occupations d’usines et Moubarak a eu 14 tentatives d’assassinat, au total 20 coups d’État ou assassinats en trente ans de pouvoir c’est-à-dire un coup de force tous les 18 mois mais on sait la cécité occidentale. Parce qu’ils avaient prescrit qu’il était le meilleur barrage pour la démocratie lui comme Ben Ali. Curieusement, le meilleur barrage contre l’islamisme est allé se réfugier dans le foyer de l’intégrisme. On n’est pas à une contradiction près occidentale. Et donc ils ont repris les rênes.
Et il a fallu absolument briser le cours des événements. On s’est emparé de la Libye.
Objectivement depuis février, d’abord ils prêtaient le flan à une opération. Et à ce moment-là, on s’est engouffré dans la brèche. Et c’est l’OTAN qui a voulu rétablir, faire une ingérence humanitaire, un pacte atlantique. Je vous le dis : il faut prendre les Occidentaux dans leur propre analyse et les renvoyer à leur propre face. Et vous verrez leurs contradictions.
H.Mechaï : Mais vous parlez de la guerre civile libyenne : est-ce qu’elle n’a pas sonné paradoxalement le glas de ce printemps arabe avec l’intervention justement de l’OTAN et le retour d’une certaine realpolitik des grandes puissances occidentales ?
R. Naba : Je vais remettre ça dans une perspective plus large si vous m’autorisez. L’Amérique s’est retirée de l’Irak : 3000 milliards de dettes, épuisée économiquement, sa situation économique reléguée. Par la suite, ça sera la France et l’entrée dans une crise économique systémique (1). On a confié à leurs serviteurs arabes la tâche de faire la police avec la force militaire occidentale. La Libye a été confiée au Qatar. Le Qatar qui a 5000 soldats et 5000 mercenaires commande une coalition de onze pays regroupant la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis. 6000 ogives nucléaires. Le Qatar commande une armée de 6000 bombes atomiques alors qu’il n’a que 5000 soldats ! C’est le nouvel Field-Marshal du monde arabe qu’on n’a jamais vu ! Le Qatar, on l’a chargé de la Libye parce qu’il y a le problème pétrolier et il fallait réhabiliter Sarkozy qui s’était complètement fourvoyé avec Alliot-Marie sur la Tunisie et l’Égypte. Après tout, l’Égypte et la Tunisie c’était les deux pays sud du projet de l’Union pour la Méditerranée. On l’a confié au Qatar qui abrite la base du CENTCOM. C’est-à-dire sur 11000 km² : vous avez 2500 km², le quart du territoire bénéficie d’une extra-territorialité. Ils sont confiés aux États-Unis qui abritent 60 avions chasseurs-bombardiers et 30 000 soldats. C’est dire la marge de manœuvre et les dépendances du Qatar. Donc le Qatar qui abrite la base du CENTCOM va gérer le conflit libyen et Manama-Bahreïn qui abrite le quartier général de la marine américaine : on va lui confier dans deux jours la charge de gérer le conflit syrien. C’est-à-dire les pays qui sont le plus sous tutelle américaine sont chargés de la gestion des révolutions. Les régimes les plus rétrogrades avec l’Arabie Séoudite. À signaler que le Qatar abrite le propriétaire d’El Jazira donc avec toute la force de frappe médiatique. Et Bahreïn va être le siège du nouveau quartier général de la nouvelle chaîne transfrontière rivale du Qatar : Rotana Arab du Prince Walid Ben Talal qui va être inaugurée cette année. Nous aurons donc les deux grandes bases américaines terrestres, aériennes et navales, le Qatar et le Bahreïn, avec deux grands vecteurs transfrontaliers arabes qui sont chargés de gérer la gestion d’un pays comme la Syrie qui a mené quatre guerres contre Israël alors que les autres étaient encore sous protectorat britannique à manger des dattes et du lait de chamelle. C’est dire.
[SUITE CI-DESSOUS]
René NABA : "La Syrie et l'Algérie sont les derniers Bastions du Refus"
Entretien de René Naba, journaliste et essayiste d’origine libanaise avec la journaliste Hassina Mechaï (Interview réalisée le 5 mars 2012 pour la chaîne Al Qarra)
Hassina Mechaï : Bonjour à tous. Aujourd’hui nous recevons Monsieur René NABA, journaliste, essayiste, écrivain libanais et surtout très bon analyste du Monde Arabo-musulman. Monsieur Naba, bonjour.
René Naba : Je suis très honoré de figurer sur un plateau qui est celui d’un continent qui m’est très cher : l’Afrique.
H.Mechaï : Nous sommes honorés également de vous recevoir. Nous sommes à un an grosso modo du déclenchement des révolutions arabes. Un an après, quel regard portez-vous sur ces événements et quel bilan en faites-vous ?
R. Naba : J’étais au départ très, très concerné et au final très consterné. On est parti d’un soulèvement populaire libératoire et puis d’un hiver le plus glacial de la décennie. Les Arabes ont réussi à créer, forger un printemps. Il se termine dans une glaciation réfrigérante et consternante par le cours des événements.
H.Mechaï : Vous avez parlé d’une véritable cécité pour expliquer le fait que les pays occidentaux n’ont pas vu venir ces événements. Comment expliquez-vous cette cécité, cet aveuglement ?
R. Naba : Il y a deux raisons majeures : il y a d’abord cette diplomatie parasitaire qui fait qu’au moment en plein soulèvement arabe en Tunisie, au Maroc et en Égypte : il y avait cinquante personnalités de premier plan qui étaient en vacances à titre gracieux auprès des autres Arabes. Et puis, il y a cinq siècles de rôle prescripteur de l’Occident, de domination absolue sur le reste de la planète de sorte qu’ils décrètent. Ils ne perçoivent pas les pulsions du Monde Arabe. Ils les prescrivent : « Toi, tu es démocrate. Toi, tu es terroriste. » selon les intérêts.
H.Mechaï : Donc une espèce de condescendance, aussi, peut-être du paternalisme.
R. Naba : Un péché d’orgueil qui va leur coûter très cher parce qu’on est en phase déjà de relégation de l’Europe en crise systémique (1) et de l’Amérique du Sud. Ce qui fait qu’elle implique ultérieurement la prise en charge par les États Arabes de la répression des révolutions par les pétromonarchies.
H.Mechaï : Pourquoi parlez-vous d’un hiver réfrigérant ? Vous semblez vraiment presque désappointé par la tournure qu’ont prise ces printemps arabes ?
R. Naba : Parce que curieusement toutes les révolutions ont eu lieu sur la rive républicaine et méditerranéenne du Monde Arabe et il y a un destin – Est-ce que c’est le Bon Dieu qui le veut ? - Parce que c’est des pétromonarchies hyper-religieuses, les flammes se sont arrêtées sur le pourtour du golfe pétromonarchique ? Comme si la zone pétrolière n’est pas inflammable !
H.Mechaï : Comme si ces flammes avaient été arrêtées volontairement.
R. Naba : Les Occidentaux ont été pris de cours par les soulèvements d’Égypte. En fait, ils n’auraient pas dû l’être parce qu’entre 2005 et 2010 : il y a eu 5000 grèves-occupations d’usines et Moubarak a eu 14 tentatives d’assassinat, au total 20 coups d’État ou assassinats en trente ans de pouvoir c’est-à-dire un coup de force tous les 18 mois mais on sait la cécité occidentale. Parce qu’ils avaient prescrit qu’il était le meilleur barrage pour la démocratie lui comme Ben Ali. Curieusement, le meilleur barrage contre l’islamisme est allé se réfugier dans le foyer de l’intégrisme. On n’est pas à une contradiction près occidentale. Et donc ils ont repris les rênes.
Et il a fallu absolument briser le cours des événements. On s’est emparé de la Libye.
Objectivement depuis février, d’abord ils prêtaient le flan à une opération. Et à ce moment-là, on s’est engouffré dans la brèche. Et c’est l’OTAN qui a voulu rétablir, faire une ingérence humanitaire, un pacte atlantique. Je vous le dis : il faut prendre les Occidentaux dans leur propre analyse et les renvoyer à leur propre face. Et vous verrez leurs contradictions.
H.Mechaï : Mais vous parlez de la guerre civile libyenne : est-ce qu’elle n’a pas sonné paradoxalement le glas de ce printemps arabe avec l’intervention justement de l’OTAN et le retour d’une certaine realpolitik des grandes puissances occidentales ?
R. Naba : Je vais remettre ça dans une perspective plus large si vous m’autorisez. L’Amérique s’est retirée de l’Irak : 3000 milliards de dettes, épuisée économiquement, sa situation économique reléguée. Par la suite, ça sera la France et l’entrée dans une crise économique systémique (1). On a confié à leurs serviteurs arabes la tâche de faire la police avec la force militaire occidentale. La Libye a été confiée au Qatar. Le Qatar qui a 5000 soldats et 5000 mercenaires commande une coalition de onze pays regroupant la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis. 6000 ogives nucléaires. Le Qatar commande une armée de 6000 bombes atomiques alors qu’il n’a que 5000 soldats ! C’est le nouvel Field-Marshal du monde arabe qu’on n’a jamais vu ! Le Qatar, on l’a chargé de la Libye parce qu’il y a le problème pétrolier et il fallait réhabiliter Sarkozy qui s’était complètement fourvoyé avec Alliot-Marie sur la Tunisie et l’Égypte. Après tout, l’Égypte et la Tunisie c’était les deux pays sud du projet de l’Union pour la Méditerranée. On l’a confié au Qatar qui abrite la base du CENTCOM. C’est-à-dire sur 11000 km² : vous avez 2500 km², le quart du territoire bénéficie d’une extra-territorialité. Ils sont confiés aux États-Unis qui abritent 60 avions chasseurs-bombardiers et 30 000 soldats. C’est dire la marge de manœuvre et les dépendances du Qatar. Donc le Qatar qui abrite la base du CENTCOM va gérer le conflit libyen et Manama-Bahreïn qui abrite le quartier général de la marine américaine : on va lui confier dans deux jours la charge de gérer le conflit syrien. C’est-à-dire les pays qui sont le plus sous tutelle américaine sont chargés de la gestion des révolutions. Les régimes les plus rétrogrades avec l’Arabie Séoudite. À signaler que le Qatar abrite le propriétaire d’El Jazira donc avec toute la force de frappe médiatique. Et Bahreïn va être le siège du nouveau quartier général de la nouvelle chaîne transfrontière rivale du Qatar : Rotana Arab du Prince Walid Ben Talal qui va être inaugurée cette année. Nous aurons donc les deux grandes bases américaines terrestres, aériennes et navales, le Qatar et le Bahreïn, avec deux grands vecteurs transfrontaliers arabes qui sont chargés de gérer la gestion d’un pays comme la Syrie qui a mené quatre guerres contre Israël alors que les autres étaient encore sous protectorat britannique à manger des dattes et du lait de chamelle. C’est dire.
[SUITE CI-DESSOUS]
Commentaire