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La culture en péril ? (2ème épisode)

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  • La culture en péril ? (2ème épisode)

    Avertissement : Le présent article risque d’apparaître quelque peu répétitif, par certains aspects, par rapport au premier volet, qui s’appuyait déjà sur un ouvrage du même auteur. Lus et commentés à un an d’écart, les ressemblances ne me sont apparues de manière flagrante qu’au cours de la lecture. Il faut croire que certains éditeurs n’explicitent pas toujours très précisément leurs sources – c’est d’ailleurs un reproche que j’ai déjà eu l’occasion d’émettre à l’égard du présent éditeur, qui édite des extraits d’ouvrages sans toujours le préciser, même si je dois reconnaître, à sa décharge, que le format, la présentation et la magnifique encre bleue utilisés, rendent la lecture particulièrement agréable et donnent envie de découvrir certains auteurs. Par contre, il faut croire aussi que le thème m’aura particulièrement attiré, au point d’acheter et de lire deux textes très très proches dans leur essence : ici, vraisemblablement, la réunion de trois articles ou peut-être conférences (?) de l’auteur

    De l’importance du livre dans le devenir des Sociétés et des hommes

    « Ceux qui brûlent les livres, qui bannissent et tuent les poètes, savent ce qu’ils font. Le pouvoir indéterminé des livres est incalculable. »

    « L’auteur doit mourir, mais ses labeurs lui survivront, plus solides que le bronze, plus durables que le marbre. »

    « Tant qu’un livre survit quelque part sur cette terre, fût-ce dans un silence que rien ne vient briser, il est toujours susceptible de ressusciter. »

    Dans ce premier texte, qui donne son titre à ce petit recueil, George Steiner s’interroge sur l’alchimie des mots, de la création, de ce qui fait que l’œuvre apparait, couchée sur le papier. Qu’est-ce qui détermine, ensuite, sa réception, qui peut être multiple, très diverse, voire due au hasard ou aux circonstances ?

    Un livre ne vivra que s’il est lu. Mais quand ? Par combien de lecteurs ? Et surtout de quelle manière ? Et comment sera-t-il reçu, perçu ?

    « Le lecteur sérieux travaille avec l’auteur. Comprendre un texte, l’« illustrer » dans le cadre de notre imagination, de notre mémoire et de notre représentation combinatoire, c’est dans la mesure de nos moyens, le re-créer. »

    Les conditions dans lesquelles on lit compte aussi. Les adolescents américains seraient incapables de lire en silence, selon l’auteur.

    Et, ici aussi, « l’intimité, la solitude qui permet une rencontre en profondeur entre le texte et sa réception, entre la lettre et l’esprit, est aujourd’hui une singularité excentrique, psychologiquement et socialement suspecte. »

    George Steiner n’ose même pas évoquer le problème de l’effondrement de notre système secondaire (saisissante actualité) et du mépris de ce que l’on apprend par cœur. Il se contente de constater : « Une forme d’amnésie planifiée prévaut désormais largement dans nos écoles. »

    Plus encore, se référant aux nouveaux formats du livre et à la lecture « on line »… « nul, si bien informé soit-il, ne peut prédire ce qu’il adviendra du concept même d’auteur, de textualité, de lecture personnelle ».

    Le « peuple du livre »

    Le deuxième texte porte sur les Juifs, considérés par certains comme le « peuple du livre », en référence aux transmissions effectuées depuis les origines, puis à travers la Bible, la Torah ou le Nouveau Testament, entre autres, et les nombreux commentaires auxquels ils ont donné lieu, faisant de « la fusion du livre et de la personne, une obligation pour le Juif. »

    George Steiner explique comment cela a permis à ce peuple nomade de survivre à toutes les épreuves qu’il a eues à surmonter à travers l’Histoire, contrairement à d’autres peuples qui se sont évanouis (Égyptiens, Grecs, Romains, États princiers d’Amérique centrale). Ce qui n’empêche pas l’auteur d’être critique à l’égard de cette hégémonie et d’évoquer les transformations issues de son histoire récente, ainsi que de l’observation de la puissance de l’oralité chez les chrétiens (Jésus Christ), comme Socrate avant eux et de « l’être animé », de la créativité.

    Mais, face aux élans de la « modernité », de l’internet et de tout ce qui fait la vie d’aujourd’hui, de la culture de l’image et de l’immédiateté, George Steiner semble craindre que ce peuple auquel il appartient, se conformise, au point de perdre ce qui fait sa force, son identité, sa longévité (si j’ai bien compris sa pensée).

    Les dissidents du livre

    Le troisième texte porte sur la récence de l’écrit face à la tradition multi-millénaire de l’oralité et le caractère universel du livre, qui n’est pas impérissable et peut très bien avoir une fin.

    « Aujourd’hui encore, la plus grande prudence est de rigueur face aux statistiques d’alphabétisation. Une bonne partie de l’humanité doit, au mieux, se contenter de textes rudimentaires. Elle ne lit pas de livres, mais elle chante et elle danse. »

    George Steiner revient une nouvelle fois sur l’influence forte de Socrate et Jésus de Nazareth sur l’Occident, eux qui ne se sont exprimés que par l’oralité.

    Puis il met en avant les caractéristiques normatives ou « prescriptives » de l’écriture, source d’autorité et de pouvoir à travers les siècles pour ceux qui la maîtrisaient par rapport aux illettrés ou sous-lettrés. D’où la méfiance à son égard qu’éprouvent les despotes.

    De même que les livres, selon lui, ne suscitent pas, en eux-mêmes, la contradiction, contrairement à l’oralité, qui permet le défi, le débat, la correction. L’oralité permet aussi le travail de mémorisation et de transmission, là où l’écrit se contente souvent de stocker, se prête à la consultation et conduit à l’amnésie. De là, selon George Steiner, avec les technologies modernes et la nouvelle manière d’enseigner, le fait que « l’éducation moderne relève de plus en plus de l’amnésie institutionnalisée. »

    Jésus de Nazareth, lui, s’exprimait à l’aide de paraboles ; et a laissé une trace plus durable que l’écrit, d’une certaine manière. Cependant, George Steiner relève le talent particulier de Saint-Paul, homme du livre s’il en est, qui, à l’instar de Marx ou Lénine, a permis une rare « propagation didactique, avec son intuition que des textes écrits transformeraient la condition humaine », de manière durable. C’est ce qui a débouché, selon lui, sur le catholicisme romain, les œuvres des Pères de l’Église, le génie littéraire de Saint-Augustin et la Somme de Saint Thomas d’Aquin.

    « Mais les tensions initiales entre « la lettre et l’Esprit », entre les scriptoria monastiques auxquels nous devons largement la survie des classiques, d’un côté, et la préférence pour l’oralité, en fait pour ce qui n’est pas lettres, de l’autre, sont demeurées éternelles. »

    Jusque dans les renoncements de Pascal avec sa méfiance profonde envers Montaigne, « cette incarnation du savoir livresque. » Ou, pendant longtemps, entre protestantisme, où la lecture du Livre est absolument centrale, et catholicisme, où elle était réservée à une élite qualifiée et proscrite à d’autres.

    Ce n’est qu’à la fin du Moyen-Age qu’apparaissent les grandes bibliothèques royales et universitaires. Et qu’avec « la formation d’une classe moyenne, d’une bourgeoisie privilégiée et éduquée à travers l’Europe occidentale que l’âge du livre et l’acte classique de lecture atteignent leur midi. »

    Restent deux composantes essentielles, dont George Steiner note qu’elles sont devenues de plus en plus rares ou difficiles à obtenir « à mesure que la civilisation urbaine et industrielle affirme sa domination » : le silence et le temps. Ce dont disposaient les érudits qu’il cite.

    Toutes choses qui vont devenir de plus en plus difficiles aussi avec les guerres et barbaries en Europe et Russie du XXème siècle, puis aujourd’hui avec le rétrécissement des espaces de vie et l’accélération fantastique du temps, à travers notamment toutes les technologies que nous connaissons et rendent cette tradition archaïque, les comptes-rendus de livres étant plus rapides à lire que les livres eux-mêmes (je ne le vous fais pas dire).

    Notre auteur s’intéresse ensuite à deux courants de négation :

    Celui qu’il dénomme le « pastoralisme radical » et dont on trouve des éléments chez des auteurs comme Rousseau, Goethe, Wordsworth, Emerson, Blake, Thoreau ou H Lawrence qui, à des titres divers, jugent l’expérience personnelle bien supérieure au savoir livresque et l’imaginé.
    Les nihilistes et révolutionnaires anarchistes de la fin du XIXème siècle, notamment en Russie tsariste, selon lesquels les livres n’ont « jamais nourri les affamés. » Dans cette tendance, des auteurs comme Pisarev, ou même Tolstoï. Les poètes nihilistes en appellent, eux, carrément à brûler les bibliothèques et le poids infectieux du passé, pour aller dans le sens d’un renouveau.
    George Steiner rappelle ainsi, à travers différents épisodes historiques, comment la destruction des livres a toujours précédé celle des hommes et comment « les fondamentalistes de tous crins sont d’instinct des brûleurs de livres ».

    La censure, « aussi vieille et omniprésente que l’écriture elle-même », ne doit pas non plus être oubliée. « Elle a été de toutes les tyrannies (…) Mais nos soi-disant démocraties ne sont pas non plus innocentes », des classiques étant expurgés ou « retirés des rayonnages des bibliothèques publiques ou scolaires au nom d’un « politiquement correct » aussi puéril que dégradant. »

    Dans une grande partie du monde moderne des livres sont censurés, des auteurs vont en prison, voire reçoivent des fatwas. Mais, inversement, note l’auteur, la totale libre-expression même parfois à des excès (pornographie, pédophilie, négationnisme, idéologies racistes…), favorisés par les nouvelles technologies, au sujet desquels il s’interroge.

    Mais, pour conclure, il exprime tout ce que le lecteur peut, en définitive, ressentir face à la force de l’imaginaire.

    contrepoints
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