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    «Guerre de civilisation»: le jeu dangereux de Manuel Valls

    29 juin 2015 | Par Ellen Salvi
    Bien décidé à ne rien céder à la droite sur le terrain des valeurs et de l’autorité, Manuel Valls se met à parler comme elle. En employant l’expression « guerre de civilisation », le premier ministre ne s’est pas contenté de se contredire lui-même. Il a aussi franchi une nouvelle étape sémantique dans l’inflexion néoconservatrice de l’exécutif.

    L’expression est lâchée. Savamment déconstruite, elle n’en demeure pas moins assumée. « Il faut toujours dire la vérité, être lucide et utiliser les mots qui s’imposent », a expliqué Manuel Valls sur le plateau du “Grand Rendez-Vous” Europe 1-iTélé-Le Monde, dimanche 28 juin, après avoir affirmé : « Nous ne pouvons pas perdre cette guerre parce que c’est au fond une guerre de civilisation. C’est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons. »

    En récupérant à son compte les mots employés deux fois par Nicolas Sarkozy, après les attentats de janvier et les événements survenus vendredi 26 juin à Saint-Quentin-Fallavier (Isère), le premier ministre ne s’est pas contenté de se contredire lui-même. Il a aussi franchi une nouvelle étape sémantique dans l’inflexion néoconservatrice de l’exécutif.

    L’expression a beau détonner dans la bouche d’un haut dirigeant socialiste, elle s’inscrit dans la droite lignée de la politique étrangère menée par François Hollande depuis trois ans. Le président, qui a engagé la France dans deux conflits armés, au Mali et en Centrafrique, et qui était prêt à le faire en Syrie, s'est lui aussi laissé aller à utiliser la phraséologie morale des néoconservateurs, se disant par exemple prêt à « punir » Bachar al-Assad et à « détruire » les terroristes dans le Sahel.

    Pour autant, le chef de l'État se refuse encore à employer l’expression « islamo-fascisme » chérie par Manuel Valls et préfère parler de « guerre contre le terrorisme ». Si la France a « engagé une guerre contre le terrorisme », elle ne mène « pas une guerre contre une religion, pas une guerre contre l'islam », avait-il ainsi déclaré au mois de janvier, en réponse à Nicolas Sarkozy.

    Directement inspirée du livre de l’Américain Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, l’expression « guerre de civilisation » était jusqu’alors réservée aux seuls “néocons” pour désigner les nouvelles oppositions « civilisationnelles » qui séparent, selon eux, l’Orient – pour ne pas dire l’islam – de l’Occident. Elle avait notamment été reprise, en septembre 2006, par le président américain George W. Bush pour justifier la guerre en Irak.

    C'est désormais Manuel Valls qui la fait sienne, tout en prenant soin de démonter la théorie de Huntington. « Ce n’est pas une guerre entre l’Occident et l’Islam, mais une guerre au nom même des valeurs qui sont les nôtres et que nous partageons au-delà même de l’Europe », a-t-il précisé. Il n’empêche. Six mois après avoir critiqué Nicolas Sarkozy, le premier ministre se met à parler comme lui, ouvrant ainsi un boulevard à la droite, qui n’a pas tardé à moquer ce changement de discours.

    Sur Twitter, les élus LR (ex-UMP) s’en sont donné à cœur joie, tout comme l’intellectuel médiatique Michel Onfray. Dans la foulée, le parti de la rue de Vaugirard a publié plusieurs communiqués sur le sujet. « Nous prenons acte de cette prise de conscience en dépit des postures morales bien vaines et politiciennes qui s’étaient manifestées lorsque Nicolas Sarkozy avait ainsi caractérisé le combat se déroulant désormais sur le sol français », s’est ainsi réjoui le député Éric Ciotti. « Le premier ministre Manuel Valls reconnaît enfin que nous sommes dans une guerre de civilisation. Il était plus que temps que la gauche accepte de mettre des mots justes sur ce que nous dénonçons depuis des mois », a enchaîné le sénateur Alain Joyandet.


    À droite, rares sont les élus à ne pas s’être gargarisés de ce retournement de situation. Certains, comme la députée Valérie Pécresse, ont repris Manuel Valls en expliquant que son expression n’était pas « exacte ». « Ce que nous vivons c'est une guerre, c'est une guerre qui est mondiale, c'est une guerre de la barbarie contre la civilisation, a-t-elle indiqué au “Grand Jury” RTL-Le Figaro-LCI. Je ne considère pas que Daech soit une civilisation, je considère que Daech c'est la barbarie. » L’eurodéputée Michèle Alliot-Marie et le député Daniel Fasquelle, également trésorier de LR, sont même allés plus loin, dénonçant une « surenchère » dont leur propre parti n’est pas exempt.

    C’est évidemment à gauche que le plus de rames ont été sorties pour justifier les propos du premier ministre. Toute la journée de dimanche, les membres du gouvernement ont donné dans l’explication de texte. « Ce n'est pas une guerre de l'Orient contre l'Occident, d'ailleurs Manuel Valls a parfaitement expliqué ce qu'il voulait dire par ce mot qui a suscité à tort un certain nombre de polémiques », a indiqué Ségolène Royal sur iTélé, bientôt rejointe par Bernard Cazeneuve, qui a insisté sur l’emploi du singulier « civilisation ». « Ce n’est pas une guerre de civilisation au pluriel, c’est une guerre entre la civilisation humaine et la barbarie », a assuré le ministre de l’intérieur sur Europe 1, reprenant mot pour mot Valérie Pécresse.

    Si le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis a lui aussi volé au secours de Manuel Valls, d’autres ont préféré prendre leurs distances avec ce dernier. C’est le cas de Martine Aubry, mais aussi du vice-président du conseil régional d’Île-de-France, Julien Dray, pour qui « il y a des raccourcis idéologiques auxquels il faut faire très attention ». « Il n'y a pas de “guerre de civilisation”. Je ne partage pas cette vision héritée de George W. Bush », a également tweeté le député “frondeur” Pascal Cherki, suivi sur ce point par… le vice-président du FN, Florian Philippot, qui s’en est expliqué sur France 3 : « Ça, c'est la rhétorique qui a autorisé la guerre en Irak, celle de George Bush, une catastrophe. »

    Bien décidé à ne rien céder à la droite sur le terrain des valeurs, le premier ministre se met donc à parler comme elle. De la même façon que l’UMP a opéré, à partir du quinquennat de Nicolas Sarkozy, un glissement sémantique et idéologique vers l’extrême droite, Manuel Valls s’en va braconner sur les terres de l’opposition. Comme il le fait depuis plusieurs mois déjà, le chef de l’exécutif continue à surjouer l’autorité et à réduire la politique à un slogan de communication. Il y a eu « l’intérêt des Français », la « rupture », le « nous prenons nos responsabilités ». Il y a désormais la « guerre de civilisation ». Quant à la ligne idéologique, elle attendra un peu. L’heure est à la stratégie.
    Dernière modification par jawzia, 29 juin 2015, 19h41.
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