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Kosovo : un islam laïc en modèle?

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  • Kosovo : un islam laïc en modèle?

    Alors que le Kosovo prépare une nouvelle loi pour encadrer les religions, quels sont les sentiments religieux des Albanais, musulmans, majoritaires dans le pays ? Après les blessures de la guerre avec la Serbie de Milosevic, les islamistes radicaux ont-ils réussi leur implantation ? Des réponses surprenantes comme les Balkans.


    Sur le « Korzo » Mère-Teresa, l’artère principale de Pristina, capitale du Kosovo, rien n’indique que 90 % de la population, ethniquement et linguistiquement albanaise, est musulmane. Les Albanais qu’on y croise ressemblent par leurs traits à n’importe quelle autre population européenne et apparaissent moins « méditerranéens » que des Calabrais ou des Andalous. Cette « albanité » est le ciment de ce territoire qui a proclamé son indépendance au cœur des Balkans en 2008, après une période douloureuse de guérilla, puis une étape sous la tutelle de l’ONU. Aujourd’hui, la jeune république fait tout pour adopter les mœurs politiques de l’Union européenne. Elle est la seule des Balkans présidée par une femme et une loi, à peine appliquée faute de candidats, autorise le mariage de couples de même sexe.

    L’Albanité avant l’islam

    Si le drapeau rouge à aigle noir de l’Albanie est présent partout, le drapeau du Kosovo – six étoiles blanches sur fond bleu, nuance Union européenne – enseigne d’autres choses sur l’identité du pays. Elles figurent officieusement six communautés. Les Albanais comptent pour 92 % de la population. S’ajoutent les Serbes (5,3 %). Des Bosniaques, des Turcs, des Roms, des Goranis constituent le reste des habitants.

    Les Albanais du Kosovo, qui se revendiquent généralement musulmans, comptent cependant 65 000 catholiques, pratiquants dans leur grande majorité, dans les rangs de leur « nation ». Comme dans l’Albanie voisine, la conversion à l’islam a été faite tardivement dans l’Histoire (XVIe siècle) par « l’ennemi national » turc. À la différence des Bosniaques – slaves qui ont construit leur identité sur l’islam contre les Serbes, slaves orthodoxes, et les Croates, Slaves catholiques –, les Albanais se sont battus contre Turcs et Serbes sans distinguer dans leur camp qui était musulman ou catholique. Le vicaire général du Kosovo, Don Lush Gjergji, raconte que pendant la guerre entre Serbes et Albanais en 1999, les catholiques n’ont jamais été inquiétés par les musulmans. « Aujourd’hui, nous avons chaque année une vingtaine de baptêmes de musulmans crypto-catholiques », ajoute-t-il. La cathédrale de Pristina, consacrée à Mère Teresa – religieuse albanaise béatifiée par Jean-Paul II –, est bien le signe manifeste de cette compatibilité dans la légende nationale. L’édifice, encore en travaux, sera le plus important de tous les Balkans. Le premier vitrail qu’on y trouve représente saint Paul qui apporta l’Évangile dans la région, appelée alors Illyrie, la terre des Hommes libres.

    Ibrahim Rugova, intellectuel et premier président du Kosovo qui incarna l’idée d’indépendance, considérait que les Albanais avaient même été convertis de force à l’islam, et que nombre d’entre eux avaient conservé longtemps une pratique secrète du christianisme. La rumeur veut que ce laïc se serait lui-même converti au catholicisme peu avant sa mort.

    Une société laïque

    La constitution kosovare ne reconnaît aucune religion. Celles-ci sont considérées comme des sociétés privées, sans aucun avantage ou protection particulière. Cependant, une loi en préparation pourrait aussi accorder aux Serbes orthodoxes restés dans la région une meilleure reconnaissance, alors qu’ils sont encore l’objet de violences et vexations épisodiques de la part d’extrémistes. En 1970, le gouvernement yougoslave a créé une université dans la capitale régionale qui a contribué à former une élite largement socialiste, nationaliste et athée, dont les enfants sont aujourd’hui hauts fonctionnaires de l’État. Néanmoins, l’islam kosovar persiste. Il est majoritairement sunnite, d’école hanafite ou hanbalite. Les bektachis, musulmans hétérodoxes et mystiques, sont aussi présents et identifiés au chiisme. Un petit nombre d’entre eux aurait des liens avec des ONG iraniennes. Il est, du reste, rare de trouver des femmes portant le niqab dans le pays, y compris à Kaçanik, l’une des villes considérées comme les plus propices au radicalisme religieux. Si certaines portent un voile simple, elles dememeurent une exception remarquable.

    Le vin est le premier produit d’exportation du Kosovo et l’on consomme partout bière et rakija, une vodka locale. Même l’ancienne guérilla indépendantiste, la controversée UÇK (Armée de libération du Kosovo), n’a jamais fait de l’islam son cheval de bataille. En visitant un cimetière, à Dubrava, on peut observer qu’aucune tombe n’est dirigée vers La Mecque, ni ne porte le moindre croissant. Dans ce cadre, on n’est pas surpris quand le gouvernement demande l’arrestation de quatorze imams radicaux formés à l’étranger et la fermeture de plusieurs associations islamistes financées depuis des ONG basées dans le Golfe.

    L’empreinte salafiste

    Le Kosovo a été converti à l’islam par des missionnaires derviches. Selon Musli Vërbani, imam traditionnel de Kaçanik, l’islam local n’est pleinement pratiqué que par 5 à 10 % des Albanais. Cet imam, qui s’est opposé frontalement à la mainmise d’organismes étrangers salafistes, a été chassé de sa propre mosquée et sa voiture brûlée, malgré une pétition de soutien des fidèles de sa ville. Selon lui, ces derniers contrôlent l’organisme central de l’islam kosovar. Ils ont donc leur mot à dire sur le contenu de l’islam enseigné et sur la nomination d’imams formés au salafisme.

    Le financement est indispensable pour faire tourner les mosquées. Mais cela n’est pas sans quelques conséquences qui commencent à inquiéter le gouvernement, comme l’a montré la thématique de la 4e conférence interreligieuse de Pristina des 28-30 mai dernier. Ainsi, en 2012, l’imam Enes Goga prêchait ouvertement le djihad pour la Syrie et en juin 2014, Lavdrim Muhaxheri, originaire de Kaçanik et membre de Daesh, déchirait son passeport kosovar, promettant de soumettre Jérusalem et Rome. Mais les Kosovars ne sont pas dupes. Ici, la plupart des candidats au djihad s’engagent pour des raisons financières dans un pays qui compte officiellement 40 % de chômeurs. Reste à savoir, sur le long terme, ce que donneront ces nouvelles mosquées construites partout dans le pays, et que de nombreux Kosovars jugent non traditionnelles et dignes d’Euro Disney…


    Le figaro
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