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Grèce : les vertus de la banqueroute

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  • Grèce : les vertus de la banqueroute

    Faute d’accord avec ses créanciers, la Grèce est aujourd'hui en défaut de paiement. Son système bancaire pourrait s’effondrer dans les jours à venir. C’est peut-être une sacrée occasion à saisir. Déprivatisation des banques, sortie de l’euro, à ce stade, toutes les options, toutes les ruptures sont possibles. Formidable ?

    Jusqu'ici, c'était un scénario fiction. Mais la banqueroute grecque est advenue. Mardi 30 juin à minuit, la Grèce a fait défaut, en outrepassant le délai de paiement de sa dette vis-à-vis du Fonds monétaire international (FMI). Tout le système bancaire grec est désormais suspendu au guichet d'urgence du Emergency Liquidity Assistance (ELA), un robinet de liquidités que la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de maintenir, mais sans en augmenter le volume, et qui pourrait fermer dans les jours à venir.

    Rien ne dit, toutefois, que la banqueroute grecque est vouée à la catastrophe.

    La banqueroute, une tradition française

    « Une faillite d’Etat est finalement assez banale et l’on sait comment gérer le problème de restructuration », témoigne un ancien chief economist du FMI, dans l’essai Vive la banqueroute (2013), copiloté par François Ruffin. « Entre 1500 et 1800, la France a répudié ses dettes en huit occasions », renchérit-il. Depuis le XIXe siècle l’histoire bancaire recense pas moins de… 250 défauts sur la dette ! Et d’ordinaire, après une forte houle, les économies finissent par s'en remettre. Suivant les cas, le recul du PIB s’effacerait trois ans après. Et la période d'austérité, elle, termine froissée, en boule, dans les poubelles de l’histoire économique nationale.

    En France, l’histoire regorge d’exemples allant en ce sens. « La banqueroute est nécessaire une fois tous les siècles, afin de mettre l’État au pair », déclarait par exemple l’abbé Terray, qui n’était pas un fou furieux mais le contrôleur général des finances de Louis XV. Sully, le conseiller d’Henri IV, envoya valser les « dettes illégitimes », en opérant une banqueroute pour assainir les finances du royaume. Mirabeau, à l’Assemblée nationale, choisit de combler le « gouffre effroyable » de la dette publique en « confisquant le patrimoine de l’Eglise ». Et Philippe le Bel, qui ne versait pas dans la demi-mesure, « chassa d’abord ses créanciers du royaume avant de saisir, de condamner, de brûler “les banquiers de l’Occident”… plus radical dans ses actes que Jean-Luc Mélenchon dans ses discours ! », écrit Ruffin.

    La banqueroute, l’impensé des néolibéraux

    La banqueroute, en règle générale, ce n'est pas une faillite. « C’est la défaillance d’un Etat qui n’exécute pas les contrats d’emprunts qu’il a conclu. » Au moins, c’est limpide. Elle est toujours partielle, ne concerne qu'un type d’actif ou de créanciers, comme le FMI. Mais quelle que soit sa forme, la banqueroute horripile de façon congénitale les tenants de la doxa néolibérale, pour laquelle la répudiation de la dette est en fait un tabou, un mot introuvable dans leur dictionnaire, un non-scénario, un impensé.

    Il faut tout l’œil affuté des économistes hétérodoxes, comme Frédéric Lordon ou Jacques Sapir, pour scruter en profondeur les angles morts de la myopie néolibérale, et envisager les vertus d’un défaut de paiement. Le tout assorti, si possible, à une certaine forme de pugnacité. Car ce sont de sacrés vents contraires qu’il s’agit d’affronter. L’ouragan des éditocrates de tout poil d’abord, dont l’écume matinale s’évanouit avec indifférence et incompréhension sur des options économiques comme la « banqueroute ». Le typhon des créanciers ensuite, qui, derrière le verbiage fait de « solidarité internationale » et de « respect des engagements », masque la misère des peuples et la violence des rapports économiques. Et bien entendu, la bise matinale des toutous économistes, qui répètent à longueur d’émissions qu’il n’y a « pas d’alternative au désendettement », que « la rigueur n’est pas un choix ».

    Comment, face à tant d'épreuves, laisser les écoutilles de son entendement ouvertes au scénario du défaut ? « Doit-on respecter nos “engagements à l’égard des créanciers” ? Ou avons-nous des engagements plus sacrés, à l’égard des trois millions de chômeurs, par exemple, avec le “droit d’obtenir un emploi” inscrit dans le préambule de notre Constitution ? », questionne François Ruffin.

    Dans la configuration européenne, où le système monétaire et économique est gravé, voire fossilisé, dans le marbre des traités, la banqueroute présente de sacrées vertus. Bizarrement, Vive la banqueroute est l’un des rares à se faire l’écho de cette joyeuse nouvelle. « Le défaut, c’est une bonne idée », y lâche Frédéric Lordon, qui aime bien lancer des pavés subversifs dans la platitude de la mare. « Elle a même d’excellentes propriétés si elle s’inscrit dans une stratégie économique globale. » Machiavel est à l’œuvre : après un défaut de paiement, le système bancaire et financier est par terre. L’heure, pour l’Etat, de ramasser les débris de ces institutions en ruine, par la nationalisation complète du système bancaire. Une manœuvre facile, puisqu’en chutant, la valeur financière des banques est tombée à zéro. Avec cette reprise en main, la porte est ouverte à la dévaluation, la refonte du système de crédit…

    Scénario fictif : la banqueroute grecque et le crash bancaire

    Quid de la Grèce ? Lordon s’est livré ce lundi, sur son blog « La Pompe à phynances », hébergé sur le site du Monde diplomatique, à un petit exercice d'économie fiction. Qu’advient-il à l’issue de la banqueroute grecque, si la BCE ferme, comme c’est prévu, ses robinets de prêts d’urgence, les seuls à même de refinancer les banques grecques ? « La fermeture du refinancement auprès de la BCE (via le guichet de l’ELA, ndlr), effondrera le système bancaire grec dans la journée, et forcera, de fait, au réarmement de la Banque centrale grecque », écrit-il. Après la déconfiture du crash bancaire, c’est la Banque de Grèce qui prend le relai du robinet monétaire. Celle-ci émettra ainsi une drachme, non reconnue par la nomenclature européenne, ayant l’apparence de l’euro mais qui n’en sera pas. Voilà qui actera physiquement la sortie de la Grèce de la zone euro, « vouée à s’opérer dans les plus mauvaises conditions », reconnaît l'économiste.

    Dans cette situation d’urgence, il est possible de limiter les dégâts. De s’épargner la capilotade, à condition de se saisir des leviers économiques. Déjà, la Grèce a mis en place un contrôle draconien des capitaux, en imposant depuis dimanche un bank holiday, qui limite les retraits aux guichets. Le contrôle des mouvements de capitaux devrait être très vite consolidé. Par la suite, « avec la dévaluation carabinée de la drachme qui suivra sa réintroduction, les Grecs y perdront du pouvoir d’achat international. » Devraient s’ensuivre des mesures protectionnistes ciblées, tout en laissant les entreprises grecques avoir accès aux équipements étrangers. Inutile de se voiler la face : les premiers temps devraient « être une épreuve ».

    Le crash consécutif à la banqueroute installera un monde bizarre, où un vrai euro cohabitera avec un euro-drachme, et dont personne ne saura faire la différence. Tout un tas d’ajustements seront à faire, et la période sera rude. Mais, libérée de l’étau institutionnel européen, la Grèce pourra recouvrir immédiatement des marges de manœuvre sur le plan monétaire et économique. Soulagée des 26 milliards d’euros dus d’ici la fin 2015 à ses créanciers, la Grèce en termine avec la cure d’austérité. Elle envoie aussi bouler sa dette publique qui, grâce aux remèdes miraculeux de la Troïka, était passée de 100 % à 176 % du PIB entre 2008 et 2014… Voilà pour la théorie. Dans quelques jours, les Grecs goûteront peut-être à la pratique.

    Marianne
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