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Des déchets à Tchaïkovski

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  • Des déchets à Tchaïkovski

    L’Orchestre des instruments recyclés, qui a fleuri sur une immense décharge à ciel ouvert du Paraguay, apporte musique et espoir aux enfants d’un bidonville.






    Bon nombre de gamins du bidonville de Cateura, près d’Asunción, capitale du Paraguay, rêvent de devenir un jour footballeurs ou pop stars, mais Brandon Cobone a réussi à échapper à ce triste environnement grâce à un objet plus insolite qu’un ballon de foot et plus étrange qu’un micro: une double basse à la Frankenstein, assemblée de bric et de broc, à partir de détritus récupérés dans la décharge voisine qui donne à Cateura son nom et son odeur.

    Le garçon de 18 ans est membre de l’Orchestre des instruments recyclés de Cateura qui, par la musique, aide les enfants des bidonvilles à acquérir les talents qui leur permettront de bâtir un avenir meilleur.

    L’orchestre a été créé un peu par hasard par Favio Chávez, ingénieur écologue et mélomane qui travaillait avec les gancheros, les récupérateurs qui écument l’immense décharge pour ramasser des matériaux recyclables.

    «Tout a commencé par une simple remarque», explique-t-il: ayant appris qu’il était musicien, des gancheros lui ont demandé de donner des leçons à leurs enfants. Chávez s’est rapidement heurté à un obstacle: il n’avait pas suffisamment d’instruments pour satisfaire tout le monde, et pour ne rien arranger, il arrivait que ses élèves, emportés par leur zèle, cassent une guitare ou fêlent un violon. Il a donc décidé de mettre à profit l’unique ressource dont il disposait en abondance: les ordures. Il a tout d’abord fabriqué un violon à partir d’une passoire, d’un plat en métal et de tuyaux métalliques. «Le son n’était vraiment pas bon», avoue-t-il, ajoutant que les quelques autres instruments, dont une «guitare» découpée dans un bout de bois et munie de quelques cordes, n’étaient pas meilleurs. «Mais pour apprendre, ça pouvait aller.»

    Chávez a ensuite fait équipe avec l’un des gancheros, Nicolás Gómez, menuisier de son état, pour créer tout un éventail d’instruments qui ressemblaient plus ou moins à des vrais et en avaient également le son. Aujourd’hui, l’Orchestre des instruments recyclés possède d’improbables variantes de la plupart des instruments d’un orchestre conventionnel, bricolées avec des casseroles, des capsules de bouteilles, des clés fondues et autres déchets.

    L’Orchestre des instruments recyclés est devenu un phénomène international après qu’une équipe de cinéastes s’y est intéressée et a mis en ligne la bande-annonce du documentaire qu’elle lui avait consacré en 2012 (intitulé «Landfill Harmonic» [l’Ensemble harmonique de la décharge], il a été présenté cette année en avant-première au festival de musique, de cinéma et de médias interactifs d’Austin, South by Southwest – SXSW). Depuis, la formation croule sous les invitations à se produire sur scène, de l’Allemagne jusqu’au Japon, et a même fait une tournée en Amérique latine en première partie du groupe Metallica.

    Pris en étau entre la décharge à ciel ouvert et le fleuve Paraguay, le bidonville de Cateura est un amas hétéroclite de bicoques basses, certaines en briques crues, d’autres en tôle ondulée et divers matériaux de récupération. Les égouts s’écoulent dans des rues boueuses criblées de nids-de-poule remplis d’eau stagnante et jonchées de détritus lâchés par l’incessante noria des bennes à ordures nauséabondes. L’air empeste l’odeur de la décharge, où les 20 000 et quelques habitants gagnent tant bien que mal leur vie comme recycleurs. Et lorsque le fleuve déborde, comme l’an dernier, Cateura est inondé.

    Chávez souligne que la vocation de l’orchestre n’est pas tant de former des musiciens de niveau international que de faire de ces enfants déshérités des citoyens à part entière. «Deviendront-ils tous musiciens professionnels? Je ne le pense pas, dit-il. Ce que nous cherchons, c’est leur apprendre une autre façon d’être, leur inculquer des valeurs différentes de celles qui ont cours dans leur communauté. Ici, ajoute-t-il, les modèles sont les chefs de bande, qui s’imposent par la violence et la domination. Dans l’orchestre, leurs modèles sont les plus bûcheurs, les plus motivés, les plus engagés.»

    Les membres de l’orchestre, composé de plus de quarante instrumentistes, sont sélectionnés non pour leur oreille musicale innée mais pour leur assiduité aux cours du samedi matin. Une fois choisis, ils doivent aussi participer aux répétitions hebdomadaires, où ils préparent un répertoire qui couvre les grands classiques – la 5e symphonie de Bethoven et Les Quatre Saisons de Vivaldi – ainsi que des airs traditionnels paraguayens.

    Grâce aux dons, les musiciens disposent désormais d’instruments conventionnels qu’ils utilisent pendant les répétition. Mais en concert, ils continuent de jouer sur leurs instruments bricolés, qui font partie intégrante de l’identité de leur orchestre.

    «A Cateura, rien n’est organisé, rien n’est préparé et tout se fait presque spontanément», explique le Français Thomas Lecourt, directeur adjoint de l’orchestre. Les premières tournées internationales, précise-t-il, ont été de véritables cauchemars logistiques car beaucoup d’enfants n’avaient pas de passeport, et parfois pas même d’acte de naissance. «Les répétitions, les voyages, la responsabilité de faire partie de l’orchestre, apportent une certaine structure à leur existence.» A l’intérieur d’un étroit lotissement au milieu du bidonville, des ouvriers s’emploient à bâtir le premier local permanent de l’orchestre. Quelques adolescentes font déjà leurs gammes sur leurs violons, indifférentes à la cacophonie des marteaux, scies et perceuses qui les entourent. Des garçons qui fabriquent des caisses claires à partir de bouts de bois et de métal, avec de vieilles radiographies en guise de peaux, ajoutent au tumulte.

    «Rejoindre l’Orchestre a changé mon chemin de vie», affirme Andrés Riveros, 20 ans, saxophoniste et étudiant en première année d’université. «Et c’est une chance, car beaucoup de mes amis qui ne sont pas entrés dans l’orchestre sont soit drogués soit en prison, maintenant.»

    Brandon Cobone, qui a visité une quinzaine de pays avec l’Orchestre, s’apprête également à entrer à l’université. Du haut de ses 18 ans, il a déjà accumulé plus d’expérience qu’il ne l’espérait en toute une vie.

    «Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours eu envie de voyager, mais jamais je n’aurais imaginé que cela puisse arriver… et encore moins grâce à ça», dit-il en montrant sa double basse, bricolée à partir d’un bidon d’acier tout cabossé qui contenait autrefois du carbure de calcium et des poutres de bois mises au rebut


    tribune de Genève

  • #2
    Insolite, créatif, extraordinaire...

    Merci pour le partage...

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