Par Mohamed Chaouchi
Diplômé du Master 2 de Géopolitique à l’Université de Reims en 2014. Cet article est fondé sur son mémoire de recherche consacré aux émeutes de 2013-14 dans la vallée du M’Zab dans la région de Ghardaïa, élaboré sous la direction de Madame Fournet-Guérin, maître de conférences habilitée à diriger des recherches en géographie à l’université de Reims.
Géopolitique du Maghreb. Les médias occidentaux dans l’ensemble n’ont pas fait écho des événements de décembre 2013 et de l’année 2014 qui ont secoué la vallée du M’Zab, dans le Sud algérien. Le Diploweb.com est heureux d’ouvrir l’année en donnant la parole à un diplômé du Master 2 de Géopolitique à l’Université de Reims qui présente les faits et les met en perspective. Comment alors analyser ces violences dont les enjeux s’inscrivent à différentes échelles du territoire algérien et nord-africain ?
LES ÉMEUTES émeutes inter communautaires ayant secoué la région de Ghardaïa, en décembre 2013 et tout au long de l’année 2014, ont marqué la vie politique algérienne. Ghardaïa, ville située à 600 kilomètres au sud d’Alger, peuplée de 200 000 habitants, est essentiellement berbérophone et de rite ibadite. Ces émeutes inter communautaires dans cette partie du pays sont à la fois associées à une crise identitaire et à un risque de désintégration de l’État-nation algérien. La problématique berbère n’est toujours pas réglée en Algérie, et la menace récurrente d’une scission entre le nord et le grand sud inquiète les Algériens.
Cette crise est ainsi susceptible de remettre en cause l’intégrité territoriale de l’Algérie sur le long terme, Ghardaïa étant l’une des portes du Sahara où se développent des mouvements autonomistes berbères. Localement, les événements de Ghardaïa sont toutefois d’abord d’ordre culturel, opposant les Mozabites berbères aux Chaambas arabes. La crise est enfin d’ordre religieux, car s’opposent les Mozabites (habitants du Mzab) de rite ibadite et les Chaambas de rite malékite. Comment alors analyser ces violences dont les enjeux s’inscrivent à différentes échelles du territoire algérien et nord-africain ?
Les faits : destructions, pillages et déplacements de population
Selon la presse algérienne, les émeutes se sont accompagnées de la mort d’une quinzaine de jeunes et du pillage de milliers d’habitations, de magasins et de hangars agricoles, appartenant principalement à la communauté mozabite. Ces émeutiers, au départ principalement originaires de la communauté arabophone, ont vite dû faire face à d’autres casseurs issus des quartiers mozabites. Cette violence qui a opposé les émeutiers des différents quartiers de Ghardaïa a contribué à installer un climat de peur dans la ville. Ghardaïa est devenue une « ville morte » tout au long de l’année 2014, comme l’a relaté la presse algérienne, et comme il a été possible de le constater à l’occasion d’un séjour sur place en août 2014. Le contrôle de certains quartiers, pendant des semaines, par des bandes de jeunes voyous, a contraint des centaines de familles, issues des deux communautés, à quitter leur domicile pour s’installer dans d’autres cités de banlieue plus sûres. Les fonctionnaires et autres salariés n’ont pu accéder à leur lieu de travail situé dans des quartiers à risque. Des cimetières et des mausolées, en majorité mozabites, ont été attaqués et vandalisés par des centaines de casseurs, peu inquiétés par des forces de l’ordre impuissantes. Cette violence sans précédent, qui a duré des mois, a terrorisé les habitants de Ghardaïa et ses environs, peu habitués à une violence urbaine allant jusqu’au meurtre. Des violences inter communautaires ont pourtant souvent secoué la région de Ghardaïa depuis l’indépendance, mais les derniers événements sont les plus graves. Le nombre de morts, une quinzaine, est en effet le bilan le plus sanglant à Ghardaïa depuis l’indépendance du pays, la région n’ayant été que peu affectée par les violences meurtrières des années 1990. Ces violences ont sévi pendant plus de dix mois, alors qu’en général les troubles opposant Mozabites et Chaambas ne perdurent que quelques jours.
Les éléments déclencheurs : mutations démographiques, sociales et géopolitiques dans la région
Ces tensions et violences opposant les deux communautés de la région de Ghardaïa seraient dues à plusieurs facteurs.
Le facteur conjoncturel déclenchant aurait été l’affichage en décembre 2013 d’une liste de personnes ayant obtenu un logement social. Ces attributions ont alors revêtu une connotation « communautaire » lorsque les habitants issus des deux communautés de la ville se sont sentis lésés, chacun croyant que l’autre avait été favorisé.
Les causes de ces violences sont cependant bien plus complexes. L’histoire récente de la région, notamment tout au long du XXe siècle, oppose des Mozabites sédentaires « riches » aux Chaambas nomades « pauvres ». La forte urbanisation que connaît l’Algérie dans les années 1970-1980 s’est accompagnée du déplacement de milliers de nomades vers les grands centres urbains sahariens. Les nomades, essentiellement arabophones et de rite malékite, ont eu des difficultés à s’intégrer dans la ville de Ghardaïa et ses environs. Cette ville est la seule de l’ensemble du territoire algérien à être à majorité de culte ibadite, un rite condamné par de nombreux oulémas musulmans. Trois antagonismes se sont ainsi ancrés dans la région : sédentaires-nomades, berbères-arabes, ibadites-malékites.
A la crise identitaire s’est ajoutée une frustration sociale, concernant essentiellement la jeunesse. Le chômage de masse des jeunes, qui touche davantage les habitants du grand sud algérien, accentue le climat politique malsain dans la région de Ghardaïa. La majorité des émeutiers sont issus de quartiers populaires où les perspectives d’un avenir meilleur sont perçues comme utopiques. Cette frustration sociale s’explique aussi par le décalage entre un chômage de masse et les richesses en ressources gazières de la région. Une partie de cette jeunesse sans emploi est alors attirée par la violence, la consommation et la vente de substances illicites.
Corrélativement, depuis les années 2000, et plus encore après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye en 2011, Ghardaïa, avec d’autres villes sahariennes algériennes, est devenue une plaque tournante de différents trafics illicites de dimension internationale. Tout d’abord, la route de la cocaïne sud-américaine, qui transite par les ports du golfe de Guinée en partance pour l’Europe, traverse la région de Ghardaïa. Le haschich marocain est quant à lui à la fois consommé dans la région et exporté vers la Tunisie et le Moyen Orient via le nord du Sahara algérien. Le trafic et la consommation de drogue ont en partie aggravé les émeutes sociales et identitaires de Ghardaïa en 2014, selon les analyses de chercheurs algériens, relayées dans la presse.
A suivre
Diplômé du Master 2 de Géopolitique à l’Université de Reims en 2014. Cet article est fondé sur son mémoire de recherche consacré aux émeutes de 2013-14 dans la vallée du M’Zab dans la région de Ghardaïa, élaboré sous la direction de Madame Fournet-Guérin, maître de conférences habilitée à diriger des recherches en géographie à l’université de Reims.
Géopolitique du Maghreb. Les médias occidentaux dans l’ensemble n’ont pas fait écho des événements de décembre 2013 et de l’année 2014 qui ont secoué la vallée du M’Zab, dans le Sud algérien. Le Diploweb.com est heureux d’ouvrir l’année en donnant la parole à un diplômé du Master 2 de Géopolitique à l’Université de Reims qui présente les faits et les met en perspective. Comment alors analyser ces violences dont les enjeux s’inscrivent à différentes échelles du territoire algérien et nord-africain ?
LES ÉMEUTES émeutes inter communautaires ayant secoué la région de Ghardaïa, en décembre 2013 et tout au long de l’année 2014, ont marqué la vie politique algérienne. Ghardaïa, ville située à 600 kilomètres au sud d’Alger, peuplée de 200 000 habitants, est essentiellement berbérophone et de rite ibadite. Ces émeutes inter communautaires dans cette partie du pays sont à la fois associées à une crise identitaire et à un risque de désintégration de l’État-nation algérien. La problématique berbère n’est toujours pas réglée en Algérie, et la menace récurrente d’une scission entre le nord et le grand sud inquiète les Algériens.
Cette crise est ainsi susceptible de remettre en cause l’intégrité territoriale de l’Algérie sur le long terme, Ghardaïa étant l’une des portes du Sahara où se développent des mouvements autonomistes berbères. Localement, les événements de Ghardaïa sont toutefois d’abord d’ordre culturel, opposant les Mozabites berbères aux Chaambas arabes. La crise est enfin d’ordre religieux, car s’opposent les Mozabites (habitants du Mzab) de rite ibadite et les Chaambas de rite malékite. Comment alors analyser ces violences dont les enjeux s’inscrivent à différentes échelles du territoire algérien et nord-africain ?
Les faits : destructions, pillages et déplacements de population
Selon la presse algérienne, les émeutes se sont accompagnées de la mort d’une quinzaine de jeunes et du pillage de milliers d’habitations, de magasins et de hangars agricoles, appartenant principalement à la communauté mozabite. Ces émeutiers, au départ principalement originaires de la communauté arabophone, ont vite dû faire face à d’autres casseurs issus des quartiers mozabites. Cette violence qui a opposé les émeutiers des différents quartiers de Ghardaïa a contribué à installer un climat de peur dans la ville. Ghardaïa est devenue une « ville morte » tout au long de l’année 2014, comme l’a relaté la presse algérienne, et comme il a été possible de le constater à l’occasion d’un séjour sur place en août 2014. Le contrôle de certains quartiers, pendant des semaines, par des bandes de jeunes voyous, a contraint des centaines de familles, issues des deux communautés, à quitter leur domicile pour s’installer dans d’autres cités de banlieue plus sûres. Les fonctionnaires et autres salariés n’ont pu accéder à leur lieu de travail situé dans des quartiers à risque. Des cimetières et des mausolées, en majorité mozabites, ont été attaqués et vandalisés par des centaines de casseurs, peu inquiétés par des forces de l’ordre impuissantes. Cette violence sans précédent, qui a duré des mois, a terrorisé les habitants de Ghardaïa et ses environs, peu habitués à une violence urbaine allant jusqu’au meurtre. Des violences inter communautaires ont pourtant souvent secoué la région de Ghardaïa depuis l’indépendance, mais les derniers événements sont les plus graves. Le nombre de morts, une quinzaine, est en effet le bilan le plus sanglant à Ghardaïa depuis l’indépendance du pays, la région n’ayant été que peu affectée par les violences meurtrières des années 1990. Ces violences ont sévi pendant plus de dix mois, alors qu’en général les troubles opposant Mozabites et Chaambas ne perdurent que quelques jours.
Les éléments déclencheurs : mutations démographiques, sociales et géopolitiques dans la région
Ces tensions et violences opposant les deux communautés de la région de Ghardaïa seraient dues à plusieurs facteurs.
Le facteur conjoncturel déclenchant aurait été l’affichage en décembre 2013 d’une liste de personnes ayant obtenu un logement social. Ces attributions ont alors revêtu une connotation « communautaire » lorsque les habitants issus des deux communautés de la ville se sont sentis lésés, chacun croyant que l’autre avait été favorisé.
Les causes de ces violences sont cependant bien plus complexes. L’histoire récente de la région, notamment tout au long du XXe siècle, oppose des Mozabites sédentaires « riches » aux Chaambas nomades « pauvres ». La forte urbanisation que connaît l’Algérie dans les années 1970-1980 s’est accompagnée du déplacement de milliers de nomades vers les grands centres urbains sahariens. Les nomades, essentiellement arabophones et de rite malékite, ont eu des difficultés à s’intégrer dans la ville de Ghardaïa et ses environs. Cette ville est la seule de l’ensemble du territoire algérien à être à majorité de culte ibadite, un rite condamné par de nombreux oulémas musulmans. Trois antagonismes se sont ainsi ancrés dans la région : sédentaires-nomades, berbères-arabes, ibadites-malékites.
A la crise identitaire s’est ajoutée une frustration sociale, concernant essentiellement la jeunesse. Le chômage de masse des jeunes, qui touche davantage les habitants du grand sud algérien, accentue le climat politique malsain dans la région de Ghardaïa. La majorité des émeutiers sont issus de quartiers populaires où les perspectives d’un avenir meilleur sont perçues comme utopiques. Cette frustration sociale s’explique aussi par le décalage entre un chômage de masse et les richesses en ressources gazières de la région. Une partie de cette jeunesse sans emploi est alors attirée par la violence, la consommation et la vente de substances illicites.
Corrélativement, depuis les années 2000, et plus encore après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye en 2011, Ghardaïa, avec d’autres villes sahariennes algériennes, est devenue une plaque tournante de différents trafics illicites de dimension internationale. Tout d’abord, la route de la cocaïne sud-américaine, qui transite par les ports du golfe de Guinée en partance pour l’Europe, traverse la région de Ghardaïa. Le haschich marocain est quant à lui à la fois consommé dans la région et exporté vers la Tunisie et le Moyen Orient via le nord du Sahara algérien. Le trafic et la consommation de drogue ont en partie aggravé les émeutes sociales et identitaires de Ghardaïa en 2014, selon les analyses de chercheurs algériens, relayées dans la presse.
A suivre
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