Dans l'abri de la chancellerie, plus de dix mètres sous terre, le dernier acte du règne d'Adolf Hitler est un huis clos angoissant et pathétique. Soixante-dix ans après, les circonstances de la mort du Führer restent nimbées de mystère. Et alimentent les fantasmes.
A quoi bon? Quelle importance? Qu'y a-t-il à dire, ou plutôt à redire, sur les circonstances de la mort d'Adolf Hitler, il y a soixante-dix ans, dans la capitale en flammes d'un Reich à l'agonie? Tout a été écrit sur le crépuscule du régime nazi et de son chef, les réalités comme les fantasmes. Les fantasmes, surtout.
Dès les jours qui suivent la mort de Hitler, le 30 avril 1945, l'enchaînement des événements dans le bunker du Führer est l'objet d'approximations, d'interprétations, de manipulations. Dans le chaos de la défaite, nombre de témoins importants disparaissent: beaucoup sont arrêtés et faits prisonniers par les troupes soviétiques. Emmenés à Moscou, des proches collaborateurs du dictateur devront attendre 1955 pour être autorisés à rentrer en Allemagne. Quant aux autres, ils livrent des récits souvent contradictoires. Sur les conditions précises dans lesquelles Hitler a mis fin à ses jours, par exemple, au moins quatre versions différentes proviennent des membres de son entourage immédiat. Pis, certains témoins se contredisent eux-mêmes au fil du temps. Quelques épisodes ont laissé des traces écrites, cependant, et ne souffrent aucune contestation. Pris ensemble, ils restituent la vérité sur les dernières semaines de la vie de Hitler. Une vérité pathétique et parfois risible.
A partir de novembre 1944, Hitler s'installe à la chancellerie, l'immense bâtiment que son architecte, Albert Speer, a dressé au numéro 77 de la Wilhelmstrasse, à l'angle de la Voss Strasse, dans le coeur de Berlin. Mais les raids aériens l'obligent à se réfugier dans un bunker souterrain, installé sous les jardins à proximité. Dans ce labyrinthe angoissant, aux murs en béton brut, souvent empesté par des odeurs de gazole, de latrines et de transpiration, il trouve un cadre à la mesure de sa paranoïa. Le couloir d'accès a été transformé en salle d'attente, avec un tapis rouge et une rangée de chaises élégantes. Au-delà, des ampoules électriques nues, vissées au plafond, baignent le bunker dans une lumière crue. Le bureau de Hitler mesure moins de 4 mètres sur 3 et les visiteurs s'y déplacent avec difficulté: la petite pièce réunit un secrétaire, un petit canapé, une table et trois fauteuils. Un imposant portrait de Frédéric le Grand recouvre l'un des murs; le monarque prussien a été sauvé in extremis, au cours de la guerre de Sept Ans, par la mort brutale de l'impératrice russe Elisabeth. "Lorsque des mauvaises nouvelles menacent de me terrasser, observe Hitler, la contemplation de ce tableau me donne du courage." Alors que les troupes soviétiques se rapprochent du centre de Berlin, la toile lui rappelle de tenir coûte que coûte. En attendant un miracle...
"Nous sombrerons en emportant la moitié du monde avec nous"
Pour dîner en compagnie de Hitler, les invités doivent traverser les cuisines et le couloir, puis passer devant les salles des machines, les puits de ventilation et les toilettes, avant de franchir deux portes de fer pour descendre dans le bunker, situé à plus de dix mètres sous terre. C'est dans cette souricière que Hitler transfère peu à peu toutes ses activités. Tout au plus s'accorde-t-il quelques bouffées d'air frais pour laisser sa chienne adorée, Blondi, sortir dans les jardins de la chancellerie. Mais les attaques incessantes de l'artillerie soviétique l'éloignent de plus en plus de la lumière du soleil: la succession du jour et de la nuit devient une abstraction.
Est-ce si grave? Hitler dort rarement plus de trois heures depuis qu'il a échappé de peu à l'attentat commis par le comte Claus Schenk von Stauffenberg, le 20 juillet 1944. Le souffle de l'explosion a touché son oreille interne; conseillé par le Dr Morell, mi-médecin, mi-charlatan, il mêle comprimés, potions et injections, stimulants et sédatifs. Au-dessus de lui, Berlin s'écroule sous les bombardements. L'ancienne chancellerie du Reich, un palais néobaroque remontant à l'époque de Bismarck, est en ruines. Le nouveau bâtiment, dessiné par Speer, est touché en plusieurs endroits. Les jardins eux-mêmes sont troués de cratères d'obus. Dans leur folie expansionniste, les nazis ont toujours décrit la guerre en termes d'offensive. La capitale du Reich n'est pas organisée pour affronter un siège, tant cette éventualité semblait impensable.
Au zoo, alors, des recrues s'exercent au combat en rampant sur les pelouses, tandis que d'autres tapent sur des boîtes de conserve vides pour imiter le bruit des mitrailleuses. Quand les derniers aéroports doivent fermer, Hitler fait atterrir les avions sur l'avenue Unter den Linden, entre la porte de Brandebourg et la colonne de la Victoire, lieu des défilés majestueux d'autrefois: les arbres centenaires sont abattus afin d'élargir la piste, et le dictateur fait supprimer les lampadaires installés par Speer. Le long des rues, les passants tremblent de peur; au moindre soupçon, des "tribunaux motorisés" surgissent et font fusiller ceux soupçonnés de traîtrise, quand ils ne sont pas pendus sur-le-champ. Tandis que l'offensive soviétique se poursuit sans relâche, des milliers de sans-abri tentent de trouver un refuge parmi les ruines fumantes.
Au début des années 1930, évoquant la guerre à venir, Hitler avait prévenu: "Si nous ne sommes pas vainqueurs, nous sombrerons en emportant la moitié du monde avec nous." Les plus fanatisés appliquent la formule à la lettre. Apprenant que les hauts dignitaires du régime fuient Berlin, le Pr Ernst Grawitz, vice-président de la Croix-Rouge allemande et médecin chef de la SS, fait servir le dîner; lorsque sa femme et ses enfants s'assoient à ses côtés, autour de la table, il prend deux grenades à main et fait sauter toute la famille.
Hitler craint qu'on exhibe sa dépouille
Avant de dicter son testament, dans la nuit du 28 au 29 avril, Hitler épouse Eva Braun. Lui qui a toujours estimé qu'en sa qualité de Führer il ne devait avoir aucun lien personnel avec qui que ce soit, il a compris, sans doute, qu'il a perdu la partie. Dimanche 29, les Allemands ne tiennent plus que la partie centrale du quartier des ministères, le zoo et quelques points isolés. A la mi-journée, Hitler demande à Wilhelm Mohnke, le fidèle SS chargé de la défense des quartiers gouvernementaux, combien de temps le front peut tenir: "Au maximum vingt à vingt-quatre heures, mein Führer, pas davantage."
Soudain, tout s'accélère. Hitler avait exprimé la crainte d'être amené à Moscou par les Russes afin d'être exhibé devant la population "dans une cage à singes". Et voilà qu'un aide de camp lui apprend que son vieux complice, Benito Mussolini, a été fusillé. Sa dépouille et celle de sa maîtresse, Clara Petacci, ont été transportées à Milan et pendues par les pieds dans une station-service de la piazzale Loretto, où la foule leur a craché dessus et lancé des pierres. Il est urgent d'en finir. A 7 heures du matin, le 30 avril, Eva Braun monte les marches vers la sortie du bunker pour, dit-elle, "voir une dernière fois le soleil". A peine a-t-elle atteint le seuil de la porte qu'elle doit faire demi-tour: les bombes soviétiques explosent de toutes parts. Vers midi, le général Weidling rapporte que l'ennemi a donné l'assaut au Reichstag.
A quoi bon? Quelle importance? Qu'y a-t-il à dire, ou plutôt à redire, sur les circonstances de la mort d'Adolf Hitler, il y a soixante-dix ans, dans la capitale en flammes d'un Reich à l'agonie? Tout a été écrit sur le crépuscule du régime nazi et de son chef, les réalités comme les fantasmes. Les fantasmes, surtout.
Dès les jours qui suivent la mort de Hitler, le 30 avril 1945, l'enchaînement des événements dans le bunker du Führer est l'objet d'approximations, d'interprétations, de manipulations. Dans le chaos de la défaite, nombre de témoins importants disparaissent: beaucoup sont arrêtés et faits prisonniers par les troupes soviétiques. Emmenés à Moscou, des proches collaborateurs du dictateur devront attendre 1955 pour être autorisés à rentrer en Allemagne. Quant aux autres, ils livrent des récits souvent contradictoires. Sur les conditions précises dans lesquelles Hitler a mis fin à ses jours, par exemple, au moins quatre versions différentes proviennent des membres de son entourage immédiat. Pis, certains témoins se contredisent eux-mêmes au fil du temps. Quelques épisodes ont laissé des traces écrites, cependant, et ne souffrent aucune contestation. Pris ensemble, ils restituent la vérité sur les dernières semaines de la vie de Hitler. Une vérité pathétique et parfois risible.
A partir de novembre 1944, Hitler s'installe à la chancellerie, l'immense bâtiment que son architecte, Albert Speer, a dressé au numéro 77 de la Wilhelmstrasse, à l'angle de la Voss Strasse, dans le coeur de Berlin. Mais les raids aériens l'obligent à se réfugier dans un bunker souterrain, installé sous les jardins à proximité. Dans ce labyrinthe angoissant, aux murs en béton brut, souvent empesté par des odeurs de gazole, de latrines et de transpiration, il trouve un cadre à la mesure de sa paranoïa. Le couloir d'accès a été transformé en salle d'attente, avec un tapis rouge et une rangée de chaises élégantes. Au-delà, des ampoules électriques nues, vissées au plafond, baignent le bunker dans une lumière crue. Le bureau de Hitler mesure moins de 4 mètres sur 3 et les visiteurs s'y déplacent avec difficulté: la petite pièce réunit un secrétaire, un petit canapé, une table et trois fauteuils. Un imposant portrait de Frédéric le Grand recouvre l'un des murs; le monarque prussien a été sauvé in extremis, au cours de la guerre de Sept Ans, par la mort brutale de l'impératrice russe Elisabeth. "Lorsque des mauvaises nouvelles menacent de me terrasser, observe Hitler, la contemplation de ce tableau me donne du courage." Alors que les troupes soviétiques se rapprochent du centre de Berlin, la toile lui rappelle de tenir coûte que coûte. En attendant un miracle...
"Nous sombrerons en emportant la moitié du monde avec nous"
Pour dîner en compagnie de Hitler, les invités doivent traverser les cuisines et le couloir, puis passer devant les salles des machines, les puits de ventilation et les toilettes, avant de franchir deux portes de fer pour descendre dans le bunker, situé à plus de dix mètres sous terre. C'est dans cette souricière que Hitler transfère peu à peu toutes ses activités. Tout au plus s'accorde-t-il quelques bouffées d'air frais pour laisser sa chienne adorée, Blondi, sortir dans les jardins de la chancellerie. Mais les attaques incessantes de l'artillerie soviétique l'éloignent de plus en plus de la lumière du soleil: la succession du jour et de la nuit devient une abstraction.
Est-ce si grave? Hitler dort rarement plus de trois heures depuis qu'il a échappé de peu à l'attentat commis par le comte Claus Schenk von Stauffenberg, le 20 juillet 1944. Le souffle de l'explosion a touché son oreille interne; conseillé par le Dr Morell, mi-médecin, mi-charlatan, il mêle comprimés, potions et injections, stimulants et sédatifs. Au-dessus de lui, Berlin s'écroule sous les bombardements. L'ancienne chancellerie du Reich, un palais néobaroque remontant à l'époque de Bismarck, est en ruines. Le nouveau bâtiment, dessiné par Speer, est touché en plusieurs endroits. Les jardins eux-mêmes sont troués de cratères d'obus. Dans leur folie expansionniste, les nazis ont toujours décrit la guerre en termes d'offensive. La capitale du Reich n'est pas organisée pour affronter un siège, tant cette éventualité semblait impensable.
Au zoo, alors, des recrues s'exercent au combat en rampant sur les pelouses, tandis que d'autres tapent sur des boîtes de conserve vides pour imiter le bruit des mitrailleuses. Quand les derniers aéroports doivent fermer, Hitler fait atterrir les avions sur l'avenue Unter den Linden, entre la porte de Brandebourg et la colonne de la Victoire, lieu des défilés majestueux d'autrefois: les arbres centenaires sont abattus afin d'élargir la piste, et le dictateur fait supprimer les lampadaires installés par Speer. Le long des rues, les passants tremblent de peur; au moindre soupçon, des "tribunaux motorisés" surgissent et font fusiller ceux soupçonnés de traîtrise, quand ils ne sont pas pendus sur-le-champ. Tandis que l'offensive soviétique se poursuit sans relâche, des milliers de sans-abri tentent de trouver un refuge parmi les ruines fumantes.
Au début des années 1930, évoquant la guerre à venir, Hitler avait prévenu: "Si nous ne sommes pas vainqueurs, nous sombrerons en emportant la moitié du monde avec nous." Les plus fanatisés appliquent la formule à la lettre. Apprenant que les hauts dignitaires du régime fuient Berlin, le Pr Ernst Grawitz, vice-président de la Croix-Rouge allemande et médecin chef de la SS, fait servir le dîner; lorsque sa femme et ses enfants s'assoient à ses côtés, autour de la table, il prend deux grenades à main et fait sauter toute la famille.
Hitler craint qu'on exhibe sa dépouille
Avant de dicter son testament, dans la nuit du 28 au 29 avril, Hitler épouse Eva Braun. Lui qui a toujours estimé qu'en sa qualité de Führer il ne devait avoir aucun lien personnel avec qui que ce soit, il a compris, sans doute, qu'il a perdu la partie. Dimanche 29, les Allemands ne tiennent plus que la partie centrale du quartier des ministères, le zoo et quelques points isolés. A la mi-journée, Hitler demande à Wilhelm Mohnke, le fidèle SS chargé de la défense des quartiers gouvernementaux, combien de temps le front peut tenir: "Au maximum vingt à vingt-quatre heures, mein Führer, pas davantage."
Soudain, tout s'accélère. Hitler avait exprimé la crainte d'être amené à Moscou par les Russes afin d'être exhibé devant la population "dans une cage à singes". Et voilà qu'un aide de camp lui apprend que son vieux complice, Benito Mussolini, a été fusillé. Sa dépouille et celle de sa maîtresse, Clara Petacci, ont été transportées à Milan et pendues par les pieds dans une station-service de la piazzale Loretto, où la foule leur a craché dessus et lancé des pierres. Il est urgent d'en finir. A 7 heures du matin, le 30 avril, Eva Braun monte les marches vers la sortie du bunker pour, dit-elle, "voir une dernière fois le soleil". A peine a-t-elle atteint le seuil de la porte qu'elle doit faire demi-tour: les bombes soviétiques explosent de toutes parts. Vers midi, le général Weidling rapporte que l'ennemi a donné l'assaut au Reichstag.
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