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Emmanuel Kant, Penser la pensée

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  • Emmanuel Kant, Penser la pensée

    Avant de vouloir connaître le monde, il faut d’abord connaître 
la pensée, sa puissance et ses limites. Que puis-je connaître ? 
Avec cette question inaugurale, la philosophie se donne un rôle critique.
    « La raison humaine a cette destinée particulière (…) d’être accablée de ques*tions qu’elle ne peut écarter ; car elles lui sont pro*posées par la na**ture de la raison elle-même, mais elle ne peut non plus y répondre, car elles dépassent tout pouvoir de la raison humaine. » Ainsi Emmanuel Kant résume-t-il en quelques mots, en introduction de la Critique de la raison pure, toute l’ambition et les limites de la raison humaine. De par sa nature même, notre esprit ne peut s’empêcher de se poser certaines questions sur l’origine du monde et sa nature profonde ; mais de par sa même nature, notre esprit est incapable d’y répondre. Comment Kant est-il parvenu à cette conclusion pessimiste et qui semble ébranler dans ses fondements l’espoir d’une métaphysique ?


    Une vie au service 
de la pensée


    De celui qui naquit dans la ville de Königsberg (1), en Prusse, et qui devait y mourir sans jamais l’avoir quittée, on a coutume de garder l’image d’un homme à l’existence monotone. Célèbre est la légende de ses promenades quotidiennes, réglées comme une horloge : ses voisins, dit-on, étaient capables d’indiquer, à la minute près, l’heure à laquelle Kant passait devant leur fenêtre. On dit aussi qu’il ne dérogea à ses rituels qu’à deux occasions dans sa vie : lors de la parution du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, en 1762, pour se précipiter chez son libraire, puis à l’annonce de la Révolution française, en 1789, pour se procurer le journal. La vie de Kant est tout entière vouée à l’enseignement et à la recherche et ne connaît d’autres événements marquants que la parution d’œuvres dont certaines ouvriront des voies nouvelles à la philosophie.

    Mais autant est sans grand relief la vie quotidienne de Kant, autant est révolutionnaire sa pensée. Car, de la même façon que l’astronome Nicolas Copernic avait transformé notre rapport à l’univers, au début du XVIe siècle, en montrant que la Terre tourne autour du Soleil, Kant a révolutionné durablement la philosophie en lui donnant un tour « critique ». Sa « révolution copernicienne » à lui consiste à détourner le regard des choses et de leur « essence », pour s’intéresser à notre faculté de connaître, son pouvoir et ses limites. Ce changement de perspective est fondamentalement réflexif : la pensée doit se prendre elle-même pour objet. Avant de vouloir connaître le monde, il faut s’interroger sur notre capacité à le connaître. La première question de la philosophie est donc, selon Kant : « Que puis-je connaître ? »

    La pensée de Kant s’inscrit, comme celle de tous les philosophes, dans une époque et un milieu intellectuel qui lui donnent sens et permettent de mieux la comprendre.

    Né en 1724 en Prusse orientale, Kant est le quatrième d’une famille modeste de onze enfants. Son père est un honnête artisan sellier. Sa mère, une femme très intelligente aux dires mêmes de Kant, est adepte du piétisme, un courant protestant apparu en Prusse, qui prône une discipline morale très rigoureuse associée à une grande rigueur intellectuelle (les piétistes accordent beaucoup d’importance à l’argumentation rationnelle).

    On ne pourra comprendre l’importance de la loi morale chez Kant, et son fameux impératif catégorique, son aversion pour le mensonge et la mauvaise foi, sans prendre en compte cette forte influence du piétisme.

    Au cours de ses études, le jeune Kant va découvrir une autre forme de ri*gueur intellectuelle : celle de la science. L’éducation religieuse lui était apparue comme un « esclavage de la jeunesse ». Sur les bancs de l’université, il s’enthousiasme pour les cours du professeur Martin Knutzen, qui tente de réconcilier le piétisme et le rationalisme philosophique. À cette époque, Kant découvre la physique d’Isaac Newton. Son premier mémoire, Pensées sur la véritable évaluation des forces vives (1746), relève de la physique. 


    L’une de ses premières publications est une Théorie du ciel dans lequel il envisage l’existence des galaxies (qu’il nomme des « univers-îles »). En 1746, son père décède et Kant doit subvenir à ses propres besoins. Il devient précepteur dans diverses familles de la ville, notamment chez la comtesse de Keyserling (il y découvrira le goût pour les conversations mondaines et les réceptions). En 1755, Kant entame sa carrière universitaire, qui va durer quarante ans.

    Au cours de cette longue carrière, les disciplines qu’il va enseigner sont d’une étonnante diversité : logique, mathématiques, morale, anthropologie, théologie mais aussi géographie. Il s’intéresse même à la pyrotechnie ou à la théorie des fortifications ! À l’époque, la philosophie ne ressemble en rien à une discipline spécialisée, séparée des autres savoirs.


    Kant publie beaucoup d’ouvrages de géographie, de morale, de métaphysique… mais cette partie de son œuvre est la moins connue. Elle apparaît après coup comme une période de maturation avant la publication des grandes œuvres qui vont faire sa renommée, et qui figurent aujourd’hui parmi les monuments de la philosophie : les trois « critiques ». Critique de la raison pure paraît pour la première fois en 1781 (Kant a alors 57 ans), suivi de Critique de la raison pratique, puis de Critique de la faculté de juger, en 1788 et en 1790.


    Le projet de Critique 
de la raison pure


    Le projet de la Critique de la raison pure est exposé en préface. Tout part d’une question simple : pourquoi la science progresse-t-elle et pas la philosophie ? Comment se fait-il que l’on parvienne en science à des conclusions unanimes et indiscutables (comme le sont à l’époque les lois newtoniennes) alors que la philosophie est un « champ de bataille », où derrière l’apparence de démonstrations rigoureuses se cachent des opinions diverses ?

    Ces questions poussent à s’interroger sur les modes de connaissance respectifs de la science et de la philosophie, que Kant nomme « métaphysique ». Une première distinction entre science et métaphysique pourrait être que l’une étudie des objets concrets (les astres, le corps humain) alors que l’autre porte sur des notions qui échappent à l’expérience : Dieu, l’âme.

    C’est effectivement un premier point de différence. Mais si Kant prend en compte l’empirisme – la lecture de David Hume l’a sorti de son « sommeil dogmatique » –, il ne se rallie pas pour autant à cette doctrine qui fait de l’expérience le fondement de la connaissance. Car Kant sait qu’il existe dans la science et dans toute connaissance une part qui échappe à l’expérience, ce que Kant l’appelle les jugements « a priori ». Quand je tiens une pierre dans la main, je l’observe sous toutes les coutures : son poids, sa forme, ses couleurs sont des connaissances empiriques, dérivées des sens.

    Mais si la connaissance ne venait que des sens, en manipulant la pierre sous différents angles, je ne percevrais pas une pierre mais des images successives sans ordre. C’est mon esprit qui unifie ces images en un objet. La fusion du multiple en un objet « un » relève pour Kant du jugement a priori, qui dépend de mon esprit et non de l’expérience.

    Le but essentiel de Critique de la raison pure consiste à dégager ce qui, dans l’esprit humain, relève de l’a priori. Kant va s’employer à dévoiler ce que sont les idées « transcendantales » c’est-à-dire qui échappent à l’expérience. Il en va ainsi de l’espace et du temps (encadré ci-dessous), de même que pour d’autres catégories : l’unité, la multiplicité, le tout…

    Si la connaissance est en partie expérimentale, mais réassemblée dans des cadres a priori, cela signifie que notre accès à la réalité n’est pas direct. Nos connaissances ne dévoilent pas le monde tel qu’il est, mais tel que les cadres mentaux permettent de le voir. Dans le langage de Kant, nous ne pouvons avoir accès qu’aux « phénomènes » et non aux « choses en soi » (« noumènes »).

    Si la science se distingue de la métaphysique, c’est en raison du fait qu’elle étudie des phénomènes extérieurs mais peut universaliser ces observations et expériences au moyen de l’outil mathématique (qui relève de jugements a priori). Kant a en tête la physique de Galilée et de Newton, qui a découvert le mouvement des astres en appliquant les mathématiques aux lois de la nature.


    Les limites de la raison


    En revanche, la métaphysique, elle, emploie les mêmes outils de la raison (démonstration) mais sur des objets qui ne sont pas accessibles par l’expérience : Dieu, l’âme, le cosmos.

    Les démonstrations de l’existence de Dieu sont toutes défaillantes, car elles ne font qu’appliquer la raison à des chimères. Kant ne dit pas que Dieu n’existe pas, mais qu’il n’est pas connaissable. Il en va de même pour l’âme ou d’autres notions qui sortent du cadre de l’expérience. L’argumentation de Critique de la raison pure revient donc à condamner toute métaphysique dite « dogmatique ». Cela conduit à définir les bornes de la raison. Notre connaissance du monde est toujours filtrée par la connaissance de ce qu’il est pour nous, c’est-à-dire à travers les cadres mentaux (les catégories ou les schèmes) que nous déployons pour saisir le monde. Les choses telles qu’elles sont « en soi » nous sont à jamais inaccessibles. Est-ce à dire que la raison doit se contenter de s’exercer dans le domaine de la seule science ?

    Une fois que Kant pense avoir mis au jour les mirages de la métaphysique, il reste alors à connaître l’usage légitime de la raison. Pour Kant, sa destination véritable est dans l’action pratique. Tel est le point de départ de Critique de la raison pratique, ouvrage dans lequel il pose les bases d’une philosophie morale fondée sur des critères rationnels et une démonstration. Selon lui, la morale ne peut pas seulement être une série de préceptes sur lesquels régler son action. Elle doit être intérieure et rationnelle : la morale authentique est celle d’un sujet autonome qui fait des choix personnels et universalisables. Tel est le principe de l’impératif catégorique.

    La première question de la philosophie kantienne était : « Que puis-je connaître ? » Elle correspondait au champ de la connaissance et au thème de Critique de la raison pure. Elle visait à établir les conditions de la connaissance et les limites de la raison.

    La deuxième grande question de la philosophie – « Que dois-je faire ? » – ramène justement à la question de l’action et de la morale. C’est l’objet de Critique de la raison pratique mais également de Métaphysique des mœurs (1785). 


  • #2
    suite

    La troisième grande question – « Que m’est-il permis d’espérer ? » – pose le problème du salut et donc de la foi. Sur ce thème délicat, Kant publia, en 1793, La Religion dans les limites de la simple raison, mais l’ouvrage fut censuré par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II. Kant lui ayant fait la promesse de plus traiter de religion dans ses écrits, il considéra ce serment rompu le jour de la mort du souverain.

    Par la suite, Kant rajoutera une quatrième question – « Qu’est-ce que l’homme ? » – en précisant qu’elle intègre les trois précédentes, et ouvre un nouveau champ de connaissances : « l’anthropologie ». C’était appeler à la naissance des sciences humaines qui commençaient alors tout juste à germer.

    Les failles de la raison pure

    Toute personne ayant réfléchi un jour sur la structure de l’univers n’a pas manqué de se poser la question de 
ses limites. Or, lorsque l’on tente de concevoir l’univers 
dans son ensemble, on se heurte immanquablement à 
ce problème : si l’univers a des limites, la raison 
nous pousse à nous demander ce qu’il y a au-delà, car notre esprit est incapable de penser un univers limité avec « rien » à l’extérieur. Mais inversement, envisager l’univers comme infini est tout aussi impensable. Que l’on tourne la question dans tous les sens, l’idée d’infini, tout comme celle de limite de l’univers, échappe à notre entendement…


    Pour Emmanuel Kant, cette impasse logique (qu’il nomme « aporie ») surgit lorsque nous cherchons à appliquer hors du champ de notre expérience courante une notion comme 
la notion d’espace, qui n’appartient pas à l’univers 
mais à la structure de notre esprit. 

    « L’espace n’est pas un concept empirique, qui ait été tiré d’expérience externe, (…) c’est une représentation nécessaire, a priori » (c’est-à-dire antérieure à l’expérience), notait Kant. Il en va de même pour le temps. 
Nous pensons le temps de façon linéaire, comme une ligne allant du passé au futur, que l’on découpe en séquences.

    Mais dès que l’on cherche à transposer cette vision 
du temps à l’univers, on se heurte aussi à la question 
des limites. L’univers a-t-il un début (mais alors 
qu’y avait-il avant) ? Ou bien est-il éternel 
(mais un univers sans début est tout aussi impensable) ? Cette impasse du raisonnement vient de la transposition au cosmos de ce qui n’est en fait qu’un cadre mental, 
celui du temps linéaire.

    Ce que nous croyons être des propriétés de la nature, comme l’espace en trois dimensions, le temps linéaire, sont en fait des « formes » ou « catégories » de 
notre pensée. Vouloir les transposer dans l’absolu pour penser la structure de l’univers conduit à des impasses. Ces impasses révèlent les failles de la « raison pure ».
    Louisa Yousfi


    sciences humaines

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    • #3
      merci pour le partage

      ............
      Dernière modification par absente, 10 septembre 2015, 19h20.

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      • #4
        Lycéen, j'avais un ami qui savait tout juste écrire son nom et il en avait beaucoup de peine.
        Une fois, nous l'avions vu avec l'Étranger de Camus dans les mains. Il était en train de le lire pour les autres, il faisait semblant pour nous qui le connaissions.

        Alors, nannou,
        -Que pouvait-il espérer notre ami?

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        • #5
          ...........
          Dernière modification par absente, 10 septembre 2015, 19h17.

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          • #6
            ...

            Face à bien des pensées, la réalité n'a aucun défaut et face à bien des réalités la pensée n'a aucune densité...

            Donc si vous estimez à leur juste valeur certains angles/points de vue, ou certaines existences/natures, ils et elles sont à leur place sans perfidie ni cynisme en tous genres...

            D'ailleurs vous remarquerez également, également faisant le poids et la mesure d'une ou des idées définie)s) au gré de chaque connaissances, que quant il s'agit d'admettre le degré d'une d'entre elles, ce dernier s'emploie tout aussi bien à tout)e un)e chacun)e, comme une température un angle ou un sens verbal et rapproché de la qualité des signes directement ou indirectement recherchés...

            Face à bien des univers, la réalité a toute modestie...

            Salam, merci...
            ...Rester Humain pour le devenir de l'Homme... K.H.R.

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            • #7
              Salam

              Le problème qui se pose n'est pas de savoir ce que les philosophes disent de la pensée, du monde ou de la peinture sur soie...

              Personnellement, je me suis usé, depuis bien longtemps, à lire et relire les uns les autres...

              Les différents pavés qu'ils ont posé sont lourds, parfois indigestes, souvent haut perchés, avec Zarathoustra Nietsche a déconcerté car ses propos sont souvent, toujours? hors de portée...

              Philosopher, c'est vivre, observer, communiquer, partager...

              Kant, Hegel, bref tous ces gens là, ont l'art de la rhétorique et ont vécu da&ns des musées habités par des ombres...
              Dernière modification par amarlekabyle, 09 août 2015, 09h09.

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