Les Talibans ont publié jeudi 30 juillet un communiqué pour annoncer la mort du Mollah Omar depuis plus de deux ans. Un pied de nez aux centaines de milliards investis par les Etats-Unis en matière de renseignements, et à la stratégie consistant à miser sur la récolte de données plutôt que l'acquisition d'informations par voie humaine.
Atlantico : Jeudi 30 juillet, les talibans ont adressé un communiqué dans lequel ils déclarent que le Mollah Omar est mort depuis un an. Comment expliquer que malgré la présence militaire occidentale, dont on se doute qu'elle s'accompagne des services de renseignements, cette information n'émerge que 2 ans après les faits. Est-ce le révélateur d'une faillite du renseignement ?
Alain Chouet : Début 2002, Mollah Omar s’est bien enfui en mobylette au nez et à la barbe de la plus puissante armée du monde et ses moyens sophistiqués de surveillance et d’interception…. Il ne s’agit pas là d’une faillite du renseignement mais d’un problème d’adaptation de nos moyens d’acquisition et d’exploitation de l’information à des réalités de terrain très différentes les unes des autres. On ne s’informe pas sur les agissements d’une bande criminelle comme sur les mouvements d’une armée constituée telle que l’était l’armée rouge.
Pour faire bref, on ne chasse pas les moustiques à la mitrailleuse…
Quels que soient les moyens mis en œuvre, il est pratiquement impossible d’assurer la traçabilité d’un chef de gang restreint qui n’utilise pas de moyens techniques de correspondance et surtout qui bénéficie de larges complicités sur le terrain, y compris des services locaux de police et de renseignement.
Christian Harbulot : Il semble qu'effectivement cette méconnaissance de la mort du Mollah Omar souligne soit un manque d'appréciation de la part des services de renseignement américains, soit la volonté délibérée de ne pas s'en prendre à lui. Cela peut également s'expliquer par les soutiens que cet homme a pu obtenir de la part du Pakistan, mais il est évidemment très étrange, à l'heure où l'on décrit le degré de perfection du renseignement occidental, que les Etats-unis n'aient pas été au courant plus tôt de son décès.
Quels moyens avaient été mis en place sur le terrain afghan ? Pour quels résultats ?
Alain Chouet : Ce sont les moyens classiques de toute intervention "moderne" sur des terrains exotiques : surveillance aérienne et satellitaire, renseignement d’origine électro-magnétique (écoutes), utilisation de sources humaines locales, échanges avec les services de renseignement et de police locaux. Le problème est que dans des sociétés rustiques comme la société afghane, le renseignement technologique ne donne pas grand-chose et que les populations locales ont plus à craindre des chefs de bande autochtones que des armées d’occupation qui ont de plus tout fait pour se faire haïr.
Enfin, et s’il est avéré que Mollah Omar est mort à Karachi, sa présence – comme avant lui, celle de Ben Laden à Abbottabad - ne pouvait être ignorée des services de renseignement locaux qui se sont bien gardés d’en informer ceux qui persistent contre toute évidence à les considérer comme des "alliés". Mais c’est là un problème politique qui ne concerne qu’indirectement les services de renseignement
Christian Harbulot : Les Etats-Unis ont toujours joué sur plusieurs tableaux parfois très contradictoires. Ceci a porté atteinte à la cohérence de leur politique de renseignement dans la mesure où les orientations sur zone avaient des objectifs qui s'entrechoquaient :
- leurs relations avec le Pakistan (allié privilégié contre les Russes depuis l'intervention soviétique dans cette partie du monde);
- leur volonté affichée de lutter contre le régime des Talibans après les attentats du 11 septembre et leurs premiers loupés lorsqu'ils ont reconnu avoir raté le mollah Omar lors du début de leur offensive contre les talibans.
- leur processus d'enlisement en Afghanistan qui laisse une impression très mitigée sur la finalité réelle de leur stratégie.
Dans ce conflit, les moyens de renseignement mis en œuvre par les forces occidentales ont porté principalement sur des objectifs de nature politico-militaire, en appui des forces déployées sur le terrain.
En matière de renseignement militaire classique, des unités françaises déployées sur le terrain, notamment psy ops, ont malgré tout réussi à négocier avec des chefs talibans locaux. Un certain nombre d'attaques ont pu être évitées grâce à l'instauration de pactes de non-agression.
Les services de renseignements américains investissent considérablement dans la surveillance via des moyens technologiques. Pour preuves, les nombreux partenariats passés avec des start-ups de la Silicon Valley, à l'image de celui passé avec IQT en 2013. Si ces outils technologiques -stockage et analyse de big data, virus espions informatiques- ont démontré une certaine efficacité à espionner des pays développés comme la France, l'Allemagne, ainsi que certaines institutions européennes, sont-ils pour autant adaptés au renseignement dans des environnements comme celui de l'Afghanistan ?
Alain Chouet : Après l’audition piteuse du chef de la NSA en octobre 2013, la commission du renseignement du Congrès américain a conclu tout à fait officiellement et publiquement : "La preuve ne nous a jamais été apportée que la collecte massive et indifférenciée de données ait permis de prévenir un seul attentat terroriste". On ne saurait mieux dire même si ce rapport a été soigneusement mis sous le tapis par l’exécutif et les médias.
Et on ne peut en effet que constater que les écoutes massives de la NSA, entreprises dans le sillage du Patriot Act n’ont permis de prévenir ni les attentats de Boston, ni les violences mortelles avec armes perpétrées quasi quotidiennement sur le territoire des Etats-Unis, dans des écoles, des casernes, des centres commerciaux ou des églises par des citoyens américains qui ne se cachaient nullement de leurs délires et manifestaient leurs intentions meurtrières sur Internet.
Quant aux "vrais" terroristes, il y a longtemps qu’ils ont compris que toute communication passant par des ondes ou des fils électriques pouvait être interceptée et, comme les mafieux, ils communiquent par voie postale ou, de préférence, par messager humain.
Pour résumer, le renseignement technique se montre d’une efficacité redoutable face à des sociétés technologiquement évoluées très dépendantes des moyens de transmission et de stockage électronique de l’information (d’où son usage extensif en matière de renseignement économique et politique). Il l’est beaucoup moins, voire pas du tout, face à des sociétés rustiques ou des groupes rompus à la clandestinité parce qu’ils poursuivent des objectifs criminels.
Christian Harbulot : Les outils technologiques sont adaptés surtout si l'adversaire commet des erreurs. Pour prendre l'exemple du théâtre du Mali, le fait que des forces rebelles aient eu pour coutume de faire un feu chaque matin pour chauffer leur thé, leur a coûté cher, en permettant aux services militaires français qui observaient cette zone de connaître avec une précision inégalable les positions rebelles et de les attaquer. Ce type de démarche en Afghanistan n'a pas eu la même efficacité du fait de la configuration du terrain montagneux, dont les talibans ont largement profité pour se cacher dans des cavernes ou se fondre dans la population. D'autant que les talibans ont compris très tôt que l'utilisation de téléphones cellulaires pouvait provoquer des attaques ciblées de la part des forces occidentales.
Atlantico : Jeudi 30 juillet, les talibans ont adressé un communiqué dans lequel ils déclarent que le Mollah Omar est mort depuis un an. Comment expliquer que malgré la présence militaire occidentale, dont on se doute qu'elle s'accompagne des services de renseignements, cette information n'émerge que 2 ans après les faits. Est-ce le révélateur d'une faillite du renseignement ?
Alain Chouet : Début 2002, Mollah Omar s’est bien enfui en mobylette au nez et à la barbe de la plus puissante armée du monde et ses moyens sophistiqués de surveillance et d’interception…. Il ne s’agit pas là d’une faillite du renseignement mais d’un problème d’adaptation de nos moyens d’acquisition et d’exploitation de l’information à des réalités de terrain très différentes les unes des autres. On ne s’informe pas sur les agissements d’une bande criminelle comme sur les mouvements d’une armée constituée telle que l’était l’armée rouge.
Pour faire bref, on ne chasse pas les moustiques à la mitrailleuse…
Quels que soient les moyens mis en œuvre, il est pratiquement impossible d’assurer la traçabilité d’un chef de gang restreint qui n’utilise pas de moyens techniques de correspondance et surtout qui bénéficie de larges complicités sur le terrain, y compris des services locaux de police et de renseignement.
Christian Harbulot : Il semble qu'effectivement cette méconnaissance de la mort du Mollah Omar souligne soit un manque d'appréciation de la part des services de renseignement américains, soit la volonté délibérée de ne pas s'en prendre à lui. Cela peut également s'expliquer par les soutiens que cet homme a pu obtenir de la part du Pakistan, mais il est évidemment très étrange, à l'heure où l'on décrit le degré de perfection du renseignement occidental, que les Etats-unis n'aient pas été au courant plus tôt de son décès.
Quels moyens avaient été mis en place sur le terrain afghan ? Pour quels résultats ?
Alain Chouet : Ce sont les moyens classiques de toute intervention "moderne" sur des terrains exotiques : surveillance aérienne et satellitaire, renseignement d’origine électro-magnétique (écoutes), utilisation de sources humaines locales, échanges avec les services de renseignement et de police locaux. Le problème est que dans des sociétés rustiques comme la société afghane, le renseignement technologique ne donne pas grand-chose et que les populations locales ont plus à craindre des chefs de bande autochtones que des armées d’occupation qui ont de plus tout fait pour se faire haïr.
Enfin, et s’il est avéré que Mollah Omar est mort à Karachi, sa présence – comme avant lui, celle de Ben Laden à Abbottabad - ne pouvait être ignorée des services de renseignement locaux qui se sont bien gardés d’en informer ceux qui persistent contre toute évidence à les considérer comme des "alliés". Mais c’est là un problème politique qui ne concerne qu’indirectement les services de renseignement
Christian Harbulot : Les Etats-Unis ont toujours joué sur plusieurs tableaux parfois très contradictoires. Ceci a porté atteinte à la cohérence de leur politique de renseignement dans la mesure où les orientations sur zone avaient des objectifs qui s'entrechoquaient :
- leurs relations avec le Pakistan (allié privilégié contre les Russes depuis l'intervention soviétique dans cette partie du monde);
- leur volonté affichée de lutter contre le régime des Talibans après les attentats du 11 septembre et leurs premiers loupés lorsqu'ils ont reconnu avoir raté le mollah Omar lors du début de leur offensive contre les talibans.
- leur processus d'enlisement en Afghanistan qui laisse une impression très mitigée sur la finalité réelle de leur stratégie.
Dans ce conflit, les moyens de renseignement mis en œuvre par les forces occidentales ont porté principalement sur des objectifs de nature politico-militaire, en appui des forces déployées sur le terrain.
En matière de renseignement militaire classique, des unités françaises déployées sur le terrain, notamment psy ops, ont malgré tout réussi à négocier avec des chefs talibans locaux. Un certain nombre d'attaques ont pu être évitées grâce à l'instauration de pactes de non-agression.
Les services de renseignements américains investissent considérablement dans la surveillance via des moyens technologiques. Pour preuves, les nombreux partenariats passés avec des start-ups de la Silicon Valley, à l'image de celui passé avec IQT en 2013. Si ces outils technologiques -stockage et analyse de big data, virus espions informatiques- ont démontré une certaine efficacité à espionner des pays développés comme la France, l'Allemagne, ainsi que certaines institutions européennes, sont-ils pour autant adaptés au renseignement dans des environnements comme celui de l'Afghanistan ?
Alain Chouet : Après l’audition piteuse du chef de la NSA en octobre 2013, la commission du renseignement du Congrès américain a conclu tout à fait officiellement et publiquement : "La preuve ne nous a jamais été apportée que la collecte massive et indifférenciée de données ait permis de prévenir un seul attentat terroriste". On ne saurait mieux dire même si ce rapport a été soigneusement mis sous le tapis par l’exécutif et les médias.
Et on ne peut en effet que constater que les écoutes massives de la NSA, entreprises dans le sillage du Patriot Act n’ont permis de prévenir ni les attentats de Boston, ni les violences mortelles avec armes perpétrées quasi quotidiennement sur le territoire des Etats-Unis, dans des écoles, des casernes, des centres commerciaux ou des églises par des citoyens américains qui ne se cachaient nullement de leurs délires et manifestaient leurs intentions meurtrières sur Internet.
Quant aux "vrais" terroristes, il y a longtemps qu’ils ont compris que toute communication passant par des ondes ou des fils électriques pouvait être interceptée et, comme les mafieux, ils communiquent par voie postale ou, de préférence, par messager humain.
Pour résumer, le renseignement technique se montre d’une efficacité redoutable face à des sociétés technologiquement évoluées très dépendantes des moyens de transmission et de stockage électronique de l’information (d’où son usage extensif en matière de renseignement économique et politique). Il l’est beaucoup moins, voire pas du tout, face à des sociétés rustiques ou des groupes rompus à la clandestinité parce qu’ils poursuivent des objectifs criminels.
Christian Harbulot : Les outils technologiques sont adaptés surtout si l'adversaire commet des erreurs. Pour prendre l'exemple du théâtre du Mali, le fait que des forces rebelles aient eu pour coutume de faire un feu chaque matin pour chauffer leur thé, leur a coûté cher, en permettant aux services militaires français qui observaient cette zone de connaître avec une précision inégalable les positions rebelles et de les attaquer. Ce type de démarche en Afghanistan n'a pas eu la même efficacité du fait de la configuration du terrain montagneux, dont les talibans ont largement profité pour se cacher dans des cavernes ou se fondre dans la population. D'autant que les talibans ont compris très tôt que l'utilisation de téléphones cellulaires pouvait provoquer des attaques ciblées de la part des forces occidentales.
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