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Mémoire: Moudjahidate entre souvenirs et soupirs...

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  • Mémoire: Moudjahidate entre souvenirs et soupirs...

    Koula, Yamina, Djouher, Kheloudja et Chavha sont cinq anciennes moudjahidate de la Wilaya III. Elles sont de Mekla et de Larbaâ Nath Irathen (Fort national). Durant la guerre de libération nationale, comme tant d’autres, elles ont été moussabilate, infirmière, cuisinière, agent de liaison dans les rangs de l’Armée de libération nationale (ALN).



    Le nom de ces femmes ne figure dans aucun livre d’histoire. Elles-mêmes ne conservent presque aucun détail des structures dans lesquelles elles militaient, ni des chefs sous lesquels elles opéraient. Ce dont elles se souviennent le plus, « c’est que c’était la guerre » ! « El guirra ! », comme elles disent toutes, et de la « nécessité de se battre pour la liberté ».

    Quand elles parlent, difficilement face à une journaliste, alors qu’entre elles, elles débordent d’énergie volubile, ces héroïnes ont encore l’amour du pays chevillé au corps. Chez elles, à l’occasion de l’anniversaire du 20 Août, on s’est rendus pour découvrir de vénérables octogénaires qui ont encore bon pied bon œil, qui minimisent ce qu’elles étaient et ce qu’elles ont fait pour l’Algérie, qui déroulent leur quotidien comme si c’était hier. Avec, cependant, une retenue évidente de ne pas tout dire… L’âge ? Peut-être. Mais pour « éviter des détails qui ne comptent pas », dira l’une d’elles. « L’essentiel est que le pays soit libre. » Dans leur récit, la difficulté (ou la paresse) de ressusciter fidèlement les acteurs de l’époque, leurs noms, leurs grades, côté algérien et côté français. Mais aussi, la fierté de s’être battues pour le pays. Une certaine déception aussi « parce que les choses ne vont pas aussi bien » qu’elles le voulaient.Verbatim. Entre souvenir, rire et soupir.


    Koula Krouri
    « J’ai rejoint le maquis dès les premiers mois de la guerre. A cette époque, j’avais 20 ans, mes principales tâches, comme toutes les autres femmes, étaient agent de liaison, cuisinière, couturière. C’était selon les besoins de la Révolution et du maquis… Mon village, Tizi Bouamane, avait l’avantage d’être difficile d’accès et d’encerclement par l’armée française, puisqu’il est situé au carrefour de plusieurs autres villages, avec plusieurs possibilités d’y entrer et d’en sortir. Les moudjahidine avaient très vite pris conscience de cet avantage et ont décidé d’y installer un centre de commandement. Ainsi, le PC de la région et le refuge fixe s’y sont établis. Tout le village était concerné par la guerre, un roulement y avait été organisé auprès de toutes les familles, elles devaient fournir le ravitaillement des troupes dans les maquis environnants. L’endroit était sûr pour l’ensemble des moudjahidine, ils pouvaient circuler en toute liberté, mais plus les mois passaient, plus l’armée française se faisait plus présente. Ça ratissait de partout. On commençait alors à se faire griller par les villageois qui se faisaient attraper et qui cédaient sous la torture. Les murs de mon village sont devenus trop dangereux. Le seul choix qui s’offrait à moi était de rejoindre le maquis. Je priais tous les jours pour ne pas me faire attraper. La torture, ce qu’on en disait, me faisait peur, j’avais peur de dénoncer. Je suis humaine, après tout. D’ailleurs, je n’en ai jamais voulu à ceux qui parlaient après avoir subi des sévices. Mon périple commence dans le maquis de Tizi Bouamane, puis je suis affectée dans celui du village voisin, Tandlesth. Les échos de mes activités arrivent jusqu’aux oreilles de l’officier Schneider qui donne alors l’ordre de me prendre morte ou vive. Là encore, je n’avais pas le choix, je quitte ma région pour aller, dans un premier temps, à Aïn El Hammam, puis à Sidi Naâmane, jusqu’à la fin de la guerre. Je me souviens que, parfois, les hommes avaient beaucoup de mal à composer avec les femmes soldats, j’ai beaucoup d’anecdotes à ce sujet. Mais comme j’étais une femme avec un fort caractère, je ne me laissais jamais faire. Dans les maquis, il y avait beaucoup de femmes, toutes les moussabilate recherchées s’y réfugiaient, mais très peu ont pris les armes une fois sur place. Au total, j’ai passé presque sept ans au maquis. Et je suis prête à le refaire si le pays est à nouveau menacé. Je dois dire que je regrette beaucoup ce temps, où les cœurs des Algériens battaient à l’unisson pour leur patrie. »

    Djouher Adli
    « Je n’avais pas trop le choix. Mon destin était tracé dès que les moudjahidine ont décidé d’installer dans notre village (Hadjadj, près de Mekla) un refuge fixe dans notre maison. Ma sœur et moi, on gérait le refuge, on devait laver et coudre les tenues des djounoud de l’ALN, cuisiner pour eux, mais on n’avait jamais accès à l’abri des moudjahidine, lui aussi construit dans notre maison. Je me souviens très bien de sa construction, mais aussi de sa destruction. Des moudjahidine d’une autre région sont venus pour y trouver refuge, ils ont parlé à ceux qu’ils ont trouvé là-bas, ils leur ont dit que le colonel Amirouche doit venir se reposer, puisque ce village n’était pas encore gangréné par les harkis. Je ne saurais vous dire quelle année on était, je ne me souviens plus. Mais Amirouche n’est finalement jamais venu. En revanche, beaucoup d’autres djounoud blessés ou recherchés s’y cachaient, on allait chercher le médecin, un Français, nous les femmes, et on le faisait rentrer en cachette, on avait peur que les harkis le dénoncent. Mais il faut croire qu’on n’a pas été prudentes, puisque le refuge et la maison de mes parents ont été pris d’assaut par l’armée française, je m’en souviens très bien, j’avais 20 ans. Ils y ont mis une bombe, tout a explosé, moi et les autres moussabilate, notamment ma sœur, on s’était enfuies. Aujourd’hui encore, je vois le feu tout brûler. Quelques jours plus tard, alors que j’avais rejoint le maquis comme moussabila, j’apprenais que mon cousin avait été tué dans ce bombardement.
    De ce temps, je ne regrette rien, je me suis battue pour l’Algérie, mais aujourd’hui, on ne sait plus ce que veut dire être Algérien, je me suis battue pour être une Algérienne, mais voilà que je suis prisonnière de mon village Hadjadj, à Akerou. Je n’en suis presque jamais sortie. C’est drôle. »


    Yamina Lacheb
    « Mon travail était surtout agent de liaison, je passais le plus clair de mon temps à sillonner la Kabylie pour les contacts avec les moudjahidine. Je me souviens qu’une fois à Aïn El Hammam, j’ai été prise au piège par un raid de l’armée française, je ne savais plus où me cacher ou quoi faire. J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai couru vers une maison. Là, il y avait des femmes qui m’ont fait rentrer et m’ont donné des vêtements propres. Quand des étrangers arrivaient, je faisais semblant de nettoyer l’étable. (…) Parfois, la population n’en pouvait plus de devoir payer les impôts aux moudjahidine, de devoir leur cuisiner, toute notre vie tournait autour d’eux. En ces temps, c’était dur, tout était destiné aux maquis, je me souviens, le peu de nourriture qu’on avait, on devait la garder aux moudjahidine. Les temps étaient durs et les moudjahidine ne nous laissaient pas le choix parfois, si on refusait de payer l’impôt, ils nous menaçaient ou nous traitaient de harkis. Une fois, un harki a dénoncé tout le monde, les moussabiline et les gens comme moi qui donnent juste un coup de main. Dans mon inconscience, je n’ai pas pensé à fuir, les soldats français viennent à la maison, deux d’entre eux me prennent, ils me font rentrer dans une maison, ils m’ont battue, ils voulaient que je leur donne l’emplacement des moudjahidine. Durant des heures, mon corps était suspendu en l’air. Dieu merci, je n’ai pas été déshonorée, j’ai reçu des coups, beaucoup. Mon seul soutien durant ces quelques heures était un vieux monsieur complètement défiguré qui m’encourageait de ne rien dire. Moudjahida ? Oui, peut-être. Je n’ai jamais pensé à faire mes papiers. De plus, à cette époque, c’était ma mère qui était la vraie moussabila, elle prenait de grands risques. »
    dz(0000/1111)dz

  • #2
    Kheloudja Lacheb
    « Notre village Tizi Bouamane a beaucoup donné à cette guerre, beaucoup de femmes ont été violées, beaucoup de femmes ont été répudiées par leurs maris. Les pauvres femmes étaient punies non seulement par le déshonneur de l’armée française, mais aussi par le jugement du village et par la répudiation du mari. Il a fallu que les grands moudjahidine, surtout ceux qui faisaient de la politique, menacent de tuer n’importe quel homme qui répudie sa femme à cause d’un viol. Les dernières années de la guerre, il y a eu beaucoup de morts dans les rangs des moudjahidine, notre village a été brûlé et nous autres habitants on est tous partis, il y a eu des changements au sein même de l’armée française, la plupart des soldats étaient noirs, des Sénégalais, je crois. Un jour, ils se sont attaqués au village, je pense que c’était pendant l’opération Jumelles, on a dû quitter notre village durant deux ans. Ce qui est dommage, c’est que les jeunes générations ignorent tout ça, elles pensent que l’histoire c’est juste ce qui se dit à Alger… On devrait tout faire pour que le monde regarde vers notre petit village et comprenne quelle a été sa résistance et son héroïsme. »

    Chavha Houali
    « Moi, je n’ai jamais rejoint le maquis, j’ai commencé à être active comme moussabila en 1956, on était tous conscients des risques à prendre. La première fois que j’ai été emprisonnée, c’était à cause d’une lettre qu’un martyr avait sur lui. Cette fois-là, j’ai été emprisonnée durant un mois, cette fois-là on a juste été roués de coups, mais jamais torturés. La deuxième fois, j’ai été prise au piège lors d’un accrochage entre les moudjahidine et les soldats français. Cette fois, les soldats ont été particulièrement violents ; tortures à l’électricité et eau chaud a été notre quotidien. Mon village, Aït Frah, a commencé la lutte bien avant 1954, puisque les hommes ont commencé la lutte politique très tôt. Nous, les femmes, comme on n’avait pas accès aux études, on n’a jamais fait de la politique, mais, dans le feu de l’action, on aidait. Sacrément. Il fallait sortir et aller d’un village à l’autre, même sous le couvre-feu. C’était très dur, car pour certains, qui ne savaient pas ce qu’on faisait, c’était enfreindre les coutumes et les traditions qu’on ne respectait plus à leurs yeux. Comme vous le savez, à cette époque, les femmes ne pouvaient pas sortir sans protection masculine.
    Je ne saurais dire si cela était juste ou injuste, on n’avait pas trop de temps à consacrer à ces questions. Nous, à l’époque, tout ce qu’on savait, c’est que les femmes devaient aider les hommes pour gagner la guerre. Vous savez, nous on était loin de la politique, tout ce qu’on savait, c’est qu’on devait libérer notre nation. Moi, personnellement, je me suis battue pour ma terre et ma religion qui n’a rien à voir avec ce qu’on voit et ce qu’on entend aujourd’hui. Et je dois avouer qu’avant de me retrouver dans un refuge comme moussabila, je n’avais conscience de rien, ni de la guerre ni de la nation, je savais juste que ce que faisait la France n’était pas bon et que c’était l’ennemi. Grâce à Dieu, les femmes algériennes aujourd’hui sont plus libres et elles le doivent beaucoup à leurs aînées, même si nous à notre époque on était loin de savoir qu’on était en train de changer la face de notre société, surtout après l’opération Jumelles, où la plupart des hommes ont été tués. »

    par Tinhinane Makaci
    le roportiers dz
    dz(0000/1111)dz

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