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La langue arabe reprend sa place par A. Mehri

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  • La langue arabe reprend sa place par A. Mehri

    L’arabisation donne au peuple l’instrument linguistique de son développement culturel, scientifique et technique

    La langue arabe reprend sa place
    par Abdelhamid Mehri, janvier 1972




    Dans tous les domaines de l’activité nationale (administrations, entreprises publiques, information ou enseignement) des mesures tendant à rendre à la langue arabe « sa dignité et son efficacité en tant que langue de civilisation » (1) sont prises et appliquées. Qu’on les juge insuffisantes ou révolutionnaires, un fait est certain : elles ont créé sur le plan linguistique une situation nouvelle. La langue arabe reprend progressivement la place que le peuple algérien n’a cessé depuis toujours de revendiquer pour elle.

    Dans l’administration on exige maintenant de tous les fonctionnaires de justifier d’un minimum de connaissances en langue arabe. Le premier examen de niveau organisé à cet effet doit se dérouler prochainement. Dans les entreprises publiques, des cours d’arabe sont organisés ; les ouvriers des villes et des campagnes suivent des cours d’alphabétisation dans des centres qui se multiplient depuis que les écoles élémentaires intègrent à leur activité à partir de cette année la fonction d’alphabétisation. Deux millions cinq cent mille élèves fréquentent les établissements d’enseignement élémentaire, moyen et secondaire, où la langue arabe est enseignée à tous les niveaux du cursus scolaire.

    De plus, presque toutes les matières dites littéraires sont dispensées, dans tous les établissements, dans la langue nationale. Un certain nombre d’établissements élémentaires, moyens et secondaires (2) donnent un enseignement totalement arabisé, le français et les autres langues étrangères n’y étant enseignées que comme deuxième ou troisième langue. Depuis cette année, le tiers des élèves engagés dans le premier cycle et le second cycle de l’enseignement secondaire suivent un enseignement complet en langue arabe. Pour faire face à l’extension de l’arabisation de l’enseignement, l’Institut pédagogique national algérien a édité en langue arabe pour la présente année scolaire 2 724 000 ouvrages dans toutes les disciplines et en a importé 87 400.

    Dans ce même ordre d’idées, il convient de signaler que les instituts de technologie de l’éducation (ex-écoles normales) ont été totalement réformés en fonction précisément du développement de l’arabisation du système éducatif. Les éducateurs formés dans ces instituts sont à même de prendre en charge un enseignement arabisé tant au niveau élémentaire que moyen.

    L’Ecole normale supérieure de Qouba forme également dans ses sections arabisées des professeurs qui peuvent assurer un enseignement arabisé dans toutes les disciplines.

    Comme on le voit, le processus d’arabisation est engagé. Il peut paraître lent, mais il est irréversible.

    Il est vrai, comme on l’a fait remarquer (3), qu’avant de s’engager dans cette politique « aucun sondage d’opinion, aucune enquête scientifique et méthodique, n’ont été tentés par un organisme officiel auprès d’un large public pour savoir ce que celui-ci pense de l’arabisation ». Si les responsables algériens ne l’ont pas fait, ce n’est pas par méconnaissance des méthodes scientifiques. Mais l’attachement du peuple algérien à sa langue nationale est suffisamment connu pour ne pas nécessiter un quelconque sondage. De plus, on voit mal dans le cas concret de l’Algérie l’intérêt pratique d’un recours aux techniques indiquées, à moins qu’on n’imagine les Algériens acceptant un jour de se replier chacun sur son parler régional et investissant une langue étrangère du rôle de « lingua franca » (4). Ce serait là une lourde méconnaissance du fonds commun de civilisation du peuple algérien. En outre, au moment où les dirigeants algériens sont obligés de donner à la population des justifications sur le rôle important que joue encore la langue française chez nous, il peut paraître pour le moins incohérent, sinon équivoque, d’entreprendre un sondage d’opinion pour savoir ce que cette même population « pense de l’arabisation »...

    On fait également remarquer que la langue arabe telle qu’elle est enseignée « ... n’est pas la langue maternelle des Algériens ». Certains disent qu’elle « ... n’est pas la langue de naissance de tous les Algériens ». Mais la langue française n’est pas la langue des Algériens, et continuer à la leur imposer à l’école et dans la vie n’aura pas seulement pour résultat d’entraver l’expansion de l’arabe littéraire, mais aussi d’étouffer les parlers populaires, qu’ils soient d’origine arabe ou d’origine berbère.

    Faut-il rappeler à cet égard que le premier texte rendant l’apprentissage de la langue arabe « obligatoire pour tous les élèves sans distinction » en Algérie date de 1961 et est signé Charles de Gaulle ?

    « Pourquoi arabiser ? » La question a été posée ; elle continue d’intéresser beaucoup de ceux qui suivent l’évolution de la situation en Algérie. Une première réponse peut être fournie par l’analyse de la situation léguée à l’Algérie par la longue période coloniale. « Situation caractérisée par la place prépondérante occupée arbitrairement par la langue française dans les domaines de l’enseignement de l’administration et de l’activité économique et culturelle, et ce au détriment de la langue arabe, qui est la langue nationale dans le pays » (5). C’est d’abord le refus de continuer à subir et a fortiori à prendre en charge cet état de fait artificiel et profondément injuste. Mais arabiser n’est pas seulement le refus d’un passé ou la recherche d’un autre. Arabiser, c’est surtout préparer l’avenir et construire

    une société meilleure pour les hommes. Arabiser, c’est donner au peuple l’instrument linguistique de son développement culturel, scientifique et technique et la possibilité de s’insérer dans le courant du progrès en étant soi-même.

    Mais, nous dit-on, « si vous arabisez, pouvez-vous prétendre au progrès scientifique et technique ? » La réponse est oui, si l’arabisation s’insère dans le contexte général de la révolution, c’est-à-dire si elle est épaulée par la réforme agraire, par l’industrialisation, la modernisation du système d’éducation et de formation, le développement de la recherche scientifique, car, sans révolution, même si on adopte une langue scientifique internationale, on ne peut avoir accès au progrès scientifique et technique. Aussi, dès 1963, la commission supérieure de réforme a-t-elle recommandé dans son rapport de « faire de la langue arabe un instrument commode d’échange de la pensée, une langue courante, utilitaire, parlée et écrite, adaptée à la vie moderne.... faire de la langue arabe une langue scientifique capable d’exprimer avec précision les concepts les plus élevés de la pensée scientifique » (6). De son côté, la commission qui a préparé l’arabisation de la première année de l’enseignement élémentaire soulignait dans son rapport que « l’arabe doit devenir un jour la langue d’enseignement de toutes les disciplines, notamment les disciplines scientifiques. Si le mouvement d’arabisation ne tend pas à faire de la langue nationale la langue de promotion scientifique, technique et culturelle, il n’est plus qu’un leurre » (7).

    L’effort qu’exige la politique d’arabisation est « immense et doit s’harmoniser avec les travaux parallèles des autres pays arabes où un travail considérable a été déjà réalisé » (8). Ce travail permet d’envisager d’ores et déjà l’emploi de la langue arabe comme langue d’enseignement élémentaire, moyen et secondaire, car « les résultats obtenus jusqu’ici sont fort honorables et, si l’on excepte des notions par trop techniques, l’arabe moderne est apte à rendre d’une façon intelligible à peu près toutes les idées actuelles » (9).

    Par ailleurs le problème de l’arabisation reste étroitement lié à une conception nouvelle de l’enseignement du français. Et puisque le français doit céder la place prépondérante qu’il occupe actuellement à la langue arabe, la question suivante est constamment posée : « Quelle serait la place qu’occupera désormais la langue française en Algérie ? » Pour répondre à cette question, il faut d’abord rappeler que toutes les prises de position des responsables algériens envisagent pour la langue française une place largement confortable même dans un système d’éducation et de formation complètement arabisé. Mais l’avenir de la langue française en Algérie dépend-il uniquement des Algériens ? En matière de relations entre l’Algérie et la France, la coopération culturelle et scientifique a toujours fait l’objet d’une attention particulière de la part des deux partenaires.

    Cela ne veut pas dire que le tableau ne présente pas d’ombres. En effet, on constate que le nombre de coopérants français en Algérie se réduit en proportion inverse des besoins grandissants exprimés par notre pays.

    Mais les Algériens sont convaincus que les chances de faire œuvre commune et originale dans ce domaine sont très grandes, d’autant que les uns et les autres savent que l’arabisation ne veut pas dire élimination de la langue française et que la place du français dépend également de l’ampleur des efforts que la France est prête à consentir dans le domaine de la coopération culturelle et scientifique.

    Abdelhamid Mehri
    Secrétaire général du ministère des enseignements primaire et secondaire
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