Eric Laurent et le roi du Maroc : « C’est une tentation, pas un chantage »
Eric Laurent, journaliste et auteur français accusé de chantage par la monarchie marocaine.
Le journaliste Eric Laurent a été mis en examen pour chantage et extorsion de fonds dans la nuit du 28 au 29 août. Avec sa consoeur Catherine Graciet, il est soupçonné d’avoir tenté de faire chanter le roi du Maroc, Mohammed IV, en menaçant de publier un livre à charge contre la famille royale. M. Laurent donne pour la première fois, au Monde, sa version des faits.
Selon Eric Dupont-Moretti, avocat de Rabat, les deux journalistes français ont proposé à un collaborateur du roi du Maroc de renoncer, contre rémunération, à la parution d’un livre contenant des informations gênantes pour le royaume. Ils auraient formulé une offre de trois, puis deux millions d’euros.
« Le Palais a alors décidé de porter plainte auprès du parquet de Paris. Les policiers ont décidé d’organiser un flagrant délit », a assuré Me Dupond-Moretti, qui a révélé l’affaire, jeudi.
Une version que semble corroborer des extraits d’enregistrements dont des retranscriptions ont été publiées par le Journal du dimanche. C’est l’un des envoyé du royaume chérifien, un avocat, qui a négocié avec les journalistes lors de trois rencontres dans des hôtels parisiens.
Tout en reconnaissant l’existence de la transaction, Eric Laurent assure au contraire qu’elle lui a été « proposée » par un émissaire de Mohammed VI, et qu’il l’a acceptée à la fois pour des raisons personnelles, et pour ne pas « déstabiliser le Maroc ». Il assure aujourd’hui avoir l’intention de terminer et de publier l’ouvrage.
Le déroulé des faits exposé par les avocats du Royaume est à la fois très complet et accablant. Qu’avez-vous à y ajouter ou à retrancher ?
Eric Laurent : Je vais retrancher énormément de choses. Mais je vais faire un premier commentaire sur la totale indécence de la part de l’avocat du royaume, Me Dupond-Moretti, qui a dépassé toutes les limites en matière non seulement de présomption d’innocence mais aussi en matière de déformation ou même d’invention des faits.
Le 23 juillet, d’après lui, j’appelle le secrétariat particulier du roi. Jusqu’ici c’est exact. Je demande à parler à Mounir El Majidi, qui est le secrétaire de Mohamed VI. C’est encore exact. Selon lui, je déclare préparer un livre explosif, un brûlot et c’est trois millions [pour ne pas le publier, NDLR].
Je mets au défi Dupond-Moretti et le Maroc de produire le moindre élément attestant cela. Je n’ai jamais tenu ces propos. Il n’y a jamais eu de tentative de chantage. J’ai appelé Mounir El Majidi pour une raison très simple : dans ce livre que nous avions en préparation, il y avait des éléments concernant la famille royale que nous voulions croiser avec le Palais. Au lieu de cela, le lendemain, j’ai reçu un appel d’un homme qui s’appelle Hicham Naciri, qui est un avocat du Palais, que je ne connaissais pas. Il me dit : « Je suis mandaté par le Palais, est-ce que ça peut attendre quelques jours, je pars au Japon. » Nous nous retrouvons le 11 août à sa demande, c’est lui qui fixe le lieu, au Royal Montceau [hôtel parisien de luxe, NDLR].
A ce moment-là, qui formule la demande d’argent ?
« On pourrait peut-être envisager une rémunération, une transaction, en contrepartie d’un retrait écrit »
Il n’y a pas de formulation de demande d’argent. Je lui explique que nous préparons un livre, que c’est la raison pour laquelle nous voulions voir M. Majidi, un livre sur la famille royale avec un certain nombre de sujets sensibles concernant la succession d’Hassan II. Il me dit : « C’est pas vraiment un livre qu’on souhaite voir sortir ». Je lui dis : « Ah bon, ça c’est autre chose ».
Et là, on voit très bien dans les procès-verbaux tirés des enregistrements : il n’y a aucune demande de ma part. Il y a encore moins de menace de chantage. Nulle part. A un moment donné, il me dit : « On pourrait peut-être envisager une rémunération, une transaction, en contrepartie d’un retrait écrit ». C’est lui qui m’amène à cette idée. A aucun moment il n’y a dans ces enregistrements une volonté de ma part de faire chanter le roi du Maroc à travers un de ses avocats. Puis ses questions vont porter sur un autre problème, celui des sources. Il va insister tout au long des réunions suivantes pour que nous livrions nos sources. Bien sûr, nous refusons. Je refuse. Ma co-auteure, que je consulte, refuse aussi.
A quel moment est-il question d’argent, alors ?
Au moment de la première rencontre, il amène cette idée. Et là, je dis, mais sans y croire : « Si vraiment on arrête de faire le livre, étant donné le sujet, écoutez... trois [millions d’euros] ». Il dit : « Ok mais il me faut les sources ». Je ne suis pas venu avec l’idée d’une transaction. Je suis venu avec l’idée d’une interview.
Qu’est-ce qui vous amène à accepter d’entrer en matière sur une transaction ?
D’abord le sujet. Il est extrêmement sensible, très délicat. J’ai exercé ce métier pendant 30 ans et j’avoue que là, j’en ai un peu assez. C’est un sujet très complexe concernant la famille royale et certains comportements. Donc je me dis : après tout, on n’a pas envie, quelles que soient les réserves que l’on peut avoir sur la monarchie, que s’instaure une république islamique. S’il propose une transaction, pourquoi pas.
Votre avocat a également parlé d’une situation personnelle difficile...
Ma femme est extrêmement malade. C’est une situation personnelle très dure. Elle a un cancer généralisé. Son état s’aggrave de jour en jour malgré les opérations, des chimiothérapies très lourdes.
Donc, si on résume : vous souhaitiez rencontrer M. Naciri pour une interview et vous ressortez avec un accord de principe sur une transaction financière ?
Je ne ressors avec rien. C’est une suggestion qui m’est faite. Mais il n’y a pas d’accord. Je suis surtout tellement étonné. Je me dis : « Quelle étrange démarche », car la démarche venait de lui. En même temps, je suis un peu sur la réserve, surtout parce qu’il insiste sur la possibilité d’avoir accès aux sources. Je suis tellement peu dans l’état d’esprit d’un chantage que lors du deuxième entretien avec lui, le 23 août, il a son téléphone posé sur la table.
J’ai appris ensuite qu’il enregistrait notre conversation et j’ai vu dans le JDD des extraits tronqués. C’est lui qui me demande : pour combien, si nous arrivons à un accord ? Si j’avais eu la volonté d’exercer un chantage, la première des choses aurait été de lui demander d’arrêter son portable, de sortir la batterie, de le mettre ailleurs. A aucun moment, il n’y a de ma part un seul mot qui relève du chantage.
Qu’est-ce que vous vous dites lors du deuxième rendez-vous, le 23 août ?
« Ils ont voulu me faire tomber, me discréditer professionnellement »
C’est un rendez-vous qui me laisse perplexe parce que je vois un personnage qui commence à reformuler tout ce que nous avions échangé la semaine précédente, y compris cette somme de 3 millions d’euros, qu’il met dans ma bouche. Je suis un peu stupéfait, me disant qu’il doit y avoir quelque chose.
Immédiatement, il enchaîne avec une pression ininterrompue sur les sources : « Si nous passons un accord, il faut que nous puissions identifier vos sources ». Je lui dis que c’est impossible, que je ne mettrai pas en danger des gens qui ont accepté de me parler. Il insistera là-dessus jusqu’à la troisième et dernière réunion. Ils ont voulu me faire tomber, me discréditer professionnellement et éventuellement avoir accès à nos sources, ce qui aurait permis de couper certaines têtes.
Comment se fait-il que vous n’ayez pas un instant pensé que le Palais allait utiliser cette discussion contre vous ?
Si j’étais arrivé avec cet état d’esprit consistant à quémander de l’argent en échange de la non-publication, j’aurais été bien plus méfiant. Mais comme je venais simplement pour avoir la possibilité de rencontrer Mounir Madjidi, et croiser des informations, je n’ai pas vu le coup venir. Cette proposition a été glissée insidieusement par mon interlocuteur : « transaction », « abandon », « accord écrit », ces mots ont été habilement introduits lors du premier rendez-vous.
Tout au long de ces entretiens, votre co-auteure était au courant des termes de ces discussions ?
Elle était au courant. Je la tenais informée de tout, après chaque rencontre. Elle ne peut pas prétendre [le contraire]…
La défense de Catherine Graciet est de dire que c’est vous qui avez tout organisé...
C’est bien dommage, parce que c’est faux. Je veux bien avoir organisé des choses. Si j’avais tout organisé, il faudrait de sa part un total aveuglement – pour ne pas dire plus – pour rédiger le texte de l’accord et le signer. Et moi, j’aurais été le meilleur des amis de lui proposer la moitié après avoir tout organisé seul.
Eric Laurent, journaliste et auteur français accusé de chantage par la monarchie marocaine.
Le journaliste Eric Laurent a été mis en examen pour chantage et extorsion de fonds dans la nuit du 28 au 29 août. Avec sa consoeur Catherine Graciet, il est soupçonné d’avoir tenté de faire chanter le roi du Maroc, Mohammed IV, en menaçant de publier un livre à charge contre la famille royale. M. Laurent donne pour la première fois, au Monde, sa version des faits.
Selon Eric Dupont-Moretti, avocat de Rabat, les deux journalistes français ont proposé à un collaborateur du roi du Maroc de renoncer, contre rémunération, à la parution d’un livre contenant des informations gênantes pour le royaume. Ils auraient formulé une offre de trois, puis deux millions d’euros.
« Le Palais a alors décidé de porter plainte auprès du parquet de Paris. Les policiers ont décidé d’organiser un flagrant délit », a assuré Me Dupond-Moretti, qui a révélé l’affaire, jeudi.
Une version que semble corroborer des extraits d’enregistrements dont des retranscriptions ont été publiées par le Journal du dimanche. C’est l’un des envoyé du royaume chérifien, un avocat, qui a négocié avec les journalistes lors de trois rencontres dans des hôtels parisiens.
Tout en reconnaissant l’existence de la transaction, Eric Laurent assure au contraire qu’elle lui a été « proposée » par un émissaire de Mohammed VI, et qu’il l’a acceptée à la fois pour des raisons personnelles, et pour ne pas « déstabiliser le Maroc ». Il assure aujourd’hui avoir l’intention de terminer et de publier l’ouvrage.
Le déroulé des faits exposé par les avocats du Royaume est à la fois très complet et accablant. Qu’avez-vous à y ajouter ou à retrancher ?
Eric Laurent : Je vais retrancher énormément de choses. Mais je vais faire un premier commentaire sur la totale indécence de la part de l’avocat du royaume, Me Dupond-Moretti, qui a dépassé toutes les limites en matière non seulement de présomption d’innocence mais aussi en matière de déformation ou même d’invention des faits.
Le 23 juillet, d’après lui, j’appelle le secrétariat particulier du roi. Jusqu’ici c’est exact. Je demande à parler à Mounir El Majidi, qui est le secrétaire de Mohamed VI. C’est encore exact. Selon lui, je déclare préparer un livre explosif, un brûlot et c’est trois millions [pour ne pas le publier, NDLR].
Je mets au défi Dupond-Moretti et le Maroc de produire le moindre élément attestant cela. Je n’ai jamais tenu ces propos. Il n’y a jamais eu de tentative de chantage. J’ai appelé Mounir El Majidi pour une raison très simple : dans ce livre que nous avions en préparation, il y avait des éléments concernant la famille royale que nous voulions croiser avec le Palais. Au lieu de cela, le lendemain, j’ai reçu un appel d’un homme qui s’appelle Hicham Naciri, qui est un avocat du Palais, que je ne connaissais pas. Il me dit : « Je suis mandaté par le Palais, est-ce que ça peut attendre quelques jours, je pars au Japon. » Nous nous retrouvons le 11 août à sa demande, c’est lui qui fixe le lieu, au Royal Montceau [hôtel parisien de luxe, NDLR].
A ce moment-là, qui formule la demande d’argent ?
« On pourrait peut-être envisager une rémunération, une transaction, en contrepartie d’un retrait écrit »
Il n’y a pas de formulation de demande d’argent. Je lui explique que nous préparons un livre, que c’est la raison pour laquelle nous voulions voir M. Majidi, un livre sur la famille royale avec un certain nombre de sujets sensibles concernant la succession d’Hassan II. Il me dit : « C’est pas vraiment un livre qu’on souhaite voir sortir ». Je lui dis : « Ah bon, ça c’est autre chose ».
Et là, on voit très bien dans les procès-verbaux tirés des enregistrements : il n’y a aucune demande de ma part. Il y a encore moins de menace de chantage. Nulle part. A un moment donné, il me dit : « On pourrait peut-être envisager une rémunération, une transaction, en contrepartie d’un retrait écrit ». C’est lui qui m’amène à cette idée. A aucun moment il n’y a dans ces enregistrements une volonté de ma part de faire chanter le roi du Maroc à travers un de ses avocats. Puis ses questions vont porter sur un autre problème, celui des sources. Il va insister tout au long des réunions suivantes pour que nous livrions nos sources. Bien sûr, nous refusons. Je refuse. Ma co-auteure, que je consulte, refuse aussi.
A quel moment est-il question d’argent, alors ?
Au moment de la première rencontre, il amène cette idée. Et là, je dis, mais sans y croire : « Si vraiment on arrête de faire le livre, étant donné le sujet, écoutez... trois [millions d’euros] ». Il dit : « Ok mais il me faut les sources ». Je ne suis pas venu avec l’idée d’une transaction. Je suis venu avec l’idée d’une interview.
Qu’est-ce qui vous amène à accepter d’entrer en matière sur une transaction ?
D’abord le sujet. Il est extrêmement sensible, très délicat. J’ai exercé ce métier pendant 30 ans et j’avoue que là, j’en ai un peu assez. C’est un sujet très complexe concernant la famille royale et certains comportements. Donc je me dis : après tout, on n’a pas envie, quelles que soient les réserves que l’on peut avoir sur la monarchie, que s’instaure une république islamique. S’il propose une transaction, pourquoi pas.
Votre avocat a également parlé d’une situation personnelle difficile...
Ma femme est extrêmement malade. C’est une situation personnelle très dure. Elle a un cancer généralisé. Son état s’aggrave de jour en jour malgré les opérations, des chimiothérapies très lourdes.
Donc, si on résume : vous souhaitiez rencontrer M. Naciri pour une interview et vous ressortez avec un accord de principe sur une transaction financière ?
Je ne ressors avec rien. C’est une suggestion qui m’est faite. Mais il n’y a pas d’accord. Je suis surtout tellement étonné. Je me dis : « Quelle étrange démarche », car la démarche venait de lui. En même temps, je suis un peu sur la réserve, surtout parce qu’il insiste sur la possibilité d’avoir accès aux sources. Je suis tellement peu dans l’état d’esprit d’un chantage que lors du deuxième entretien avec lui, le 23 août, il a son téléphone posé sur la table.
J’ai appris ensuite qu’il enregistrait notre conversation et j’ai vu dans le JDD des extraits tronqués. C’est lui qui me demande : pour combien, si nous arrivons à un accord ? Si j’avais eu la volonté d’exercer un chantage, la première des choses aurait été de lui demander d’arrêter son portable, de sortir la batterie, de le mettre ailleurs. A aucun moment, il n’y a de ma part un seul mot qui relève du chantage.
Qu’est-ce que vous vous dites lors du deuxième rendez-vous, le 23 août ?
« Ils ont voulu me faire tomber, me discréditer professionnellement »
C’est un rendez-vous qui me laisse perplexe parce que je vois un personnage qui commence à reformuler tout ce que nous avions échangé la semaine précédente, y compris cette somme de 3 millions d’euros, qu’il met dans ma bouche. Je suis un peu stupéfait, me disant qu’il doit y avoir quelque chose.
Immédiatement, il enchaîne avec une pression ininterrompue sur les sources : « Si nous passons un accord, il faut que nous puissions identifier vos sources ». Je lui dis que c’est impossible, que je ne mettrai pas en danger des gens qui ont accepté de me parler. Il insistera là-dessus jusqu’à la troisième et dernière réunion. Ils ont voulu me faire tomber, me discréditer professionnellement et éventuellement avoir accès à nos sources, ce qui aurait permis de couper certaines têtes.
Comment se fait-il que vous n’ayez pas un instant pensé que le Palais allait utiliser cette discussion contre vous ?
Si j’étais arrivé avec cet état d’esprit consistant à quémander de l’argent en échange de la non-publication, j’aurais été bien plus méfiant. Mais comme je venais simplement pour avoir la possibilité de rencontrer Mounir Madjidi, et croiser des informations, je n’ai pas vu le coup venir. Cette proposition a été glissée insidieusement par mon interlocuteur : « transaction », « abandon », « accord écrit », ces mots ont été habilement introduits lors du premier rendez-vous.
Tout au long de ces entretiens, votre co-auteure était au courant des termes de ces discussions ?
Elle était au courant. Je la tenais informée de tout, après chaque rencontre. Elle ne peut pas prétendre [le contraire]…
La défense de Catherine Graciet est de dire que c’est vous qui avez tout organisé...
C’est bien dommage, parce que c’est faux. Je veux bien avoir organisé des choses. Si j’avais tout organisé, il faudrait de sa part un total aveuglement – pour ne pas dire plus – pour rédiger le texte de l’accord et le signer. Et moi, j’aurais été le meilleur des amis de lui proposer la moitié après avoir tout organisé seul.
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