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Tunisie : une "loi de réconciliation économique" qui divise

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  • Tunisie : une "loi de réconciliation économique" qui divise

    Cette loi concerne quelque 7 000 cadres et ex-responsables mis en cause dans des affaires de corruption. Le président Essebsi veut "tourner la page du passé".

    C'est le texte clé de la présidence Essebsi, la pierre angulaire de son mandat, qui sera présenté au Parlement dans les prochains jours. La loi de « réconciliation économique » se compose de neuf articles. Son objectif est d'apporter un « climat favorable » à la Tunisie des affaires, de « tourner la page du passé ». L'article 2 promet la fin des poursuites aux fonctionnaires ayant trempé dans « les affaires d'abus financier et d'atteinte à l'argent public ». Selon Ridha Belhaj, le directeur de cabinet du président de la République, cela concerne 7 000 cadres et anciens responsables. Pour Essebsi, cette loi permettra aux repentis d'investir dans l'économie, de participer au développement régional. Aucun chiffrage n'existe des sommes qui pourraient bénéficier au pays, officiellement entré « en récession » selon les termes utilisés par la Banque centrale. Une commission sera chargée d'examiner les dossiers. Six membres dont quatre issus des ministères, deux de l'instance Vérité & Dignité. Cette dernière a pour charge de recueillir les doléances des citoyens spoliés, volés sous le règne de Ben Ali.

    Une loi 100 % palais de Carthage
    Si la loi de réconciliation économique obtient l'approbation de l'ARP, l'instance n'aura alors plus grand sens. Ce texte est une production 100 % palais de Carthage. L'alliance entre Nidaa Tounes et les islamistes d'Ennahda garantit son adoption. Les deux partis détiennent à eux seuls les deux tiers des élus de l'Assemblée, 155 sur 217. Ennahda n'a pas officiellement exprimé une consigne de vote. Mais Rached Ghannouchi, le leader islamiste, a déjà donné sa bénédiction. Comme il l'avait fait en août 2014 lorsque son parti avait voté l'article 167 de la loi électorale permettant aux anciens séides du RCD, le parti de Ben Ali, de se présenter aux élections. Un choix qui avait surpris, une bonne partie des islamistes ayant subi tortures et détentions durant les vingt-trois ans de règne de l'ancien régime. Dix mois après la victoire du parti d'Essebsi aux législatives, le pays connaît des spasmes sociaux à répétition. Grève des enseignants du primaire prévue les 17 et 18 septembre, grève des chemins de fer le 22, « journée de la colère » des agriculteurs… Le dialogue entre le patronat, l'Utica, et l'UGTT, le syndicat qui revendique un demi-million d'adhérents, est au point mort. Chacun campe sur ses positions alors que tous les indicateurs économiques sont dans le rouge vif. Un contexte abrasif pour examiner avec sérénité un texte à la portée symbolique.

    L'opposition contre-attaque
    Si Moez Sinaoui, le porte-parole de la présidence, a indiqué que « le projet de loi ne sera pas retiré », la contestation s'organise. Le conseil des secrétaires généraux du Front populaire (extrême gauche, 15 députés) estime que le projet de loi est « une violation flagrante de la Constitution et du processus de la justice transitionnelle et favorise le blanchiment de corruption et le pillage de l'argent public ». Lecture identique pour l'UGTT qui demande le retrait pur et simple du texte. Mardi 1er septembre, les forces sécuritaires ont réprimé une manifestation partie du siège syndical et qui tentait de se rendre avenue Bourguiba, l'artère symbolique de Tunis. En vertu de l'état d'urgence, décidé après l'attentat de Sousse, les rassemblements sont interdits. Ce qui complique l'expression démocratique. D'autres partis, peu ou pas représentés à l'ARP, tentent de s'unir pour contrecarrer ce projet.

    La Tunisie affronte son passé
    Ce texte cristallise jusqu'à l'incandescence les maux non soignés de la nation tunisienne. Après le 14 janvier 2011, jour de la fuite du despote en Arabie saoudite, la révolution s'est soudainement arrêtée. Une liste de 114 personnes proches du régime a alors été établie par une commission de confiscation. 268 biens immobiliers, 25 000 biens meubles et 168 voitures luxueuses ont été saisis, sous la houlette de son président, Néjib Hannen. Des sociétés, d'importantes sommes d'argent ont subi le même sort. Les personnages emblématiques de la liste des 114 sont Sakhr El Matri et Marouane Mabrouk, les deux gendres de Ben Ali. Le premier s'est réfugié aux Seychelles, pays qui lui a accordé un passeport. Le second, époux de Cyrine Ben Ali, dirige un des groupes les plus puissants du pays, ayant à son actif l'opérateur télécom Orange Tunisie, 71 magasins Monoprix, l'hypermarché Géant, des parts dans l'agroalimentaire, les banques, les assurances… La Suisse a placé la famille Mabrouk sur la liste noire des proches de Ben Ali. Le clan Trabelsi figure pour sa part au grand complet dans ce who's who de la corruption. Une horde dont les mœurs borgiesques avaient grandement contribué au soulèvement populaire. Imed Trabelsi est le seul à avoir été jugé, emprisonné. Les autres se sont réfugiés au Canada, dans les Émirats… Mais la réconciliation économique concerne les chevilles ouvrières de ce système qui a pillé la Tunisie pendant deux décennies.

    Haro sur le "capitalisme de copinage"
    Fonctionnaires et responsables ayant agi soit par contrainte, soit par avidité. Absoudre les méfaits commis de 1987 à 2011, moyennant une amende de 5 % prévue par l'article 5, ravive les tensions. La Banque mondiale avait souligné dans un rapport publié en 2014 que 21 % des bénéfices générés par le secteur privé étaient trustés jusqu'à la révolution par une poignée de familles. « Un capitalisme de copinage qui ne concerne pas seulement Ben Ali et son clan : il demeure l'un des principaux problèmes de développement auxquels la Tunisie est confrontée aujourd'hui », commentait l'économiste de la Banque mondiale Antonio Nucifora, économiste principal pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). « Trois ans après la révolution, le système économique qui existait sous Ben Ali n'a pas changé de façon significative. À la faveur de la révolution, les Tunisiens se sont débarrassés de l'ex-président Ben Ali et des pires aspects de la corruption, mais les politiques économiques restent largement intactes et sujettes à des abus. Le cadre de politiques publiques hérité de l'ère Ben Ali perpétue l'exclusion sociale et favorise la corruption ». Avec cette loi dite de réconciliation économique, la Tunisie se prend de plein fouet son passé récent. Amnistie ou pragmatisme ? Le débat ne fait que commencer.

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