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Tous les chemins mènent à Damas

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  • Tous les chemins mènent à Damas

    La Syrie est l'épicentre d'un conflit global, prise en tenaille par des rivalités géopolitiques entre grandes puissances et entre une myriade de factions rebelles, alliées ou ennemies suivant les circonstances, ce qui reflète toute la complexité de cette région. Le chaos syrien se nourrit de plusieurs guerres interconnectées : un conflit intérieur entre une partie de la population et le gouvernement, une rivalité confessionnelle et économique entre puissances régionales voulant affirmer leur volonté d'influence et de domination, un bras de fer politico-diplomatique aux allures de guerre froide entre les Etats-Unis, la Russie et leurs alliés mais également une bataille entre géants gaziers où la Syrie constitue un hub énergétique stratégique.

    Ce conflit est en train de reconfigurer le nouvel ordre mondial en gestation et nous fait entrer dans le système anarchique d'un monde multicentré où la situation renoue avec les changements d'alliances d'avant le monde bipolaire. Une guerre multifactorielle qui a déjà coûté la vie à plus de 230.000 personnes, dont les enjeux extérieurs sont enchevêtrés aux enjeux internes et dont les ondes de choc se font ressentir bien au delà des frontières syriennes.

    Au niveau régional, la Turquie, le Qatar et l'Arabie Saoudite, tout en ayant des agendas politiques différents, partagent une volonté de renverser le gouvernement syrien. La Turquie a été l'une des premières - avec la France, le Royaume-Uni et les monarchies du Golfe - à reconnaître comme «seul représentant légitime du peuple syrien» la coalition nationale syrienne, regroupement hétéroclite formé en dehors de Syrie, de courants politiques d'opposition, très vite largement dominé par les Frères musulmans. En raison de ce rapprochement idéologique, Ankara ne s'est pas limité à un simple soutien politique mais a également joué un rôle actif dans la formation des structures armées de l'opposition syrienne, qui s'est avérée extrêmement fragmentée, rompant définitivement les liens diplomatiques et de coopération avec le gouvernement syrien, qu'elle considère désormais comme menace pour la sécurité et le développement économique de la région. L'implication d'Ankara dans la guerre syrienne a des conséquences politiques, économiques et sociétales - notamment lié à la question kurde - lourdes pour Ankara. En fermant la porte syrienne qui ouvrait sur le Moyen-Orient avec lequel elle voulait renouer des liens et sa position ambiguë de par ses rapports avec le monde occidental, en particulier l'Otan qui a installé des missiles Patriot sur ses terres, la Turquie s'est sensiblement rapprochée du Qatar avec lequel les intérêts politiques et économiques convergent.

    Du coté de l'Arabie Saoudite, le but principal est de briser l'axe Téheran/Damas/Hezbollah libanais pour contrer "l'influence chiite" iranienne qui, à leurs yeux, gagnerait trop de terrain au niveau régional et pour cela elle instrumentalise donc la rébellion à son gré par l'arme financière et idéologique. En effet car au delà de la volonté de ces puissances de maintenir leur capacité d'influence dans la région, nous sommes face à des tensions confessionnelles opposant deux branches sectaires de l'Islam, le chiisme incarné par l'Iran et le sunnisme dont l'Arabie Saoudite se veut le fer de lance. En plus de financer, entraîner et armer l'Armée syrienne libre, qui a été un temps l'ossature de la rébellion appuyée par l'Occident mais qui est désormais réduite à différentes petites milices et dont la plupart s'allient avec certains groupes radicaux, Ankara, Doha et Riyad soutiennent financièrement et logistiquement également les principaux groupes djihadistes, à savoir le Front Al-Nosra et l'Organisation de l'Etat islamique, qui s'allient et se des-allient au gré des intérêts de leurs sponsors financiers, ce qui reconfigure les rapports de force sur le terrain.

    La position de l'Etat hébreu, autre puissance régionale, sur le dossier syrien est quand à elle assez ambiguë et a évolué depuis le début de la crise. Si Israel a été d'une relative passivité durant les deux premières années, elle soutient désormais officiellement militairement et logistiquement les différents groupes armés rebelles présents dans les zones proches de la frontière israélo-syrienne, bien qu'ils soient devenus une menace y compris pour leur propre stabilité. Israël n'hésite plus à mener des raids aériens en violant la souveraineté de la Syrie afin de bombarder certaines positions de l'armée syrienne. Cette alliance de circonstance entre les groupes armés, notamment le Front Al Nosra, et l'État Hébreu a pour but de prolonger la guerre chez le voisin syrien mais qu'aucun n'en sorte gagnant, afin d'affaiblir par effet de domino, l'arc chiite auquel appartiennent le Hezbollah libanais et Téhéran, alliés de Damas et ennemis prioritaires d'Israël.


    En effet, l'axe politique reliant Damas à Téhéran mais aussi au Hezbollah et à d'autres mouvements palestiniens, a permis à l'Iran d'étendre son influence stratégique au Levant en influant sur le conflit israélo-palestinien et de freiner l'expansionnisme des Etats-Unis afin de devenir un acteur régional incontournable. Par une assistance multiforme - tant au niveau politique, diplomatique, militaire, économique que financière - l'Iran est le soutien régional le plus actif du gouvernement syrien. Ces positionnements politiques - où l'Iran reste un allié majeur de Damas alors que le Qatar, entre autres, finance les groupes rebelles - se retrouvent dans la rivalité énergétique qui opposent ces deux géants gaziers.

  • #2
    Suite et fin

    Les senteurs énergétiques du "Printemps syrien"
    Par sa position de carrefour, la Syrie se trouve au coeur des nouveaux enjeux de l'échiquier énergétique eurasiatique. La question énergétique est un enjeu à deux échelles géographiques et est l'une des clés de compréhension de la situation actuelle. Au niveau de la Syrie, il s'agit pour les différents protagonistes sur le terrain de s'assurer le contrôle des sites de production pétroliers dans le Nord-Est du pays afin d'en tirer des avantages économiques. Au niveau régional par contre, les avantages sont plutôt liés au rôle que peut jouer la Syrie dans le transport de l'énergie et permettent de comprendre, en partie, le positionnement des pays voisins. Son ouverture méditerranéenne en fait un point de transit incontournable et un couloir énergétique idéal pour le transit de gaz du Moyen-Orient vers l'Europe. C'est le gaz naturel qui est l'élément inflammable qui alimente cette folle bataille de l'énergie dans la région.

    Avant l'éclatement de la guerre, Doha et Téhéran avaient chacun envisagé la construction de pipelines pour exporter les ressources de l'un des plus grand champs gaziers du monde qu'ils se partagent dans le golfe persique mais que Téhéran ne peut exploiter à la même cadence que Doha en raison des sanctions internationales. Comme le Qatar se retrouve tributaire de l'Iran pour l'exportation de son gaz car il doit passer par le détroit d'Ormuz, l'Émirat a eu l'ambition de construire un gazoduc terrestre passant par l'Arabie Saoudite, la Jordanie et la Syrie qui lui ouvrirait la voie vers l'Europe. Mais la Syrie a refusé l'option qatarie, avec le soutien marqué de la Russie qui voit dans ces plans les volontés américaine, française, anglaise, saoudienne et qatarie de desserrer l'étau russe sur le marché énergétique européen. L'Europe est en grande partie dépendante de Gazprom, la société étatique russe, pour ses besoins énergétiques et certains Etats appuient donc la position du Qatar dans la région afin de diversifier leurs sources et diminuer leur facture de gaz. C'est finalement avec l'Iran et l'Irak que Damas signe, en 2011, un accord trilatéral pour la construction d'un gazoduc qui permettrait à l'Iran d'exporter son gaz naturel vers l'Europe, et qui aurait été relié au South Stream, le gazoduc russe. Ainsi, cet accord qui permet au gaz iranien d'accéder à la Méditerranée, ouvre un nouvel axe géographique, comprenant l'Iran, l'Irak, la Syrie et la Russie et qui compromettait en outre le projet de gazoduc européen et américain de Nabucco. De plus, Gazprom est devenu un investisseur et un exploitant majeur des réserves considérables de gaz et de pétrole découvertes dans les eaux territoriales au large du Liban et de la Syrie.

    Une telle expansion, confère à la Russie, non seulement l'hégémonie de la politique énergétique en matière de gaz mais fait obstacle aux intérêts gaziers des pays occidentaux au Proche-Orient. Au vu des importants investissements qataris en Europe, Paris et Londres représentent également la ligne diplomatique occidentale la plus ouvertement hostile au gouvernement syrien. Au nom d'intérêts strictement commerciaux, ils risquent de perdre de précieux points d'indépendance énergétique mais surtout diplomatique. Si un changement politique favorable aux Occidentaux, aux Turcs, Saoudiens et Qataris devait se produire en Syrie, et que celle-ci se coupait de la Russie c'est alors toute la géopolitique pétrolière et gazière de la région qui serait bouleversée à l'avantage de l'Occident pro-américain et au détriment de Moscou.

    La coopération russo-iranienne mais surtout sino-russe dans le domaine énergétique et commercial est le moteur du partenariat stratégique entre les deux puissances, et serait entre autre la base du bouclier diplomatique de Pékin et Moscou qui ont brandi à deux reprises leur double veto en faveur du gouvernement syrien.

    Moscou et Pékin scellent les portes de Damas
    Les oppositions manifestées par la Russie et la Chine - qui préconisent une solution politique - au conseil de sécurité de l'ONU face à une intervention militaire étrangère en Syrie sont officiellement motivées par la doctrine diplomatique de non-ingérence. Cependant les positions de ces deux puissances ne relèvent pas que d'une simple question de principes. La Chine dispose d'une position et d'un statut important dans les relations internationales sur le plan militaire et économique, qui rendent son rôle politique de plus en plus conséquent et renforcé par la coopération implicite sur divers plans avec la Russie. Mais à la différence de Moscou, le veto chinois n'est pas motivé par des considérations politiques mais principalement économiques. La principale crainte chinoise sont les effets déstabilisants que constituerait la guerre en Syrie sur le golfe persique, espace vital d'approvisionnement pétrolier de l'Empire du Milieu. Le morcellement de pays comme l'Irak ou la Syrie, modifiera très certainement l'équilibre régional des pouvoirs qui générera une région entièrement défaillante sur le plan de la gouvernance et qui deviendra un terreau d'autant plus fertile pour l'extrémisme, comme on peut le voir actuellement avec les zones à cheval entre les deux pays sous contrôle de l'EI, ce qui serait extrêmement préoccupant pour l'économie chinoise.

    Moscou craint également une montée de l'islamisme radical et la formation d'un front qui s'étendrait du Caucase aux frontières de la Communauté des Etats indépendants et de l'Asie Centrale, ce qui mènerait à des attaques terroristes et de l'instabilité sur son territoire, vu les rapports tendus qu'elle entretient avec la Tchétchénie. Outre la volonté de Moscou de se présenter en tant que défenseur des "Chrétiens d'Orient" ainsi que les liens historiques qui lient la Russie à la Syrie, l'enjeu est également d'ordre économique et militaire. Même si les relations économiques entre les deux pays restent relativement limitées, elles n'ont pas cessé de croître notamment dans le domaine de l'armement. Mais c'est surtout la coopération militaire qui joue un rôle plus fondamental dans l'alliance entre Moscou et Damas. La Russie dispose d'une base navale dans le port syrien de Tartous qui lui offre un accès méditerranéen hautement stratégique et lui permet de rejoindre la Corne de l'Afrique et l'Océan Indien de par sa proximité avec le canal de Suez. L'implantation en Méditerranée permet donc à la Russie de s'affranchir des contraintes liées au franchissement des détroits contrôles par la Turquie, membre de l'Otan, et de s'offrir une porte d'entrée en direction des mers chaudes. La Syrie est donc un partenaire non négligeable du fait de sa situation géographique mais également de son indépendance affichée vis-a-vis de Washington, qui en fait un allié de choix pour Moscou. En effet, à travers la crise syrienne, un nouvel équilibre mondial s'installe et la Russie a réussi à réaffirmer sa position d'acteur incontournable sur l'échiquier international en mettant fin au monde unipolaire, deux décennies après la fin de la Guerre Froide.

    Coté américain d'ailleurs, les rapports avec cette région du monde ont toujours été complexes. La ligne de politique étrangère des néo-conservateurs américains dans la région s'est longtemps traduite par une ingérence dans les affaires internes ainsi que des expéditions militaires pour changer certains gouvernements en place, en vue de remodeler le "Grand Moyen Orient". L'intérêt stratégique de Washington au Proche-Orient a toujours consisté à garantir la sécurité d'Israël, socle de sa politique dans la région, et à ménager l'Arabie Saoudite en tant que détentrice de la manne énergétique dans le golfe arabo-persique et contrepoids à Téhéran. La motivation principale des Etats-Unis dans la crise syrienne tourne autour de l'Iran et d'Israël et non de la Syrie en tant que telle. Tout en ne paraissant pas directement impliqué, alors qu'ils soutiennent militairement, politiquement, financièrement et logistiquement la rébellion, Washington cherche à priver l'Iran d'un allié important dans la région, à l'isoler sur le plan diplomatique et politique et à jouer un rôle déterminant dans la transition politique en Syrie. Cependant en raison de la menace prioritaire que constitue l'EI et la détente qui s'est enclenchée entre Téhéran et Washington sur la question du nucléaire, les priorités des Etats-Unis ont évolué. Tout en continuant à mener une guerre par alliés interposés, le nouvel objectif principal est de freiner la contagion terroriste que tous les Etats impliqués alimentent mais qu'aucun ne parvient plus réellement à contrôler et qui ont transformé la Syrie en terreau du djihadisme international.

    Il est évident que tout en se plaçant derrière la dimension humanitaire de protection des populations civiles et la volonté de soutenir les aspirations démocratiques des syriens, la défense des droits de l'homme a été à géométrie variable, au gré des enjeux des différents protagonistes qui ont tous contribué à la montée considérable de la violence au Levant. Afin de trouver une solution pragmatique aux fractures de la société syrienne, la priorité première pour toutes les parties est de soutenir objectivement le processus de paix de l'ONU et d'y inclure tous ces acteurs régionaux sans exception, mais également de faire appliquer les résolutions du Conseil de sécurité qui prévoient des sanctions contre les pays qui financent, arment et facilitent le transit des terroristes. Si tous ceux qui se disent parler au nom de l'intérêt du peuple syrien ont une réelle volonté de mettre fin aux massacres et aux destructions ils doivent donc tous contribuer à la recherche d'une solution négociée à la tragédie syrienne, mais cela est il possible dans un monde ou les grandes puissances n'ont pas de principes mais que des intérêts?


    Source: huffpostmaghreb.com

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