Grâce aux écoutes et aux satellites, le renseignement militaire français connaît exactement la situation des migrants parqués en Libye.
« De 800 000 à un million de migrants sont prêts à partir de l'autre rive de la Méditerranée » pour gagner l'Europe. Cette assertion ne vient pas de quelque source obscure ou invérifiable, mais bien de l'un des hommes chargés de renseigner au jour le jour les autorités militaires et civiles françaises : le général de corps d'armée (quatre étoiles) Christophe Gomart, patron de la DRM (Direction du renseignement militaire) chargée de recueillir toutes les informations imaginables susceptibles d'aider la France à prendre ses décisions d'ordre militaire. L'officier général a tenu ces propos en ouverture du colloque Geoint, qui s'est tenu à la Société de géographie, à Paris, les 11 et 12 septembre derniers.
Un très discret centre d'expertise
La DRM, qui est leader en France sur le renseignement d'origine imagerie (ROIM) fourni par les satellites-espions militaires, a inauguré le 19 janvier dernier un très discret centre d'expertise, le CRGI (Centre de renseignement géospatial interarmées). Pluridisciplinaire, il intègre une trentaine de spécialistes civils, militaires et réservistes de haut niveau dont la principale fonction consiste à fusionner le renseignement recueilli par la DRM à partir d'une multitude de capteurs (interceptions, satellites, sources ouvertes, cybersurveillance, etc.). C'est ainsi que la DRM peut aujourd'hui présenter aux dirigeants français une situation précise de la présence des migrants subsahariens en Libye, ainsi que les identités exactes, les modes opératoires et les stratégies des passeurs de migrants. Ces informations sont transmises par la France à l'état-major de la mission européenne en Méditerranée Eunavfor Med, lancée en mai dernier.
Filières de trafics humains
Le général Gomart a ainsi pu confier lors du colloque que les militaires français ont repéré les principaux points d'entrée des filières de trafic humain sur le territoire libyen, notamment à partir de la zone des trois frontières (Libye, Soudan, Égypte). Le renseignement français sait où les passeurs échangent leurs cargaisons humaines, où ils les hébergent. Il les voit également préparer les départs vers l'Europe depuis les plages de Tripolitaine et de Cyrénaïque, imposant aux migrants un processus immuable : « Le mode opératoire des passeurs est connu : départ de nuit, avant un appel systématique au Maritime Rescue Coordination Centre italien. Parmi les migrants, les passeurs désignent un capitaine et lui donnent un téléphone satellite qui sert aussi de GPS. Ils sont ensuite récupérés par un navire d'assistance, militaire ou civil. » Et Christophe Gomart de conclure : « Il ne nous reste qu'à intégrer les données météorologiques pour arriver à une meilleure prévision. »
Données massives géolocalisées
Aux yeux du patron du renseignement militaire français, le Geoint est devenu « l'outil idéal pour valoriser des données massives géolocalisées. Il joue le rôle d'un accélérateur de prises de décisions en donnant une vision claire et complète aux chefs militaires et aux décideurs politiques ». Le renseignement recoupé à partir de sources vérifiées et incontestables permet à ses yeux de sortir de l'émotion suscitée notamment par les messages surabondants diffusés sur les réseaux sociaux, ou par la presse. Il prend pour exemple la situation en Ukraine, l'an dernier : « Si on écoutait les sources ouvertes, tout tendait à prouver que les Russes avaient envahi l'Ukraine. Mais quand on regardait la géographie et les données du renseignement, on voyait que les Russes n'avaient pas mis en place d'hôpitaux de campagne, n'avaient pas mis en place les pipelines mobiles permettant d'alimenter les blindés en carburant. Ce que nous ont appris les réseaux sociaux utilisés par les mères de soldats russes, c'est qu'ils s'ennuyaient, qu'ils n'avaient pas beaucoup de munitions, qu'ils ne savaient pas vraiment ce qu'ils faisaient là... »
Dommages collatéraux
Concernant la situation actuelle en Syrie, l'officier est resté sibyllin, mais a estimé que l'arrivée des Russes pour protéger le régime de Bachar el-Assad ne relève en rien d'un « renforcement type Overlord. Les gens du renseignement doivent garder la tête froide ! » S'agissant de Daesh et de l'engagement des avions français dans le recueil de renseignements, essentiellement au profit de la DRM, son chef a estimé que la phase actuelle ne vise qu'à informer le président de la République et à lui garantir l'accès à des renseignements de source nationale « pour conserver une autonomie d'appréciation. Le renseignement relève d'abord de la souveraineté nationale. On doit pouvoir dire au PR [le président de la République, NDLR] : si vous voulez faire mal à Daesh, c'est là qu'il faut porter l'effort. Après, c'est une décision qui me dépasse ».
Il estime enfin qu'il ne sera pas simple de bombarder les centres de décision du groupe terroriste, dont les chefs se « placent dans des hôpitaux, des écoles, des mosquées, des lieux avec de fortes concentrations de population où l'on n'ira pas, parce que les dommages collatéraux seraient trop importants ».
Jean Guisnel. LE POINT
« De 800 000 à un million de migrants sont prêts à partir de l'autre rive de la Méditerranée » pour gagner l'Europe. Cette assertion ne vient pas de quelque source obscure ou invérifiable, mais bien de l'un des hommes chargés de renseigner au jour le jour les autorités militaires et civiles françaises : le général de corps d'armée (quatre étoiles) Christophe Gomart, patron de la DRM (Direction du renseignement militaire) chargée de recueillir toutes les informations imaginables susceptibles d'aider la France à prendre ses décisions d'ordre militaire. L'officier général a tenu ces propos en ouverture du colloque Geoint, qui s'est tenu à la Société de géographie, à Paris, les 11 et 12 septembre derniers.
Un très discret centre d'expertise
La DRM, qui est leader en France sur le renseignement d'origine imagerie (ROIM) fourni par les satellites-espions militaires, a inauguré le 19 janvier dernier un très discret centre d'expertise, le CRGI (Centre de renseignement géospatial interarmées). Pluridisciplinaire, il intègre une trentaine de spécialistes civils, militaires et réservistes de haut niveau dont la principale fonction consiste à fusionner le renseignement recueilli par la DRM à partir d'une multitude de capteurs (interceptions, satellites, sources ouvertes, cybersurveillance, etc.). C'est ainsi que la DRM peut aujourd'hui présenter aux dirigeants français une situation précise de la présence des migrants subsahariens en Libye, ainsi que les identités exactes, les modes opératoires et les stratégies des passeurs de migrants. Ces informations sont transmises par la France à l'état-major de la mission européenne en Méditerranée Eunavfor Med, lancée en mai dernier.
Filières de trafics humains
Le général Gomart a ainsi pu confier lors du colloque que les militaires français ont repéré les principaux points d'entrée des filières de trafic humain sur le territoire libyen, notamment à partir de la zone des trois frontières (Libye, Soudan, Égypte). Le renseignement français sait où les passeurs échangent leurs cargaisons humaines, où ils les hébergent. Il les voit également préparer les départs vers l'Europe depuis les plages de Tripolitaine et de Cyrénaïque, imposant aux migrants un processus immuable : « Le mode opératoire des passeurs est connu : départ de nuit, avant un appel systématique au Maritime Rescue Coordination Centre italien. Parmi les migrants, les passeurs désignent un capitaine et lui donnent un téléphone satellite qui sert aussi de GPS. Ils sont ensuite récupérés par un navire d'assistance, militaire ou civil. » Et Christophe Gomart de conclure : « Il ne nous reste qu'à intégrer les données météorologiques pour arriver à une meilleure prévision. »
Données massives géolocalisées
Aux yeux du patron du renseignement militaire français, le Geoint est devenu « l'outil idéal pour valoriser des données massives géolocalisées. Il joue le rôle d'un accélérateur de prises de décisions en donnant une vision claire et complète aux chefs militaires et aux décideurs politiques ». Le renseignement recoupé à partir de sources vérifiées et incontestables permet à ses yeux de sortir de l'émotion suscitée notamment par les messages surabondants diffusés sur les réseaux sociaux, ou par la presse. Il prend pour exemple la situation en Ukraine, l'an dernier : « Si on écoutait les sources ouvertes, tout tendait à prouver que les Russes avaient envahi l'Ukraine. Mais quand on regardait la géographie et les données du renseignement, on voyait que les Russes n'avaient pas mis en place d'hôpitaux de campagne, n'avaient pas mis en place les pipelines mobiles permettant d'alimenter les blindés en carburant. Ce que nous ont appris les réseaux sociaux utilisés par les mères de soldats russes, c'est qu'ils s'ennuyaient, qu'ils n'avaient pas beaucoup de munitions, qu'ils ne savaient pas vraiment ce qu'ils faisaient là... »
Dommages collatéraux
Concernant la situation actuelle en Syrie, l'officier est resté sibyllin, mais a estimé que l'arrivée des Russes pour protéger le régime de Bachar el-Assad ne relève en rien d'un « renforcement type Overlord. Les gens du renseignement doivent garder la tête froide ! » S'agissant de Daesh et de l'engagement des avions français dans le recueil de renseignements, essentiellement au profit de la DRM, son chef a estimé que la phase actuelle ne vise qu'à informer le président de la République et à lui garantir l'accès à des renseignements de source nationale « pour conserver une autonomie d'appréciation. Le renseignement relève d'abord de la souveraineté nationale. On doit pouvoir dire au PR [le président de la République, NDLR] : si vous voulez faire mal à Daesh, c'est là qu'il faut porter l'effort. Après, c'est une décision qui me dépasse ».
Il estime enfin qu'il ne sera pas simple de bombarder les centres de décision du groupe terroriste, dont les chefs se « placent dans des hôpitaux, des écoles, des mosquées, des lieux avec de fortes concentrations de population où l'on n'ira pas, parce que les dommages collatéraux seraient trop importants ».
Jean Guisnel. LE POINT
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