DRS CRISE BOUTEFLIKA TOUFIK…
Entretien avec Dahou Ould Kablia
TSA - 13:03 mercredi 23 septembre 2015 | Par Nadia Mellal | Actualité
Vous avez été un membre influent au sein du MALG durant la lutte de libération nationale et vous avez exercé des pouvoirs importants au sein de l’État depuis l’indépendance (longtemps wali puis ministre de l’Intérieur). Comment expliquez-vous que chaque fois que l’on parle de la sécurité militaire ou du DRS, on fait le rapprochement sur sa filiation avec le MALG. Qu’en est-il exactement ?
Il y a une filiation de fait puisqu’une grande majorité des éléments des services de renseignement du MALG a été reprise dès l’indépendance pour constituer le premier noyau de la sécurité militaire sous la tutelle du ministre de la Défense nationale, c’est-à-dire du colonel Boumediene. Mais à part cette filiation, il y a une grande différence entre les missions et les méthodes propres à chaque service.
Pendant la Guerre de libération nationale, la mission des services était concentrée sur la connaissance de l’ennemi. C’est-à-dire le gouvernement français dans ses intentions et son action, et l’armée française qui combattait le FLN. Et accessoirement, la direction de la vigilance et du contre-renseignement s’employait à connaître les hommes, c’est-à-dire ceux qui pouvaient constituer un danger pour la sécurité du combat libérateur. Quant aux méthodes, un nombre restreint de cadres pilotaient à distance des réseaux de renseignement à l’intérieur du territoire national ou à l’extérieur. Pour ce qui est des moyens techniques, une seule méthode : l’écoute des réseaux radio-électriques de l’ennemi (réseaux de transmission au service de la révolution). C’était suffisant pour une bonne information.
À l’indépendance, la sécurité militaire s’est vue assignée d’autres missions et d’autres objectifs : la protection de l’État naissant dirigé par un pouvoir issu d’une confrontation violente entre les ex-dirigeants du FLN, ce que l’on a appelé la crise de l’été 62, était la priorité. Ce pouvoir incarné par Ben Bella et Boumediene était beaucoup plus préoccupé par la menace intérieure. La SM a été chargée de réduire toute velléité de remise en cause de ce pouvoir, choix du parti unique et choix clientélistes des responsables.
Les opposants étaient nombreux tant sur le plan politique que sur le plan du projet de société puisque Ben Bella avait choisi la voie socialiste pour la gestion des affaires du pays. La sécurité militaire prenait, par conséquent, une dimension considérable et écrasait de son poids le champ politique national. Sans contrôle, ni contre-pouvoir. À la mort de Boumediene en 1978, le président Chadli, amené au pouvoir par cette même sécurité militaire, mettra beaucoup de temps pour réduire la puissance de cette structure en changeant les hommes à sa tête, à l’image de la marginalisation de Merbah et de certains de ses collaborateurs.
Mais la mission de la sécurité militaire était restée la même et ses méthodes tout à fait identiques, c’est-à-dire tout à fait convenables au plan de la légalité. Bien plus, Chadli introduisait une dimension supplémentaire avec le développement d’un fichier nécessaire à la connaissance des responsables dans le cadre de la procédure d’habilitation pour les nominations aux emplois supérieurs.
La sécurité militaire avait-elle prévu les événements d’octobre 88 ?
La réponse est difficile. Personnellement, je ne pense pas que les services ignoraient le foisonnement de colère qui s’amplifiait au sein du peuple. J’opte pour le fait que le président Chadli a dû être informé, mais qu’il n’en a pas tenu compte. Ce même défaut d’anticipation de sa part a déjà été à l’origine du Printemps berbère de 1980 à cause de l’initiative prise localement à Tizi Ouzou d’interdire une conférence de Mouloud Mammeri.
Que s’est-il passé après 88 ?
Beaucoup de choses, particulièrement une ouverture débridée et incontrôlable du champ politique qui a vu la naissance du Front islamique du salut (FIS). Ce dernier, profitant du désamour du peuple vis-à-vis du parti unique, s’est rapidement développé sur l’ensemble du territoire national, arrachant la presque totalité des assemblées locales (APC et APW) et qui s’apprêtait de manière légale à contrôler l’Assemblée populaire nationale (APN).
C’est à cette époque que la SM a été transformé en DRS ?
Oui. Le réveil a été brutal. Le peuple algérien échappait à un pouvoir autoritaire pour tomber entre les mains d’un autre qui promettait ni plus ni moins qu’une dictature construite sur un postulat religieux. La sécurité militaire, instrument unique d’information du pouvoir a été prise en défaut et c’est cette carence qui a été à l’origine de la démission du président Chadli. Conseillé par ses principaux collaborateurs militaires (les généraux), il a créé le Département du renseignement et de la sécurité, plus connu sous le nom du DRS, lequel a été confié au général Mediène, dit Toufik
Pourquoi ce choix ?
Chadli a toujours choisi ses collaborateurs parmi les personnes qui ont travaillé sous ses ordres dans ses différents commandements. Le général Toufik était de ceux-là : un homme discret, efficace, loyal et surtout fondamentalement républicain. Il n’avait d’autres ambitions que de servir l’État. Devant le défi de l’insurrection armée des éléments radicaux du FIS, il a développé un maillage important de réseaux destinés à juguler l’organisation terroriste à l’intérieur des villes et dans les zones rurales. En plus de la mission de renseignement, il a créé des groupes d’intervention opérationnels qui opéraient auprès des unités constituées de l’ANP, composées en grande partie d’appelés.
Le DRS gérait les forces de frappe qui étaient les groupes de légitime défense (GLD), les patriotes et la garde communale. La toile intégriste a été extirpée des corps de l’État, armée, justice, administration et les élus. L’action du DRS a permis, à côté de celle de l’ANP et des autres services de sécurité et durant toute la décennie, de réduire la dangerosité de l’œuvre de destruction et de déstabilisation entreprise par l’hydre intégriste.
Nous arrivons à la fin de la décennie et Abdelaziz Bouteflika est coopté pour être candidat à la tête du pays. Le général Toufik a-t-il participé à cette cooptation ?
Oui. Il n’a pas été le seul général dans ce cas. Il faut citer en premier lieu les généraux Larbi Belkheir, Mohamed Touati, Abdelhamid Djouadi, pour les plus connus. Puis les généraux Khaled Nezzar et Mohamed Lamari qui, sans doute, sans être tout à fait pour, n’étaient pas tout à fait contre.
Quelles ont été les relations de Bouteflika président avec ces généraux ?
Le président Bouteflika était un homme expérimenté, intelligent et conscient du rôle qu’il voulait s’attribuer. C’est-à-dire être en tout lieu et à tout moment maître de la décision. Il ne pouvait supporter de partager le pouvoir et en manœuvrier habile, il va prendre tout son temps pour asseoir son autorité. Il écarte le général Lamari, chef d’état-major de l’ANP, à la fin de son premier mandat en 2004. Au cours du deuxième mandat, c’est le tour de son puissant directeur de cabinet le général Larbi Belkheir nommé ambassadeur à Rabat ainsi que quelques généraux qui ne jouissait pas de sa confiance tel que le général Fodhil, chef de la première région militaire et le général Kamel Abderrahmane, chef de la deuxième région militaire. Il continuait à avoir l’appui du général Toufik et à se préparer à mettre en œuvre une vision réfléchie de longue date, c’est-à-dire réformer l’État dans sa profondeur
Que visait-il et avec quelle stratégie ?
Il visait une Algérie nouvelle avec un régime et des institutions totalement différentes de ce qui a prévalu depuis l’indépendance. Il pensait le pays suffisamment apaisé par l’opération de réconciliation nationale, de même que par la percée économique favorisée par les grands chantiers publics qui ont amélioré les conditions de vie des citoyens pour envisager de nouvelles étapes. Pour cela, il avait besoin d’un troisième mandat. Durant ce troisième mandat, contesté par de nombreux opposants, il a officiellement annoncés les réformes que nous avons connues : loi sur la représentation des femmes, loi électorale, la loi sur la commune, sur la wilaya, loi sur les partis et les associations.
Pensez-vous que ces lois constituent une avancée démocratique ?
Pas tout à fait. En raison d’une concertation restrictive sur la teneur des textes par les familles politiques et d’un encouragement non dissimulé du parti officiel, le FLN, qui a réussi à obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Laquelle Assemblée nationale majoritairement conservatrice a considérablement réduit l’impact des avancées démocratiques lors de l’examen des textes que j’ai cités plus haut.
Entretien avec Dahou Ould Kablia
TSA - 13:03 mercredi 23 septembre 2015 | Par Nadia Mellal | Actualité
Vous avez été un membre influent au sein du MALG durant la lutte de libération nationale et vous avez exercé des pouvoirs importants au sein de l’État depuis l’indépendance (longtemps wali puis ministre de l’Intérieur). Comment expliquez-vous que chaque fois que l’on parle de la sécurité militaire ou du DRS, on fait le rapprochement sur sa filiation avec le MALG. Qu’en est-il exactement ?
Il y a une filiation de fait puisqu’une grande majorité des éléments des services de renseignement du MALG a été reprise dès l’indépendance pour constituer le premier noyau de la sécurité militaire sous la tutelle du ministre de la Défense nationale, c’est-à-dire du colonel Boumediene. Mais à part cette filiation, il y a une grande différence entre les missions et les méthodes propres à chaque service.
Pendant la Guerre de libération nationale, la mission des services était concentrée sur la connaissance de l’ennemi. C’est-à-dire le gouvernement français dans ses intentions et son action, et l’armée française qui combattait le FLN. Et accessoirement, la direction de la vigilance et du contre-renseignement s’employait à connaître les hommes, c’est-à-dire ceux qui pouvaient constituer un danger pour la sécurité du combat libérateur. Quant aux méthodes, un nombre restreint de cadres pilotaient à distance des réseaux de renseignement à l’intérieur du territoire national ou à l’extérieur. Pour ce qui est des moyens techniques, une seule méthode : l’écoute des réseaux radio-électriques de l’ennemi (réseaux de transmission au service de la révolution). C’était suffisant pour une bonne information.
À l’indépendance, la sécurité militaire s’est vue assignée d’autres missions et d’autres objectifs : la protection de l’État naissant dirigé par un pouvoir issu d’une confrontation violente entre les ex-dirigeants du FLN, ce que l’on a appelé la crise de l’été 62, était la priorité. Ce pouvoir incarné par Ben Bella et Boumediene était beaucoup plus préoccupé par la menace intérieure. La SM a été chargée de réduire toute velléité de remise en cause de ce pouvoir, choix du parti unique et choix clientélistes des responsables.
Les opposants étaient nombreux tant sur le plan politique que sur le plan du projet de société puisque Ben Bella avait choisi la voie socialiste pour la gestion des affaires du pays. La sécurité militaire prenait, par conséquent, une dimension considérable et écrasait de son poids le champ politique national. Sans contrôle, ni contre-pouvoir. À la mort de Boumediene en 1978, le président Chadli, amené au pouvoir par cette même sécurité militaire, mettra beaucoup de temps pour réduire la puissance de cette structure en changeant les hommes à sa tête, à l’image de la marginalisation de Merbah et de certains de ses collaborateurs.
Mais la mission de la sécurité militaire était restée la même et ses méthodes tout à fait identiques, c’est-à-dire tout à fait convenables au plan de la légalité. Bien plus, Chadli introduisait une dimension supplémentaire avec le développement d’un fichier nécessaire à la connaissance des responsables dans le cadre de la procédure d’habilitation pour les nominations aux emplois supérieurs.
La sécurité militaire avait-elle prévu les événements d’octobre 88 ?
La réponse est difficile. Personnellement, je ne pense pas que les services ignoraient le foisonnement de colère qui s’amplifiait au sein du peuple. J’opte pour le fait que le président Chadli a dû être informé, mais qu’il n’en a pas tenu compte. Ce même défaut d’anticipation de sa part a déjà été à l’origine du Printemps berbère de 1980 à cause de l’initiative prise localement à Tizi Ouzou d’interdire une conférence de Mouloud Mammeri.
Que s’est-il passé après 88 ?
Beaucoup de choses, particulièrement une ouverture débridée et incontrôlable du champ politique qui a vu la naissance du Front islamique du salut (FIS). Ce dernier, profitant du désamour du peuple vis-à-vis du parti unique, s’est rapidement développé sur l’ensemble du territoire national, arrachant la presque totalité des assemblées locales (APC et APW) et qui s’apprêtait de manière légale à contrôler l’Assemblée populaire nationale (APN).
C’est à cette époque que la SM a été transformé en DRS ?
Oui. Le réveil a été brutal. Le peuple algérien échappait à un pouvoir autoritaire pour tomber entre les mains d’un autre qui promettait ni plus ni moins qu’une dictature construite sur un postulat religieux. La sécurité militaire, instrument unique d’information du pouvoir a été prise en défaut et c’est cette carence qui a été à l’origine de la démission du président Chadli. Conseillé par ses principaux collaborateurs militaires (les généraux), il a créé le Département du renseignement et de la sécurité, plus connu sous le nom du DRS, lequel a été confié au général Mediène, dit Toufik
Pourquoi ce choix ?
Chadli a toujours choisi ses collaborateurs parmi les personnes qui ont travaillé sous ses ordres dans ses différents commandements. Le général Toufik était de ceux-là : un homme discret, efficace, loyal et surtout fondamentalement républicain. Il n’avait d’autres ambitions que de servir l’État. Devant le défi de l’insurrection armée des éléments radicaux du FIS, il a développé un maillage important de réseaux destinés à juguler l’organisation terroriste à l’intérieur des villes et dans les zones rurales. En plus de la mission de renseignement, il a créé des groupes d’intervention opérationnels qui opéraient auprès des unités constituées de l’ANP, composées en grande partie d’appelés.
Le DRS gérait les forces de frappe qui étaient les groupes de légitime défense (GLD), les patriotes et la garde communale. La toile intégriste a été extirpée des corps de l’État, armée, justice, administration et les élus. L’action du DRS a permis, à côté de celle de l’ANP et des autres services de sécurité et durant toute la décennie, de réduire la dangerosité de l’œuvre de destruction et de déstabilisation entreprise par l’hydre intégriste.
Nous arrivons à la fin de la décennie et Abdelaziz Bouteflika est coopté pour être candidat à la tête du pays. Le général Toufik a-t-il participé à cette cooptation ?
Oui. Il n’a pas été le seul général dans ce cas. Il faut citer en premier lieu les généraux Larbi Belkheir, Mohamed Touati, Abdelhamid Djouadi, pour les plus connus. Puis les généraux Khaled Nezzar et Mohamed Lamari qui, sans doute, sans être tout à fait pour, n’étaient pas tout à fait contre.
Quelles ont été les relations de Bouteflika président avec ces généraux ?
Le président Bouteflika était un homme expérimenté, intelligent et conscient du rôle qu’il voulait s’attribuer. C’est-à-dire être en tout lieu et à tout moment maître de la décision. Il ne pouvait supporter de partager le pouvoir et en manœuvrier habile, il va prendre tout son temps pour asseoir son autorité. Il écarte le général Lamari, chef d’état-major de l’ANP, à la fin de son premier mandat en 2004. Au cours du deuxième mandat, c’est le tour de son puissant directeur de cabinet le général Larbi Belkheir nommé ambassadeur à Rabat ainsi que quelques généraux qui ne jouissait pas de sa confiance tel que le général Fodhil, chef de la première région militaire et le général Kamel Abderrahmane, chef de la deuxième région militaire. Il continuait à avoir l’appui du général Toufik et à se préparer à mettre en œuvre une vision réfléchie de longue date, c’est-à-dire réformer l’État dans sa profondeur
Que visait-il et avec quelle stratégie ?
Il visait une Algérie nouvelle avec un régime et des institutions totalement différentes de ce qui a prévalu depuis l’indépendance. Il pensait le pays suffisamment apaisé par l’opération de réconciliation nationale, de même que par la percée économique favorisée par les grands chantiers publics qui ont amélioré les conditions de vie des citoyens pour envisager de nouvelles étapes. Pour cela, il avait besoin d’un troisième mandat. Durant ce troisième mandat, contesté par de nombreux opposants, il a officiellement annoncés les réformes que nous avons connues : loi sur la représentation des femmes, loi électorale, la loi sur la commune, sur la wilaya, loi sur les partis et les associations.
Pensez-vous que ces lois constituent une avancée démocratique ?
Pas tout à fait. En raison d’une concertation restrictive sur la teneur des textes par les familles politiques et d’un encouragement non dissimulé du parti officiel, le FLN, qui a réussi à obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Laquelle Assemblée nationale majoritairement conservatrice a considérablement réduit l’impact des avancées démocratiques lors de l’examen des textes que j’ai cités plus haut.
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