L'affaire Ben Barka est le plus vieux dossier judiciaire français. 50 ans après, France 3 lui consacre un documentaire, jeudi soir. Révélations.
Mehdi Ben Barka serait-il immortel ? Au début des années 60, l'homme, principal opposant au roi Hassan II du Maroc, est un étendard de la gauche dans le monde entier. Cinquante ans plus tard, Ben Barka est mort, mais son nom empoisonne encore les relations diplomatiques entre la France et le Maroc : il est à jamais une épine dans le pied de la monarchie et de la République. "Ce qui s'est passé n'a rien eu que de vulgaire et de subalterne", tempérait en son temps de Gaulle. Fermez le ban ! La vérité est pourtant terrifiante...
Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka disparaît en plein Paris, boulevard Saint-Germain, alors qu'il se rend à un déjeuner d'affaires à la brasserie Lipp. Le politique est embarqué dans une fourgonnette, conduite par deux hommes se présentant comme des policiers. Le piège se referme : Ben Barka ne réapparaîtra jamais en public. Depuis cinquante ans, les juges d'instruction se succèdent – certains plus tenaces que d'autres – pour tenter de résoudre cette affaire éminemment politique.
Qui a été le commanditaire direct de ce meurtre ? Quel est le degré d'implication de la France ? Trop de gens sont au courant, dans les services de renseignements marocains et français, ainsi que dans les sphères du pouvoir politique, pour que le secret ne soit pas éventé un jour, veut-on croire. Aujourd'hui, d'une seule question pourrait dépendre tout le reste : où le corps de Ben Barka a-t-il été enterré ? Joseph Tual, qui a consacré une bonne partie de sa vie privée et professionnelle à cette affaire, pense détenir la réponse. Témoignages exclusifs, pièces et images inédites... Jeudi, dans un passionnant documentaire diffusé à 23 h 20 sur France 3, le journaliste livre le fruit de son travail.
Le roi du Maroc, commanditaire du meurtre ?
L'affaire Ben Barka est sans conteste l'un des plus gros scandales d'État du XXe siècle. Ben Barka a-t-il été assassiné pour avoir voulu faire du Maroc une monarchie constitutionnelle ? Joseph Tual, comme les juges d'instruction, en est intimement persuadé : c'est bien Hassan II, même s'il n'a jamais été mis en cause dans le dossier, qui a réclamé sa tête. Seules les petites mains - françaises et marocaines -, celles qui avaient fait le sale boulot, ont été condamnées lors d'un procès qui s'est tenu à Paris en 1967. Mais aucun des commanditaires n'a jamais été désigné par les meurtriers.
En 2005, Joseph Tual et son équipe ont réussi l'exploit d'arracher les confessions d'Antoine Lopez, alias « Savonette », un ancien informateur des services secrets français condamné à plusieurs années de prison pour sa participation à l'enlèvement. Ces aveux – exceptionnels et jamais diffusés – ont été filmés au domicile de Lopez, alors que celui-ci croyait que la caméra ne tournait pas encore. « Tu sais qui était le chef de tout ça ? demande-t-il à Tual sans attendre sa réponse. Hassan II. » « Alors qu'Antoine Lopez n'avait jamais tenu des propos de ce type, je pense qu'il a eu un peu honte, explicite Joseph Tual. Au moment où l'on a tourné cette vidéo, c'était un vieil homme, plutôt sympathique dans son genre. Peut-être s'est-il dit qu'il n'avait plus rien à perdre. »
Joseph Tual se lancera également sur les traces de trois truands français, Boucheseiche, Le Ny et Dubail, disparus dans la nature, et soupçonnés d'être les vrais auteurs de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka. Le journaliste ne retrouvera leur trace que fortuitement, en 1993, grâce au témoignage d'un certain Ali Bourequat, emprisonné dans une prison secrète du roi du Maroc : le PF3. Sur procès-verbal, Bourequat affirmera avoir été détenu aux côtés des trois voyous. Exfiltrés de France au lendemain du crime, Boucheseiche, Le Ny et Dubail auraient d'abord été protégés par le pouvoir marocain, avant finalement d'être emprisonnés puis tués à leur tour. Aujourd'hui, Bourequat rapporte, devant les caméras, des propos que Pierre Dubail lui aurait tenus avant de mourir : « La tête de Ben Barka, il m'a dit, elle est en face. Elle est juste là-bas. Et il m'a montré exactement l'endroit où elle était. » Ainsi donc, à en croire cet homme, la clé du mystère reposerait ici : à quelques mètres sous terre, dans une des prisons les plus morbides du royaume, où de nombreux opposants et personnalités gênantes pour le régime auraient été assassinés. « Plusieurs sources différentes, dont je ne peux rendre les noms publics, m'ont narré cette histoire », soutient Joseph Tual. La piste est jugée sérieuse par les enquêteurs.
Une mystérieuse prison secrète : le PF3
Reste que, cinquante ans plus tard, la vérité paraît bien difficile à prouver. Le juge d'instruction français Patrick Ramaël s'y est cassé les dents plusieurs fois, malgré une obstination sans faille. Ses mandats d'arrêt, lancés en 2007 contre plusieurs hauts émissaires marocains susceptibles de détenir des informations, ont été ignorés par le Maroc. Quant au PF3, le magistrat n'a bien entendu jamais obtenu l'autorisation de le fouiller. Seul Joseph Tual est parvenu, en 2000, à échapper à la vigilance des services secrets marocains qui le suivaient nuit et jour, pour aller tourner quelques images du lieu, grand comme un « terrain de football », explique-t-il.
Ces images, il les révèle pour la première fois au public. Situé en plein quartier chic de Rabat, le PF3 apparaît en ruines, protégé par un simple mur de béton. Sous terre, un possible charnier. La prison est aujourd'hui sous bonne garde et a fait l'objet de quelques aménagements. Le pouvoir y a en effet planté... des orangers par dizaines ! La terre semble fertile sauf à un endroit large de quelques mètres où les arbres ne poussent pas. Une seule explication, selon un expert interrogé par Joseph Tual : la chaux vive. Une substance utilisée pour camoufler l'odeur des corps, dont les sous-sols du PF3 regorgeraient...
L'idée paraît incroyable. « Aucune thèse n'est folle » dans cette affaire, corrige le juge Patrick Ramaël. Qui ajoute : « Dans le système judiciaire français, on n'est pas aidés pour faire avancer la vérité. Dans quelques années, il sera trop tard. » Le combat est d'ailleurs peut-être déjà perdu. La France a accepté de signer, l'été dernier, un protocole d'entraide judiciaire très contesté avec le Maroc. Sur le fond, cet accord, accepté par la ministre de la Justice Christiane Taubira, prévoit, entre autres, que les plaintes déposées en France soient « prioritairement » examinées par Rabat. Pour Joseph Tual, ce texte est une honte et est suceptible de nuire à bien des procédures judiciaires sensibles : « La France a capitulé sur ses valeurs. Elle a perdu sa souveraineté face au Maroc. »
le Point fr
Mehdi Ben Barka serait-il immortel ? Au début des années 60, l'homme, principal opposant au roi Hassan II du Maroc, est un étendard de la gauche dans le monde entier. Cinquante ans plus tard, Ben Barka est mort, mais son nom empoisonne encore les relations diplomatiques entre la France et le Maroc : il est à jamais une épine dans le pied de la monarchie et de la République. "Ce qui s'est passé n'a rien eu que de vulgaire et de subalterne", tempérait en son temps de Gaulle. Fermez le ban ! La vérité est pourtant terrifiante...
Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka disparaît en plein Paris, boulevard Saint-Germain, alors qu'il se rend à un déjeuner d'affaires à la brasserie Lipp. Le politique est embarqué dans une fourgonnette, conduite par deux hommes se présentant comme des policiers. Le piège se referme : Ben Barka ne réapparaîtra jamais en public. Depuis cinquante ans, les juges d'instruction se succèdent – certains plus tenaces que d'autres – pour tenter de résoudre cette affaire éminemment politique.
Qui a été le commanditaire direct de ce meurtre ? Quel est le degré d'implication de la France ? Trop de gens sont au courant, dans les services de renseignements marocains et français, ainsi que dans les sphères du pouvoir politique, pour que le secret ne soit pas éventé un jour, veut-on croire. Aujourd'hui, d'une seule question pourrait dépendre tout le reste : où le corps de Ben Barka a-t-il été enterré ? Joseph Tual, qui a consacré une bonne partie de sa vie privée et professionnelle à cette affaire, pense détenir la réponse. Témoignages exclusifs, pièces et images inédites... Jeudi, dans un passionnant documentaire diffusé à 23 h 20 sur France 3, le journaliste livre le fruit de son travail.
Le roi du Maroc, commanditaire du meurtre ?
L'affaire Ben Barka est sans conteste l'un des plus gros scandales d'État du XXe siècle. Ben Barka a-t-il été assassiné pour avoir voulu faire du Maroc une monarchie constitutionnelle ? Joseph Tual, comme les juges d'instruction, en est intimement persuadé : c'est bien Hassan II, même s'il n'a jamais été mis en cause dans le dossier, qui a réclamé sa tête. Seules les petites mains - françaises et marocaines -, celles qui avaient fait le sale boulot, ont été condamnées lors d'un procès qui s'est tenu à Paris en 1967. Mais aucun des commanditaires n'a jamais été désigné par les meurtriers.
En 2005, Joseph Tual et son équipe ont réussi l'exploit d'arracher les confessions d'Antoine Lopez, alias « Savonette », un ancien informateur des services secrets français condamné à plusieurs années de prison pour sa participation à l'enlèvement. Ces aveux – exceptionnels et jamais diffusés – ont été filmés au domicile de Lopez, alors que celui-ci croyait que la caméra ne tournait pas encore. « Tu sais qui était le chef de tout ça ? demande-t-il à Tual sans attendre sa réponse. Hassan II. » « Alors qu'Antoine Lopez n'avait jamais tenu des propos de ce type, je pense qu'il a eu un peu honte, explicite Joseph Tual. Au moment où l'on a tourné cette vidéo, c'était un vieil homme, plutôt sympathique dans son genre. Peut-être s'est-il dit qu'il n'avait plus rien à perdre. »
Joseph Tual se lancera également sur les traces de trois truands français, Boucheseiche, Le Ny et Dubail, disparus dans la nature, et soupçonnés d'être les vrais auteurs de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka. Le journaliste ne retrouvera leur trace que fortuitement, en 1993, grâce au témoignage d'un certain Ali Bourequat, emprisonné dans une prison secrète du roi du Maroc : le PF3. Sur procès-verbal, Bourequat affirmera avoir été détenu aux côtés des trois voyous. Exfiltrés de France au lendemain du crime, Boucheseiche, Le Ny et Dubail auraient d'abord été protégés par le pouvoir marocain, avant finalement d'être emprisonnés puis tués à leur tour. Aujourd'hui, Bourequat rapporte, devant les caméras, des propos que Pierre Dubail lui aurait tenus avant de mourir : « La tête de Ben Barka, il m'a dit, elle est en face. Elle est juste là-bas. Et il m'a montré exactement l'endroit où elle était. » Ainsi donc, à en croire cet homme, la clé du mystère reposerait ici : à quelques mètres sous terre, dans une des prisons les plus morbides du royaume, où de nombreux opposants et personnalités gênantes pour le régime auraient été assassinés. « Plusieurs sources différentes, dont je ne peux rendre les noms publics, m'ont narré cette histoire », soutient Joseph Tual. La piste est jugée sérieuse par les enquêteurs.
Une mystérieuse prison secrète : le PF3
Reste que, cinquante ans plus tard, la vérité paraît bien difficile à prouver. Le juge d'instruction français Patrick Ramaël s'y est cassé les dents plusieurs fois, malgré une obstination sans faille. Ses mandats d'arrêt, lancés en 2007 contre plusieurs hauts émissaires marocains susceptibles de détenir des informations, ont été ignorés par le Maroc. Quant au PF3, le magistrat n'a bien entendu jamais obtenu l'autorisation de le fouiller. Seul Joseph Tual est parvenu, en 2000, à échapper à la vigilance des services secrets marocains qui le suivaient nuit et jour, pour aller tourner quelques images du lieu, grand comme un « terrain de football », explique-t-il.
Ces images, il les révèle pour la première fois au public. Situé en plein quartier chic de Rabat, le PF3 apparaît en ruines, protégé par un simple mur de béton. Sous terre, un possible charnier. La prison est aujourd'hui sous bonne garde et a fait l'objet de quelques aménagements. Le pouvoir y a en effet planté... des orangers par dizaines ! La terre semble fertile sauf à un endroit large de quelques mètres où les arbres ne poussent pas. Une seule explication, selon un expert interrogé par Joseph Tual : la chaux vive. Une substance utilisée pour camoufler l'odeur des corps, dont les sous-sols du PF3 regorgeraient...
L'idée paraît incroyable. « Aucune thèse n'est folle » dans cette affaire, corrige le juge Patrick Ramaël. Qui ajoute : « Dans le système judiciaire français, on n'est pas aidés pour faire avancer la vérité. Dans quelques années, il sera trop tard. » Le combat est d'ailleurs peut-être déjà perdu. La France a accepté de signer, l'été dernier, un protocole d'entraide judiciaire très contesté avec le Maroc. Sur le fond, cet accord, accepté par la ministre de la Justice Christiane Taubira, prévoit, entre autres, que les plaintes déposées en France soient « prioritairement » examinées par Rabat. Pour Joseph Tual, ce texte est une honte et est suceptible de nuire à bien des procédures judiciaires sensibles : « La France a capitulé sur ses valeurs. Elle a perdu sa souveraineté face au Maroc. »
le Point fr
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