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À propos des rêves d’Althusser

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  • À propos des rêves d’Althusser

    Le secret de la vie, c’est sans doute d’être raisonnablement, normalement, ordinairement fou


    Dans une lettre de 1958 à Claire, son amour de l’époque, Louis écrit “le rêve est toujours en avance sur la vie : c’est une vérité absolument acquise, une vérité comme 2 et 2 font 4. Ce qui veut dire que la vie vérifie toujours ce que le rêve a discerné et conclu avant elle”. Ainsi rapportée sans auteur, cette phrase semble presque banale, banale mais jolie. En 1964, le même Louis rêve qu’il doit tuer sa sœur, “la tuer avec son accord : sorte de communion pathétique dans le sacrifice… presque comme un arrière-goût de faire l’amour, comme en découvrir les entrailles de ma mère ou sœur, son cou, sa gorge pour lui faire du bien”. Un peu plus loin dans le même rêve, il note “donner la mort comme un don pour l’autre, en lui faisant le moins mal possible, sans rechercher mon plaisir à moi ou mon bien : réconcilié avec la personne que je tue… affectivement réconcilié, pardonné, bien mieux approuvé”.

    Seize ans plus tard, on découvre que ce rêve était prémonitoire. Althusser étrangle sa femme Hélène en novembre 1980. Comme si, malgré lui, il avait donné raison à ce qu’il notait dans sa lettre à Claire : oui, le rêve est en avance sur la vie, c’est une vérité comme 2 et 2 font 4. Le philosophe sera jugé en état de démence au moment des faits, il n’y aura donc ni crime ni délit. Juste un meurtre à deux, comme l’analyse une note attribuée à son psychiatre “le meurtre s’est fait à deux : il a été la réalisation à deux d’un type extrême de relation sexuelle. Une folie à deux… il y a eu un emballement de la folie, la folie n’est pas du tout la psychose pour nous, car la folie est une passion intense qui envahit totalement le réel, alors que la psychose isole complètement du réel”.

    La seule preuve d’amour un peu sérieuse serait-elle de partager sa folie avec la personne aimée, de la partager jusqu’au bout ? Le psychiatre traitant à l’époque le philosophe poursuit : “la folie est un mécanisme normal mais qui s’emballe. Diatkine dit que l’on tombe dans la dépression lorsque la folie (quotidienne et normale) devient impossible. Si je ne puis faire de ma femme (tout ordinaire qu’elle soit) une femme belle, idéale, une sorte de reine attirante, en projetant sur elle ma folie (passion), mon ménage est foutu”.

    Comment être normalement fou ?
    Dès lors, deux solutions semblent s’imposer si l’on veut sauver son couple : quitter la personne aimée (par peur de projeter un peu trop sa folie sur elle) ou l’étrangler (par besoin de partager toute sa folie avec elle). La première solution est raisonnable et ordinaire, l’autre un peu moins. Il reste toujours bien sûr une solution alternative : accepter que le couple soit foutu et ne rien tenter du tout. Sans doute la solution la plus universellement partagée !

    Qui est le plus fou, celui qui accepte que le couple soit foutu ? Celui qui le détruit ? Ou celui qui détruit un des deux éléments du couple ? Chacun est fou à sa manière, le secret de l’histoire et sans doute aussi de la vie, c’est d’être raisonnablement, normalement, ordinairement fou. Si la folie ordinaire nous protège de la dépression, on peut en déduire trois façons de vivre. Vivre en étant raisonnablement fou, ou suffisamment fou pour ne pas être dépressif. Vivre en étant déraisonnablement fou ou anormalement fou au risque de sacrifier sa propre vie. Vivre quelque part entre la folie et la dépression, une sorte de vie suspendue, entre parenthèses, une vie indifférente ou neutre. Quel est le choix le plus juste ? Le plus supportable ? Celui qui rend le plus heureux ?

    “Deux solutions semblent s’imposer si l’on veut sauver son couple : quitter la personne aimée (par peur de projeter un peu trop sa folie sur elle) ou l’étrangler (par besoin de partager toute sa folie avec elle)”

    Althusser partagea sa vie entre philosophes, femmes, médicaments. Antidépresseurs et anxiolytiques, laudanum, Athymil, chloral, Vivalan, Marx, Spinoza, Machiavel, Rousseau, Hélène, Claire, Franca furent ses compagnons de route. Olivier Corpet, dans sa présentation du récit des rêves du philosophe intitulé ‘Des rêves d’angoisse sans fin’, nous précise qu’en 1964, il change de psychanalyste, passant de Laurent Stévenin à René Diatkine. Précision utile mais qui ne parlera qu’aux professionnels de la profession. Le philosophe note ses rêves avec autant de rigueur que ses pensées, sans doute parce qu’il sent que chaque rêve est une pensée enveloppée, une vérité à l’état de chrysalide, une petite prophétie qui nous met sur le chemin de notre désir. Les rêves d’angoisse sans fin rapportés ici n’appartiennent qu’à Althusser, mais sa manière de les noter, de les penser, en fait une matière extrêmement touchante et totalement universelle.

    Dans ‘L’Avenir dure longtemps’, son grand essai pour comprendre sa vie et revenir sur les faits, il introduit la distinction suivante : “un idéaliste est un homme qui sait, et de quelle gare part le train, et quelle est sa destination. Il le sait d’avance et quand il monte dans un train, il sait où il va puisque le train l’emporte. Un matérialiste, au contraire, est un homme qui prend le train en marche, sans savoir d’où il vient ni où il va”. Nul ne sait où le mènent ses rêves, comme le train, comme la vie, il faut les prendre en marche. Comme quoi on peut être matérialiste sans forcément être marxiste. Comme quoi aussi, Althusser à rien et Althusser le quiqui resteront deux bonnes blagues potaches normaliennes qui n’enlèveront jamais rien à l’émotion d’un grand texte.

    l'économiste fr

  • #2
    Bien qu'il fût l'un des esprits les plus brillants de l'intelligentsia française du XXe siècle, Althusser était d'abord un maniaco-dépressif qui se faisait régulièrement traiter par des électrochocs à l'asile de Sainte-Anne. Sa rencontre avec l'activiste marxiste Hélène Rytmann, son aînée de 10 ans, alors qu'il n'en avait que 28 et était encore puceau, a complètement bouleversé sa vie.

    Les rapports énigmatiques qu'ils ont eu des années durant, par lettres interposées, traduisent un peu ce va-et-vient entre raison et déraison, jusqu'au jour où le fil ténu séparant ces deux univers finit par rompre irréversiblement.
    Fortuna nimium quem fovet, stultum facit.

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    • #3
      Ce n'est pas un hasard que les super intelligents frôlent la démence

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      • #4
        Je crois qu'il faut se garder de toute généralisation abusive en la matière. Si beaucoup de génies ne sont pas dénués d'un grain de folie, tous les fous ne sont pas nécessairement des génies, loin s'en faut. Ceci est d'ailleurs d'autant plus compliqué à cerner que le concept même de folie est difficile à appréhender. Quel être raisonnable pourrait d'ailleurs prétendre comprendre ce qu'est la démence ?

        Lorsqu'on évoque la folie de Nietzsche, par exemple, on est clairement à la fin de sa vie où la détérioration de sa santé ne lui permet plus de produire quoi que ce soit de valable, étant donné le délire et l'aliénation dans lesquels il était plongé.
        Fortuna nimium quem fovet, stultum facit.

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