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La croissance massive des inégalités au sein des pays en voie de développement est impressionnante

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  • La croissance massive des inégalités au sein des pays en voie de développement est impressionnante

    Cette semaine, les dirigeants de la planète rassemblés aux Nations Unies élaborent les prochains “objectifs du millénaire”, en pratique pour 15 ans, dont le but principal est de réduire la pauvreté. Les précédents objectifs (2000-2015) ont été dans l’ensemble un réel succès sur ce point. En 1990, 36 % de l’humanité était dans la pauvreté “extrême” – moins de 1,25 $ par jour – mais 12 % le sont encore en 2015. Ce résultat est largement dû à la Chine, où cette proportion est passée de 61 % à 4 %, et au reste de l’Asie (de 52 % à 17 %) quand la situation en Afrique n’a que peu progressé (de 57 % à 41 %). La mortalité maternelle et infantile a été réduite de presque moitié et la scolarisation primaire est passée de 83 à 91 % (80 % seulement en Afrique).

    Réduire la misère est vital et le succès constaté est de bon augure pour la suite, avec une première réserve toutefois. Une étude approfondie (Martin Ravallion, NBER décembre 2014) montre que ces efforts ont en effet réduit le nombre de personnes vivant sous le seuil absolu de survie, mais qu’ils n’ont pratiquement pas fait bouger le niveau de ce seuil, qui est resté inchangé depuis le début des années 80. En gros, les très pauvres sont passés de la misère mortifère à la survie précaire, et rien de plus


    Plus largement, ces objectifs se fixent en priorité la réduction de la misère extrême, ce qui n’est pas la même chose que le développement. Assurer la survie des nouveau-nés et la scolarisation des enfants est une condition nécessaire mais pas suffisante. De quoi vivront-ils une fois adultes ? De ce point de vue, la situation est beaucoup moins brillante. En particulier, l’évolution des technologies industrielles menace clairement la trajectoire de développement qui a si bien réussi à tous les pays sortis de la misère depuis 40 ans, notamment en Asie. Tous ont commencé en bénéficiant d’une main-d’œuvre un peu éduquée mais surtout très bon marché. Cet avantage est en train de disparaître face aux progrès de l’automatisation.

    Moteur industriel au ralenti
    D’un côté, les pays qui ont réussi de la sorte, au premier rang desquels la Chine, sont en train de perdre cet avantage comparatif : 25 millions d’emplois industriels ont disparu en Chine depuis 1996 malgré une hausse de la production de 70 %. Toutefois, dans ce cas, c’est largement l’effet du renchérissement de la main-d’œuvre chinoise – ce qui est une bonne nouvelle pour son développement et dont la contrepartie est une claire et rapide montée en gamme de l’industrie chinoise, qui produit aujourd’hui des voitures de haut de gamme, des TGV et de l’électronique de pointe.

    De l’autre côté, les pays qui entament cette trajectoire, comme le Bangladesh ou l’Indonésie, vont avoir de plus en plus de mal, car leurs concurrents sont désormais des robots qui ne connaissent ni grève, ni revendication salariale, et peuvent s’implanter partout à proximité des marchés pour les produits qu’ils fabriquent, réduisant les coûts de transports et les risques d’évolution salariale. La baisse de la part des salaires dans le PNB se constate dans la plupart de pays, y compris l’Inde, la Chine ou le Mexique. Et, plus précisément, depuis les années 80, la part de l’industrie dans les économies en développement baisse presque aussi vite que dans les pays avancés, à la seule exception de l’Asie du Sud-Est. Les pays avancés et asiatiques ont connu une telle rupture, mais à un moment où ils étaient déjà devenus riches, en moyenne avec un PNB par tête de 23 000 $ (2015) pour les premiers. Les pays en voie de développement (PVD) la connaissent aujourd’hui avec un revenu par tête de 1 200 $.

    Or l’industrie n’a pas d’équivalent pour dégager des gains de productivité qui créent de la richesse pour tous. Les services ne paraissent pas capables de la remplacer à cet égard. Ils représentent certes une part croissante des PNB des PVD, mais leur capacité à créer et diffuser la richesse est bien moindre. D’une part, les services à forte valeur ajoutée – finance, technologies de l’information, ingénierie, etc. – demandent une main-d’œuvre très qualifiée et pas tellement nombreuse. Malgré la place que l’Inde y occupe, ce n’est pas un moteur de croissance très important pour elle, et rien de comparable à ce que l’industrie délocalisée en Chine fut pour celle-ci. D’autre part, la masse des services dans les PVD sont informels ou à faible valeur ajoutée, comme le petit commerce ou l’artisanat. Leur émergence signifie celle d’une consommation modeste, ce qui explique leur très rapide développement en Afrique depuis 20 ans. Cela occupe du monde et contribue assurément à sortir des pans entiers de la population de la misère, et même à leur donner un (tout) petit niveau de vie. Mais on est loin de l’enrichissement connu par les PVD asiatiques, et sans perspective d’y parvenir.

    Enrichissement et progrès techniques, corrélation à double sens
    Plus grave encore : l’histoire du développement économique montre une corrélation très étroite entre l’enrichissement et l’adoption du progrès technique. À cet égard, l’étude sur longue durée du développement des pays, mesuré par le revenu par tête, révèle un double phénomène remarquable. D’un côté – merci la mondialisation –, la diffusion des technologies va de plus en plus vite.

    Une analyse sur 200 ans de la diffusion de 25 technologies clés au sein de 132 pays montre que s’il a fallu en moyenne 121 ans pour que les PVD du moment adoptent les grandes innovations du XIX (comme le navire à vapeur ou le chemin de fer), il n’y avait plus que 7 ans d’écart pour l’adoption d’Internet. Qui plus est, les différences entre les PVD se réduisent. L’adoption des navires à vapeur a pris entre 68 et 174 ans, quand celle du PC a pris entre 4 et 11 ans. C’est donc une bonne nouvelle.

    De l’autre côté malheureusement, il se révèle que le facteur clé du développement n’est pas l’arrivée d’une technique mais sa diffusion profonde dans l’économie, c’est-à-dire l’extension maximum de ses bénéfices. Un réseau de chemin de fer est d’autant plus utile qu’il est vaste et ramifié, un réseau de télécoms ou d’ordinateurs aussi. La corrélation avec la croissance du revenu par tête est énorme, mais surtout, elle est à double sens : plus le revenu par tête est élevé, plus la diffusion des technologies est rapide et profonde.



    Ce résultat solidement documenté sur le plan historique (et qui engendre un très bon modèle prédictif des écarts de croissance sur deux siècles entre l’Occident et le reste du monde) est remarquablement conforté par une approche tout à fait différente. Une équipe d’économistes d’Harvard, emmenée par Jeffrey Sachs, s’est posé la question du type de croissance que pouvait engendrer une automatisation toujours plus poussée. Plusieurs futurs sont possibles, mais une conclusion constante est que les bénéfices (éventuels) du progrès technique dépendent de plus en plus de celui déjà accumulé au fur et à mesure qu’il se développe.

    Les inégalités se creusent
    Enfin, la très grande inégalité d’accès effectif au progrès technique dans les PVD aboutit d’ores et déjà à creuser énormément les inégalités. Les élites qui peuvent en bénéficier voient leur richesse se rapprocher de celle des pays développés, tandis que les autres stagnent même s’ils ne sont plus dans la misère. La croissance massive des inégalités au sein des PVD depuis trente ans est impressionnante et plus grande encore que dans les pays développés. Les ressorts en sont identiques, mais l’impact est évidemment plus grand dans des pays où la différence n’est pas affaire de nuance dans l’accès au progrès technique, mais de tout ou rie

    Les défis du développement sont donc en train de changer de nature et les nouveaux vont être plus compliqués à relever. La disparition progressive mais bien entamée de la misère absolue est une grande victoire. Cependant, au fur et à mesure qu’elles vont sortir de la survie immédiate, les populations, qui sont de plus en plus informées, vont mieux mesurer l’écart qui les sépare de leurs propres élites et, a fortiori, des pays développés. Dans un cas comme dans l’autre, la pression politique qui va en résulter sera considérable et sans guère de réponse aujourd’hui.

    l'économiste fr
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