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    Dettes privées : bulles et résistances
    7 octobre par Aline Fares

    Compte rendu de l’atelier « Dettes privées : bulles et résistances » du parcours Nord de la 4e Université d’été du CADTM Europe avec, comme intervenant.e.s : Amina Amzil d’ATTAC-CADTM Maroc ;
    Fatima Martin de la PACD Espagne ;
    Andreja Zivkovic de Marks21 en Serbie ; et
    Lauren Tooker de Debt Resistance au Royaume Uni.

    Dans un contexte où nombreux sont qui nous prédisent l’explosion prochaine d’une bulle spéculative, l’atelier « dettes privées : bulles et résistances » apportait un éclairage concret sur des expériences vécues de communautés, de personnes qui s’organisent pour faire face à la violence du crédit.

    Difficile à première vue de concevoir un fil rouge entre quatre expériences très éloignées : Amina Amzil d’ATTAC-CADTM Maroc narrant la lutte d’un groupe de 1.500 femmes du sud marocain contre les abus (le mot est faible) des institutions de microcrédit ; Fatima Martin de la PACD Espagne partageant les espoirs portés par le mouvement des victimes de l’hypothèque et ses victoires ; Andreja Zivkovic de Marks21 en Serbie retraçant des histoires contrastées d’ex-Yougoslavie et de Croatie où la financiarisation des économies a été particulièrement rapide et brutale ; et Lauren Tooker de Debt Resistance au Royaume Uni relatant les luttes des étudiants britanniques et états-uniens forcés à s’endetter massivement pour payer leurs études.

    En filigrane a rapidement transparu le fait que chacune de ces « histoires » est aussi celle d’un retrait massif de la sphère publique : des services vitaux et essentiels tels que la santé, l’accès à la terre, la nourriture, le logement et l’éducation sortent de la gratuité, devenant de plus en plus chers et donc de moins en moins accessibles à des franges croissantes de la population. En cause, des politiques toujours plus restrictives en matière de dépenses publiques et l’application de recettes austéritaires qui conduisent à laisser les plus vulnérables entre les mains des banques et autres institutions financières pour subvenir à ces mêmes besoins vitaux et essentiels.

    Lauren Tooker le résume en quelques chiffres : non seulement l’augmentation considérable du coût des études supérieures depuis 2012 a fait des étudiants britanniques les diplômés les plus endettés d’Europe (40.000 £ par étudiant diplômé en moyenne, deux fois plus que les étudiants des Etats-Unis !) mais les études deviennent selon ses propres mots « un facteur d’inégalités plutôt qu’un facteur de mobilité sociale ». Ainsi, les 40% de diplômés les plus pauvres accumulent une dette de 53.000 £, soit 30% de plus que la moyenne.

    Au Maroc, l’absence de services publics dans les zones rurales a rendu vital le recours au microcrédit pour de nombreuses familles : au lieu de servir au financement de projets, les crédits octroyés – principalement à des femmes – pour des montants allant de 45 à 450 euros environ sont utilisés pour l’achat de biens de subsistance, pour le paiement du loyer, les fournitures scolaires et les soins médicaux, rendant inévitable la spirale infernale de l’endettement. Amina Amzil explique que non seulement les institutions de micro-crédit ne prennent pas en compte la capacité de remboursement des « bénéficiaires » et encore moins la viabilité d’hypothétiques projets, mais elles pratiquent des taux complètement usuriers (pouvant aller jusqu’à 50 voire 75% pour des crédits de 3 mois !), sont coupables d’escroqueries, abusant de l’analphabétisme de beaucoup de bénéficiaires, et exercent directement ou indirectement des pressions sur ces personnes. Certaines vont jusqu’à souscrire de nouveaux emprunts pour en rembourser un précédent arrivé à échéance.

    La dramatique crise du logement que traverse l’Espagne trouve elle ses sources dans la combinaison de trois grands facteurs, nous explique Fatima Martin : une loi des années 90 qui a rendu tout terrain potentiellement urbanisable – de quoi attiser l’appétit des promoteurs immobiliers et autres sociétés de construction ; une autre loi datant elle de l’époque franquiste qui stipule qu’en cas d’impayé, tous biens présents et futurs sont mobilisables ; et une offre de crédit quasi illimitée portée par le mantra : « les prix ne baisseront jamais, et les intérêts n’augmenteront pas ». Dans les dix années qui ont précédé la crise, ce sont ainsi 8 millions de logements qui ont été construits, portant l’Espagne dans le top 3 des pays de l’OCDE ayant connu les hausses de prix les plus importantes dans le secteur immobilier. A l’arrivée de la crise, les familles se trouvant dans l’impossibilité de payer leur prêt ont été expulsées : en tout, ce sont 400.000 familles qui ont été dépossédées et évacuées de leur logement, conduisant à la crise du logement massive à laquelle la population espagnole a du faire face.

    Andreja Zivkovic témoigne de la situation de l’ex-Yougoslavie et de la Croatie : à la chute des régimes socialiste, la croissance y a été portée par un endettement public et privé alimenté par des institutions financières étrangères. En ex-Yougoslavie, les monopoles d’état ont été transformés en monopoles privés. Les privatisations n’ont eu qu’un effet à court terme sur les finances publiques alors qu’elles ont conduit dans le même temps à une réduction des investissements dans le pays, à une perte de savoir-faire, et des pertes d’emplois – poussant les travailleurs en-dehors de leur pays, vers les emplois les plus précaires d’Europe de l’Ouest. En Croatie, le recours à l’endettement privé a notamment pris la forme de crédits hypothécaires indexés sur le franc suisse. Lorsque le franc suisse – valeur refuge au moment de la crise - s’est apprécié à une vitesse vertigineuse, le coût des remboursements a augmenté de façon telle que les familles qui avaient souscrit à ces emprunts se sont retrouvées dans l’impossibilité de les rembourser. 300.000 personnes, soit 5% de la population croate, est concernée – avec, comme en Espagne, une obligation de payer cette dette même une fois privés de leur logement.

    Que ce soit dans le cas des familles espagnoles ou croates, des femmes marocaines ou des étudiants anglais, impossible ou presque d’envisager une action individuelle : désobéir à la loi, ou à des créanciers puissants – et distants – nécessite la force de l’action collective. La honte et la fuite semblent être les sentiments et comportements les plus partagés lorsque l’on se retrouve écrasé sous le poids d’une dette : la raison du créancier – qui a la loi avec lui - est la plus forte, et une dette, « ça se paie ».

    La lutte engagée en 2011 au Maroc a encouragé les femmes à se rassembler et a permis de découvrir ce que subissent les bénéficiaires de microcrédits – contre l’idée largement répandue qui présente cette pratique comme l’ultime moyen de lutte contre la pauvreté. La répression des militantes et le désintérêt des médias rendent cependant cette lutte difficile. Elle n’enlève en rien son utilité, et doit être poursuivie, nous dit Amina, pour montrer que c’est le rôle de l’état de permettre l’accès des plus pauvres aux services essentiels, pas celui d’organismes de crédit qui considèrent ces mêmes populations comme un marché dont on peut tirer un profit. C’est dans ce contexte et suite aux arrestations en avril 2014 de Amina Morad et Nasser Bensmaïni, coordinateurs du Mouvement de soutien aux victimes du microcrédit, qu’une caravane internationale et d’autres initiatives de solidarité (pétitions, reportage) ont été organisées. La lutte contre le microcrédit est aujourd’hui plus vive que jamais et, comme le souligne Amina, elle a besoin d’un large soutien.

    En Croatie, les cinq plus grandes banques ont été poursuivies en justice et condamnées a réduire la valeur des crédits et le taux d’intérêt à leur montant d’origine. Cette décision a toutefois été revue suite à un appel, conduisant à des manifestations massives dans le pays. La décision du gouvernement de changer la loi suite à ces mouvements populaires lui a permis de rester en place. Mais les familles qui pendant des années avant cela ont dû payer des montants excessifs au point de les plonger dans la pauvreté n’ont pas été dédommagées.

    En Espagne, la mobilisation de la Plateforme des Victimes de l’Hypothèque a permis de reloger 2.500 personnes délogées et de bloquer 1.500 expulsions. Quelques mois après les élections municipales qui ont porté Ada Calau à la tête de la Mairie de Barcelone, des initiatives législatives populaires se sont multipliées, menant à la création des logements sociaux, garantissant l’accès à l’approvisionnement de base en eau, en gaz et en électricité, et interdisant la vente de logements vides propriété d’institutions financières. Une sanction est même infligée aux banques détenant des logements laissés vides depuis plus de deux ans, et l’impôt a été augmenté pour les plus grandes superficies (logements, commerces,…). Le logement reste cependant un problème dans un contexte où le gouvernement continue de soutenir l’austérité.

    La revendication première des étudiants surendettés de Grande Bretagne et des Etats-Unis est la gratuité de l’enseignement universitaire, à l’instar de la mobilisation allemande qui a conduit à l’interdiction des frais de scolarité dans le service public. Le mouvement « Free education of London » en est un exemple. « Strike the debt » aux Etats-Unis s’attaque elle de manière originale à la dette étudiante, en rachetant des crédits qui s’échangent à bas prix sur les marchés financiers, libérant ainsi les étudiants du poids de leur dette. Ce mouvement a encore un impact limité mais permet de montrer comment les étudiants endettés deviennent eux aussi un ‘marché’, par ailleurs très lucratif, et comment la violence de cette dette est imposée aux étudiants des Etats-Unis. « Strike the debt » se substitue ainsi aux investisseurs qui agissent tels des fonds vautours et qui, après avoir acquis ces crédits, font appel à des organismes spécialisés dans le recouvrement de créance et autres services juridiques pour faire pression sur les étudiants endettés dans le seul but de générer un bénéfice.

    Ce que nous montrent ces expériences diverses, c’est que ne pas payer peut être tout à fait légitime et devenir un acte politique porteur d’une autre perspective sur l’avenir : en appeler à un accès gratuit à l’éducation et aux soins de santé, à un accès au logement pour toutes et tous, sans asservissement. Elles illustrent aussi chacune le fonctionnement d’un système et son extension jusqu’à ses dernières limites, démontrant que ce sont ses fondements même qui doivent rester l’objet principal de la contestation. Elles montrent aussi que les luttes peuvent payer et contribuer à un changement, en ce qu’elle refusent le recul du public, qu’elles s’insurgent contre l’avancée de la dette au service d’une minorité et au détriment du plus grand nombre. Elles permettent aussi la construction d’alternatives.

  • #2
    Au Maroc, l’absence de services publics dans les zones rurales a rendu vital le recours au microcrédit pour de nombreuses familles : au lieu de servir au financement de projets, les crédits octroyés – principalement à des femmes – pour des montants allant de 45 à 450 euros environ sont utilisés pour l’achat de biens de subsistance, pour le paiement du loyer, les fournitures scolaires et les soins médicaux, rendant inévitable la spirale infernale de l’endettement.

    Amina Amzil explique que non seulement les institutions de micro-crédit ne prennent pas en compte la capacité de remboursement des « bénéficiaires » et encore moins la viabilité d’hypothétiques projets, mais elles pratiquent des taux complètement usuriers (pouvant aller jusqu’à 50 voire 75% pour des crédits de 3 mois !), sont coupables d’escroqueries, abusant de l’analphabétisme de beaucoup de bénéficiaires, et exercent directement ou indirectement des pressions sur ces personnes. Certaines vont jusqu’à souscrire de nouveaux emprunts pour en rembourser un précédent arrivé à échéance.
    J'espère qu'on en arrivera pas au même résultats dramatiques que ces crédits ont généré Inde !!

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