Lorsque l'on parle de terrorisme religieux ou de groupe terroriste, c'est tout de suite l’organisation de l'Etat islamique qui vient à l'esprit. Pourtant, malgré le danger que représente ce groupe terroriste, on en oublie Al-Qaïda, "le canal historique".
Atlantico : On lit régulièrement des articles de presse sur la situation chaotique de la Syrie. Selon vous, qu'en est-il réellement ?
Alain Rodier : Dans le cas du conflit syrien, le public est abreuvé de désinformation étatique et médiatique à grande échelle. A la base, elle est orchestrée par Washington dont les néocons restent un groupe de pression extraordinairement puissant et pas seulement dans le camp républicain. Chez les Démocrates, les plus connus sont Richard Perle et James Woosley. Hillary Clinton semble partager une partie de leurs idées sur le Moyen-Orient.
Je précise que la désinformation ne constitue pas un « mensonge » comme celui qui a consisté en 2003 à prétendre que le régime de Saddam Hussein possédait des armes chimiques opérationnelles et qu’il accueillait Al-Qaida (ce deuxième point a été une réalité APRES l’intervention américaine). La désinformation est une technique beaucoup plus subtile qui consiste à arranger des faits bien réels en insistant sur certains d’entre eux et en en escamotant d’autres. Cela permet de présenter à l’opinion une situation biaisée mais qui va dans le sens voulu par leurs initiateurs. Cette désinformation passe essentiellement par les journaux télévisés et radiophoniques qui n’ont pas le temps de prendre le recul nécessaire à l’analyse. De plus, ils prétendent à une certaine « objectivité », ce qui n’est pas le cas de la presse écrite dite d’« opinion ». La désinformation est ensuite relayée par des agents d’influence lors de débats audiovisuels puisque pour le public, ce qui est « vu à la télé » ou entendu sur les ondes est forcément vrai. Ces agents d’influence sont, soit conscients quand ils défendent une « cause » (qu’ils se gardent bien d’afficher), soit inconscients. Ce sont alors des « idiots utiles », expression attribuée à Lénine sans qu’aucun écrit ou témoignage ne vienne étayer ces dires. C’était peut-être déjà un cas de désinformation !
Ainsi, les dirigeants occidentaux relayés par les medias présentent la situation en Syrie de manière ternaire : le régime dictatorial de Bachar el-Assad est à la base de toutes les souffrances du peuple syrien ; ce dernier qui souhaite adhérer aux « valeurs universelles » prônées par l’Occident mène un juste combat de résistance ; Daesh qui est une « créature » du régime de Damas menace de ses actions terroristes l’Occident en général et la France en particulier.
Si ses assertions ne sont effectivement pas fausses, elles sont volontairement incomplètes par souci de manipulation de l’opinion. Il faut lui présenter un schéma simple avec d’un côté les « gentils » et de l’autre les « méchants ».
Il faut donc reprendre ces affirmations.
Le régime de Bashar el-Assad est effectivement autoritaire et brutal (mais est-il le seul ?). Toutefois, il était laïque et soutenait les minorités religieuses au premier rang desquelles se trouve les Alaouites (au pouvoir) qui sont proches des chiites. L’immense majorité des rebelles est sunnite (les Kurdes syriens constituent un cas à part car, en dehors d’une unité servant aux côtés du Front Islamique, ils ne se sont pas soulevés contre le régime). Les sunnites veulent reprendre les rênes du pays en soumettant les minorités religieuses à leur vision de l’islam voire, pour les plus radicaux, à procéder à l’extermination des Alaouites. Ces derniers sont décrits dans une fatwa jamais abrogée du théologien et juriste Ibn Taymiyya (qui a influencé les courants wahhabite et salafiste) comme « …plus infidèles que les juifs et les chrétiens, encore plus infidèles que de nombreux polythéistes […] la guerre est le châtiment contre eux… ». Il est donc facile de comprendre pourquoi les Alaouites se battent dos au mur (en réalité à la mer).
Ce serait le régime de Bachar el-Assad qui est à l’origine de 80% des 250 000 morts. Or, si on ne compte que les pertes au sein des membres des forces armées et les milices gouvernementales, la fourchette s’étend de 82 000 à 130 000 morts en supposant que l’opposition n’a tué aucun civil... Les agents d’influence ne sont décidément pas bons en mathématiques.
Quant à l’emploi d’armes chimiques par le régime, c’est vraisemblable mais pas formellement prouvé. Le rapport des services de renseignement français diffusé dans les media est un exemple de manipulation des faits. Il a été effectué sur ordre avec mission d’arriver à la conclusion voulue par le pouvoir politique. Il semble par ailleurs que les deux camps les auraient employés (mais là, pas de rapport des services français à se mettre sous la dent).
Les militaires savent bien que la guerre est une chose horrible et que, lorsqu’elle est « civile », elle est encore plus abominable car elle n’obéit alors plus à aucune loi (en particulier les conventions de Genève). Beaucoup de civils va-t’en guerre semblent oublier ces principes. Bien sûr, cela n’exonère en rien le régime de Damas, particulièrement pour les crimes abjects commis dans ses geôles et révélés par l’affaire « César » IL Y A PLUS D’UN AN. Il est donc légitime de se demander pourquoi l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « crimes de guerre » diligentée à la demande du ministère des Affaires étrangères français n’a été initiée que le 15 septembre 2015 juste avant l’ouverture (le 26 septembre) de l’assemblée générale de l’ONU marquant le 70e anniversaire de cette institution. On aurait voulu couper toute porte de sortie à Bachar el-Assad que l’on ne s’y serait pas pris autrement.
La plus grande difficulté consiste à savoir qui est qui dans le « juste combat de résistance ». L’Armée Syrienne Libre (ASL) a quasi complètement disparu si l’on excepte quelques éléments dispersés entre le sud-ouest du pays, le nord de Hama et la région d’Alep. Sur le terrain, ce sont les groupes islamistes radicaux qui occupent le haut du pavé en participant à différentes coalitions sponsorisées par l’Arabie saoudite, les pays du Golfe et le Qatar. Il ne faut pas se faire d’illusions, leur objectif est de mettre en place à Damas un régime appliquant strictement la Charia. Daesh s’est volontairement mis à part, son émir Abou Bakr Al-Baghdadi voulant diriger seul son « califat ». Mais cela n’exclut pas, aux plus bas échelons, des coopérations ponctuelles sur le terrain même si des affrontements surviennent ailleurs (particulièrement ces derniers temps dans la région d’Alep).
Il est tout à fait vrai qu’après l’invasion américaine de l’Irak en 2003, la Syrie a approvisionné la rébellion irakienne en activistes qui ont formé -entre autres- en 2006 l’Etat Islamique d’Irak (EII) qui est l’ancêtre de Daesh. Mais ce mouvement a alors volé de ses propres ailes sous la houlette d’Al-Qaida « canal historique ». Ensuite, lorsque la révolution a débuté en Syrie en 2011, en « geste d’apaisement » mais surtout par calcul tactique, Bachar el-Assad a fait libérer un certain nombre d’activistes islamiques radicaux de ses geôles. Ces derniers sont venus nourrir les mouvements rebelles salafistes dont bon nombre venaient d’Irak comme le Front Al-Nosra. Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire que des maquis créés ou appuyés par des Etats se retournent ensuite contre leurs anciens mentors.
Daesh est soupçonné entraîner des djihadistes afin qu’ils viennent commettre des attentats en Occident. C’est oublier un peu vite que les actions terroristes dirigées contre Charlie Hebdo en janvier de cette année ont été commanditées, organisées, exécutées et revendiquées par Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) qui est le bras armé pour les opérations extérieures d’Al-Qaida central (le commandement de la nébuleuse) installé au Pakistan. C’est omettre que les Américains ont désigné le « groupe Khorasan », une composante du Front Al-Nosra, comme ayant pour mission de préparer des attentats à l’étranger. C’est d’ailleurs ce prétexte qui leur a permis de bombarder à partir d’août 2014, non seulement Daesh mais aussi le Front Al-Nosra. David Drugeon, un Français de 24 ans d’abord présenté par la presse américaine comme un ancien membre des services secrets puis comme un artificier aguerri du groupe Khorasan avait même été désigné à cette occasion. Il aurait été tué à la fin 2014.
Comme on peut le constater, la vérité est beaucoup plus complexe que ce qui est rapporté complaisamment par la majorité des medias occidentaux qui semblent être sous influence.
Vladimir Poutine a récemment engagé la Russie dans la bataille contre Daesh, au côté de son allié Bachar El Assad. Selon vous, quel rôle joue la Russie ?
Les Russes mentent aussi quand ils disent frapper principalement Daesh. Il est vrai qu’en tout petits caractères, ils confirment viser aussi les autres groupes rebelles ayant du mal à faire le distinguo entre les modérés et les extrémistes. Ils ont même demandé à Washington de leur transmettre une liste définissant qui fait quoi. Ils attendent encore la réponse.
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Atlantico : On lit régulièrement des articles de presse sur la situation chaotique de la Syrie. Selon vous, qu'en est-il réellement ?
Alain Rodier : Dans le cas du conflit syrien, le public est abreuvé de désinformation étatique et médiatique à grande échelle. A la base, elle est orchestrée par Washington dont les néocons restent un groupe de pression extraordinairement puissant et pas seulement dans le camp républicain. Chez les Démocrates, les plus connus sont Richard Perle et James Woosley. Hillary Clinton semble partager une partie de leurs idées sur le Moyen-Orient.
Je précise que la désinformation ne constitue pas un « mensonge » comme celui qui a consisté en 2003 à prétendre que le régime de Saddam Hussein possédait des armes chimiques opérationnelles et qu’il accueillait Al-Qaida (ce deuxième point a été une réalité APRES l’intervention américaine). La désinformation est une technique beaucoup plus subtile qui consiste à arranger des faits bien réels en insistant sur certains d’entre eux et en en escamotant d’autres. Cela permet de présenter à l’opinion une situation biaisée mais qui va dans le sens voulu par leurs initiateurs. Cette désinformation passe essentiellement par les journaux télévisés et radiophoniques qui n’ont pas le temps de prendre le recul nécessaire à l’analyse. De plus, ils prétendent à une certaine « objectivité », ce qui n’est pas le cas de la presse écrite dite d’« opinion ». La désinformation est ensuite relayée par des agents d’influence lors de débats audiovisuels puisque pour le public, ce qui est « vu à la télé » ou entendu sur les ondes est forcément vrai. Ces agents d’influence sont, soit conscients quand ils défendent une « cause » (qu’ils se gardent bien d’afficher), soit inconscients. Ce sont alors des « idiots utiles », expression attribuée à Lénine sans qu’aucun écrit ou témoignage ne vienne étayer ces dires. C’était peut-être déjà un cas de désinformation !
Ainsi, les dirigeants occidentaux relayés par les medias présentent la situation en Syrie de manière ternaire : le régime dictatorial de Bachar el-Assad est à la base de toutes les souffrances du peuple syrien ; ce dernier qui souhaite adhérer aux « valeurs universelles » prônées par l’Occident mène un juste combat de résistance ; Daesh qui est une « créature » du régime de Damas menace de ses actions terroristes l’Occident en général et la France en particulier.
Si ses assertions ne sont effectivement pas fausses, elles sont volontairement incomplètes par souci de manipulation de l’opinion. Il faut lui présenter un schéma simple avec d’un côté les « gentils » et de l’autre les « méchants ».
Il faut donc reprendre ces affirmations.
Le régime de Bashar el-Assad est effectivement autoritaire et brutal (mais est-il le seul ?). Toutefois, il était laïque et soutenait les minorités religieuses au premier rang desquelles se trouve les Alaouites (au pouvoir) qui sont proches des chiites. L’immense majorité des rebelles est sunnite (les Kurdes syriens constituent un cas à part car, en dehors d’une unité servant aux côtés du Front Islamique, ils ne se sont pas soulevés contre le régime). Les sunnites veulent reprendre les rênes du pays en soumettant les minorités religieuses à leur vision de l’islam voire, pour les plus radicaux, à procéder à l’extermination des Alaouites. Ces derniers sont décrits dans une fatwa jamais abrogée du théologien et juriste Ibn Taymiyya (qui a influencé les courants wahhabite et salafiste) comme « …plus infidèles que les juifs et les chrétiens, encore plus infidèles que de nombreux polythéistes […] la guerre est le châtiment contre eux… ». Il est donc facile de comprendre pourquoi les Alaouites se battent dos au mur (en réalité à la mer).
Ce serait le régime de Bachar el-Assad qui est à l’origine de 80% des 250 000 morts. Or, si on ne compte que les pertes au sein des membres des forces armées et les milices gouvernementales, la fourchette s’étend de 82 000 à 130 000 morts en supposant que l’opposition n’a tué aucun civil... Les agents d’influence ne sont décidément pas bons en mathématiques.
Quant à l’emploi d’armes chimiques par le régime, c’est vraisemblable mais pas formellement prouvé. Le rapport des services de renseignement français diffusé dans les media est un exemple de manipulation des faits. Il a été effectué sur ordre avec mission d’arriver à la conclusion voulue par le pouvoir politique. Il semble par ailleurs que les deux camps les auraient employés (mais là, pas de rapport des services français à se mettre sous la dent).
Les militaires savent bien que la guerre est une chose horrible et que, lorsqu’elle est « civile », elle est encore plus abominable car elle n’obéit alors plus à aucune loi (en particulier les conventions de Genève). Beaucoup de civils va-t’en guerre semblent oublier ces principes. Bien sûr, cela n’exonère en rien le régime de Damas, particulièrement pour les crimes abjects commis dans ses geôles et révélés par l’affaire « César » IL Y A PLUS D’UN AN. Il est donc légitime de se demander pourquoi l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « crimes de guerre » diligentée à la demande du ministère des Affaires étrangères français n’a été initiée que le 15 septembre 2015 juste avant l’ouverture (le 26 septembre) de l’assemblée générale de l’ONU marquant le 70e anniversaire de cette institution. On aurait voulu couper toute porte de sortie à Bachar el-Assad que l’on ne s’y serait pas pris autrement.
La plus grande difficulté consiste à savoir qui est qui dans le « juste combat de résistance ». L’Armée Syrienne Libre (ASL) a quasi complètement disparu si l’on excepte quelques éléments dispersés entre le sud-ouest du pays, le nord de Hama et la région d’Alep. Sur le terrain, ce sont les groupes islamistes radicaux qui occupent le haut du pavé en participant à différentes coalitions sponsorisées par l’Arabie saoudite, les pays du Golfe et le Qatar. Il ne faut pas se faire d’illusions, leur objectif est de mettre en place à Damas un régime appliquant strictement la Charia. Daesh s’est volontairement mis à part, son émir Abou Bakr Al-Baghdadi voulant diriger seul son « califat ». Mais cela n’exclut pas, aux plus bas échelons, des coopérations ponctuelles sur le terrain même si des affrontements surviennent ailleurs (particulièrement ces derniers temps dans la région d’Alep).
Il est tout à fait vrai qu’après l’invasion américaine de l’Irak en 2003, la Syrie a approvisionné la rébellion irakienne en activistes qui ont formé -entre autres- en 2006 l’Etat Islamique d’Irak (EII) qui est l’ancêtre de Daesh. Mais ce mouvement a alors volé de ses propres ailes sous la houlette d’Al-Qaida « canal historique ». Ensuite, lorsque la révolution a débuté en Syrie en 2011, en « geste d’apaisement » mais surtout par calcul tactique, Bachar el-Assad a fait libérer un certain nombre d’activistes islamiques radicaux de ses geôles. Ces derniers sont venus nourrir les mouvements rebelles salafistes dont bon nombre venaient d’Irak comme le Front Al-Nosra. Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire que des maquis créés ou appuyés par des Etats se retournent ensuite contre leurs anciens mentors.
Daesh est soupçonné entraîner des djihadistes afin qu’ils viennent commettre des attentats en Occident. C’est oublier un peu vite que les actions terroristes dirigées contre Charlie Hebdo en janvier de cette année ont été commanditées, organisées, exécutées et revendiquées par Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) qui est le bras armé pour les opérations extérieures d’Al-Qaida central (le commandement de la nébuleuse) installé au Pakistan. C’est omettre que les Américains ont désigné le « groupe Khorasan », une composante du Front Al-Nosra, comme ayant pour mission de préparer des attentats à l’étranger. C’est d’ailleurs ce prétexte qui leur a permis de bombarder à partir d’août 2014, non seulement Daesh mais aussi le Front Al-Nosra. David Drugeon, un Français de 24 ans d’abord présenté par la presse américaine comme un ancien membre des services secrets puis comme un artificier aguerri du groupe Khorasan avait même été désigné à cette occasion. Il aurait été tué à la fin 2014.
Comme on peut le constater, la vérité est beaucoup plus complexe que ce qui est rapporté complaisamment par la majorité des medias occidentaux qui semblent être sous influence.
Vladimir Poutine a récemment engagé la Russie dans la bataille contre Daesh, au côté de son allié Bachar El Assad. Selon vous, quel rôle joue la Russie ?
Les Russes mentent aussi quand ils disent frapper principalement Daesh. Il est vrai qu’en tout petits caractères, ils confirment viser aussi les autres groupes rebelles ayant du mal à faire le distinguo entre les modérés et les extrémistes. Ils ont même demandé à Washington de leur transmettre une liste définissant qui fait quoi. Ils attendent encore la réponse.
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