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Directeur de Pétrostratégies «Je ne vois pas comment les prix du pétrole peuvent éviter une nouvelle dégringolade»

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  • Directeur de Pétrostratégies «Je ne vois pas comment les prix du pétrole peuvent éviter une nouvelle dégringolade»

    Pierre Terzian. Directeur de Pétrostratégies
    «Je ne vois pas comment les prix du pétrole peuvent éviter une nouvelle dégringolade»


    - L’OPEP et l’AIE viennent de publier leurs prévisions du marché pétrolier, la première tablant sur un rééquilibrage dès 2016, la seconde l’éloignant un peu plus. Au regard de ces prévisions contradictoires, quelles seront, selon vous, les perspectives du marché ? Peut-on espérer un redressement des cours en 2016 ?

    Vous avez raison de souligner les analyses contradictoires de l’OPEP et de l’AIE à propos des perspectives du marché pétrolier. La seule justification que l’on puisse produire pour expliquer cette contradiction est l’approche de la réunion de l’OPEP prévue pour le 4 décembre prochain. Visiblement, on note de la part du secrétariat général de l’OPEP le désir de rassurer les pays membres, en envoyant le message suivant en substance : notre stratégie marche, les prix bas du pétrole sont en train de produire les effets escomptés, la production non-OPEP n’augmente plus aussi vite qu’avant et va même peut-être diminuer.

    En revanche, la demande augmente et l’appel au pétrole OPEP, autrement dit la part de marché de l’OPEP, va augmenter. Malheureusement, cette analyse ne résiste pas à un examen un peu plus approfondi. Premièrement, le secrétariat général de l’OPEP ne prend pas en compte les augmentations de production assurées, à venir, en Irak et en Iran. Seule inconnue lorsque l’on parle de la production iranienne : le volume de l’augmentation sera-t-il de 500 000 ou de 700 000 barils par jour, voire plus, et dans quel laps de temps ? On ne le sait pas.

    Il ne prend pas non plus en compte une possible augmentation de la production en Libye, si l’on parvient à un accord de paix. Il faut savoir que la Libye dispose d’une capacité d’exportation d’un million de barils/jour, aujourd’hui immobilisée à cause de l’insécurité et qui peut être remise sur le marché si un accord de paix est conclu. Même si l’on se base sur les fourchettes d’augmentation de production les plus basses attendues pour 2016, on se rend compte qu’en réalité, l’excédent de l’offre sur le marché ne va pas diminuer par rapport à 2015.

    Il peut même s’aggraver. Il y a un deuxième bémol, et paradoxalement, c’est l’AIE qui le souligne, en indiquant que la demande n’est pas aussi forte qu’on le pense, en dépit de la baisse des prix du pétrole, parce que l’activité économique mondiale ne sera pas aussi forte qu’on l’espérait. D’ailleurs, le Fonds monétaire international (FMI) a révisé à la baisse ses prévisions de croissance mondiale pour 2016. Voilà la situation.

    - En résumé, la situation en 2016 risque d’être aussi morose qu’en 2015, si ce n’est plus ?

    Si rien ne vient changer le paysage qui se profile à l’horizon 2016, le déséquilibre du marché pétrolier, autrement dit l’excédent de l’offre par rapport à la demande, risque d’être plus important que ce qu’il a été jusqu’ici. En conséquence, on ne voit pas comment les prix du pétrole, qui sont actuellement autour de 50 dollars, peuvent éviter une nouvelle dégringolade, à moins d’un changement de la politique de l’Arabie Saoudite ou d’un facteur géopolitique.

    - Est-ce pour cela que les marchés ne réagissent pas ou peu aux déclarations de l’OPEP ?

    Les opérateurs du marché sont des gens extrêmement bien informés. A l’heure d’internet, l’information circule vite et tout le monde sait que les perspectives de rééquilibrage du marché pétrolier par lui-même – si on le laisse à lui-même – ne sont pas réelles. En tout cas, pas en 2016. Le marché est donc extrêmement prudent. Le cours du baril a augmenté de quelques dollars ces dernières semaines, parce que la situation géopolitique s’est dégradée. Mais du point de vue des fondamentaux du marché, c’est-à-dire l’offre et la demande, il n’y a pas de rééquilibrage en perspective en 2016.

    - Nous assistons actuellement à un tiraillement au sein de l’OPEP, entre les membres souhaitant une action pour un rééquilibrage du marché et les membres du Conseil de coopération du Golfe menés par l’Arabie Saoudite qui la refusent. Croyez-vous que l’OPEP est encore aujourd’hui utile et qu’il est de l’intérêt de certains de ses membres d’y demeurer ?

    Si l’on en juge par les réactions de certains pays membres de l’OPEP, qui sont opposés à la politique de parts de marché imposée par l’Arabie Saoudite, on n’a pas l’impression que ces pays souffrent réellement de la baisse des prix du pétrole. Leurs réactions ne sont pas à la mesure de la crise économique qui les frappe déjà ou qui va les frapper si la situation persiste. J’en suis étonné. Aujourd’hui, il est évident que l’OPEP ne sert plus à rien. Pis, l’OPEP sert de chambre d’enregistrement aux décisions que l’Arabie Saoudite lui impose.

    En restant au sein de l’OPEP, les autres pays membres opposés à cette politique, et ils sont nombreux, apportent en quelque sorte leur caution. A ma connaissance, il y a un seul pays qui est complètement en phase avec l’Arabie Saoudite, ce sont les Emirats arabes unis. Or, si les Emirats cautionnent cette politique, c’est parce qu’ils sont engagés maintenant dans une stratégie de remplacement des revenus pétroliers par d’autres sources de revenu, y compris par le renouvellement de leur parc énergétique, où les renouvelables et le nucléaire vont peu à peu remplacer le gaz naturel.

    Les Emirats arabes unis alignent les tarifs des carburants routiers sur ceux du marché international. Ils trouvent dans la situation actuelle un stimulant et une justification supplémentaires à la mise en œuvre de leur politique de préparation à l’après-pétrole. C’est pour cela que cette politique leur convient, en plus de leur proximité géographique et politique avec l’Arabie Saoudite. Il faut savoir que d’autres pays du Golfe ne sont pas en phase avec l’Arabie Saoudite. Le sultanat d’Oman a proclamé à plusieurs reprises son opposition à cette politique.
    Le Koweït n’apporte son soutien que du bout des lèvres, parce qu’il ne peut pas faire autrement.

    Tous les autres pays de l’OPEP sont opposés à la stratégie saoudienne. Si ces pays s’engageaient de manière déterminée à préparer l’après-pétrole, je comprendrais leur politique actuelle qui est très passive face à un effondrement de leurs revenus d’exportation. Mais dans le cas contraire, s’ils comptent encore sur leur rente pétrolière et gazière, je ne comprends pas cette passivité. A moins qu’ils croient que s’ils quittent l’OPEP, l’Arabie Saoudite deviendra encore plus agressive sur le marché en augmentant, par exemple, sa capacité de production, ce qu’elle s’abstient de faire, pour le moment.

    - Le secrétaire général de l’OPEP a récemment mis en avant la non-opposition des membres de l’Organisation à un dialogue avec les producteurs non-OPEP. Ne croyez-vous pas que l’Arabie Saoudite serait actuellement plus encline à discuter avec des producteurs comme la Russie, le Mexique, ou encore le Brésil qu’avec ses partenaires de l’OPEP ?

    L’Arabie Saoudite, M. El Badi et tous les pays membres de l’OPEP savent pertinemment, en raison de leur expérience historique, qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de la part des pays non-OPEP. Il faut qu’ils continuent de leur parler et tenter de les convaincre que la révolution des schistes les concerne tous. Mais les quelques réductions de production que certains non-OPEP ont appliquées, par le passé, n’ont pas dépassé les quelques centaines de milliers de barils/jour. Cela a été, notamment, le cas du Mexique, mais ni la Russie ni la Norvège n’ont bougé. Je ne vois pas non plus pourquoi le Brésil qui a investi des sommes énormes pour développer son pétrole antésalifère le ferait et ainsi de suite.

    La raison en est très simple. Rares sont les pays en dehors de l’OPEP qui dépendent autant des revenus tirés du pétrole, pour leur survie économique, sans parler de leur croissance économique. Et c’est pour cela que ces pays, même s’ils souffrent de la baisse de leurs revenus pétroliers, ne se sentent pas obligés de réagir. Ils savent très bien que c’est l’OPEP qui est en première ligne, que ce sont les pays membres de l’Organisation qui souffrent le plus.

    Prenons le cas extrême de la Norvège. Ce pays a tellement bien développé l’outil d’investissement de ses excédents de revenus pétroliers accumulés toutes ces années que grâce aux revenus de ces investissements extérieurs, le fonds pétrolier souverain norvégien verra ses actifs augmenter en 2015 et en 2016, bien que, selon toute probabilité, ce fonds devra apporter plus d’argent au budget de l’Etat à cause de la révision à la baisse des prévisions de recettes pétrolières et gazières. Ce pays s’est préparé à ce qui se passe actuellement. Même s’il subit un manque à gagner, il peut se tirer d’affaire grâce à sa politique extrêmement sage et intelligente d’investissement des revenus pétroliers et gaziers dans des actifs qui lui rapportent autant que les hydrocarbures.

    C’est un cas extrême bien sûr. Mais cela montre ce qu’on peut faire si l’on gère intelligemment les revenus pétroliers, de manière à se préparer à l’après-pétrole. Malheureusement, les conditions qu’on trouve en Norvège, politiques, économiques et de savoir-faire, ne se retrouvent pas dans les pays de l’OPEP. Et ces derniers ne semblent pas prêts, dans leur vaste majorité, réellement pour l’après-pétrole ou l’après-gaz.

    Roumadi Melissa

    elwatan
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